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du martyre, à la liberté quelque chose de la vengeance. Elle prépara ainsi une réaction contre la cause républi– caine, et mit du côté de la royauté la sensibilité, l'inté– rêt, les larmes d'une partie des peuples. Qui peut nier que l'attendrissement sur le sort de Louis XVI et de sa famille n'ait été pour beaucoup dans le retour vers la royauté quelques années après? Les causes perdues ont des retours dont il ne faut souvent chercher les motifs que dans le sang des victimes odieusement immolées par la cause opposée. Le sentiment public, une fois ému d'une iniquité, ne se repose que quand il s'est, pour ainsi dire, absous par quelque réparation éclatante et inattendue. Ce sont les républicains qui doivent le plus déplorer ce sang, car c'est sur leur cause qu'il est retombé sans cesse, et c'est ce sang qui leur a coûté la République!

La prière.

Le roi brillant du jour, se couchant dans sa gloire,
Descend avec lenteur de son char de victoire :
Le nuage éclatant qui le cache à nos yeux
Conserve en sillons d'or sa trace dans les cieux,
Et d'un reflet de pourpre inonde l'étendue.
Comme une lampe d'or dans l'azur suspendue,
La lune se balance aux bords de l'horizon;
Ses rayons affaiblis dorment sur le gazon,
Et le voile des nuits sur les monts se déplie.
C'est l'heure où la nature un moment recueillie,
Entre la nuit qui tombe et le jour qui s'enfuit,
S'élève au créateur du jour et de la nuit,

Et semble offrir à Dieu, dans son brillant langage, De la création le magnifique hommage.

Voilà le sacrifice immense, universel!

L'univers est le temple, et la terre est l'autel;

Les cieux en sont le dôme, et ses astres sans nombre,
Ces feux demi-voilés, pâle ornement de l'ombre,
Dans la voûte d'azur avec ordre semés,

Sont les sacrés flambeaux pour ce temple allumés:
Et ces nuages purs qu'un jour mourant colore
Et qu'un souffle léger, du couchant à l'aurore,
Dans les plaines de l'air repliant mollement,
Roule en flocons de pourpre aux bords du firmament,
Sont les flots de l'encens qui monte et s'évapore
Jusqu'au trône du Dieu que la nature adore.

Seul, invoquant ici son regard paternel,
Je remplis le désert du nom de l'Éternel!

Salut, principe et fin de toi-même et du monde !
Toi qui rends d'un regard l'immensité féconde,
Ame de l'univers, Dieu père, créateur,

Sous tous ces noms divers je crois en toi, Seigneur ;
Et, sans avoir besoin d'entendre ta parole,
Je lis au front des cieux mon glorieux symbole.
L'étendue à mes yeux révèle ta grandeur ;
La terre, ta bonté; les astres, ta splendeur.
Tu t'es produit toi-mème en ten brillant ouvrage !
L'univers tout entier réfléchit ton image,
Et mon âme à son tour réfléchit l'univers.
Ma pensée, embrassant tes attributs divers,
Partout autour de toi te découvre et t'adore,
Se contemple soi-même, et t'y découvre encore:
Ainsi l'astre du jour éclate dans les cieux,
Se réfléchit dans l'ombre et se peint à mes yeux.

C'est peu de croire en toi, bonté, beauté suprême !
Je te cherche partout, j'aspire à toi, je t'aime !
Mon âme est un rayon de lumière et d'amour
Qui, du foyer divin détaché pour un jour,
De désirs dévorants loin de toi consumée,
Brûle de remonter à sa source enflammée.
Je respire, je sens, je pense, j'aime en toi!
Ce monde qui te cache est transparent pour moi;
C'est toi que je découvre au fond de la nature,
C'est toi que je bénis dans toute créature.
Pour m'approcher de toi, j'ai fui dans ces déserts:
Là, quand l'aube, agitant son voile dans les airs,
Entr'ouvre l'horizon qu'un jour naissant colore,
Et sème sur les monts les perles de l'aurore,
Pour moi c'est ton regard qui, du divin séjour,
S'entr'ouvre sur le monde et lui répand le jour.
Quand l'astre à son midi, suspendant sa carrière,
M'inonde de chaleur, de vie et de lumière,
Dans ses puissants rayons qui raniment mes sens,
Seigneur, c'est ta vertu, ton souffle que je sens;
Et quand la nuit, guidant son cortège d'étoiles,
Sur le monde endormi jette ses sombres voiles,
Seul, au sein du désert et de l'obscurité,
Méditant de la nuit la douce majesté,

Enveloppé de calme, et d'ombre, et de silence,
Mon âme de plus près adore ta présence;
D'un jour intérieur je me sens éclairer,
Et j'entends une voix qui me dit d'espérer.

Oui, j'espère, Seigneur, en ta magnificence;
Partout à pleines mains prodiguant l'existence,
Tu n'auras pas borné le nombre de mes jours
A ces jours d'ici-bas, si troublés et si courts.
Je te vois en tous lieux conserver et produire :
Celui qui peut créer dédaigne de détruire.
Témoin de ta puissance et sûr de ta bonté,

J'attends le jour sans fin de l'immortalité.

La mort m'entoure en vain de ses ombres funèbres,
Ma raison voit le jour à travers ses ténèbres ;
C'est le dernier degré qui m'approche de toi,
C'est le voile qui tombe entre ta face et moi.
Hâte pour moi, Seigneur, ce moment que j'implore;
Ou si dans tes secrets tu le retiens encore,

Entends du haut du ciel le cri de mes besoins!
L'atome et l'univers sont l'objet de tes soins :
Des dons de ta bonté soutiens mon indigence,
Nourris mon corps de pain, mon âme d'espérance,
Réchauffe d'un regard de tes yeux tout-puissants
Mon esprit éclipsé par l'ombre de mes sens;
Et, comme le soleil aspire la rosée,
Dans ton sein à jamais absorbe ma pensée!

La Bible.

Ma mère avait reçu de sa mère au lit de mort une belle Bible de Royaumont, dans laquelle elle m'apprenait à lire quand j'étais petit enfant. Cette Bible avait des gravures de sujets sacrés à toutes les pages. C'était Sara, c'était Tobie et son ange, c'était Joseph ou Samuel, c'était surtout ces belles scènes patriarcales où la nature solennelle et primitive de l'Orient était mêlée à tous les actes de cette vie simple et merveilleuse des premiers hommes. Quand j'avais bien récité ma leçon et lu à peu près sans faute la demi-page de l'histoire sainte, ma mère découvrait la gravure, et, tenant le livre ouvert sur ses genoux, me la faisait contempler en me l'expliquant, pour ma récompense. Elle était douée par la nature

d'une âme aussi pieuse que tendre, et de l'imagination la plus sensible et la plus colorée; toutes ses pensées étaient sentiments, tous ses sentiments étaient images; sa belle, noble et suave figure réfléchissait dans sa physionomie rayonnante tout ce qui brûlait dans son cœur, tout ce qui se peignait dans sa pensée; et le son argentin, affectueux, solennel et passionné de sa voix, ajoutait à tout ce qu'elle disait un accent de force, de charme et d'amour, qui retentit encore en ce moment dans mon oreille, hélas! après plusieurs années de silence! La vue de ces gravures, les explications et les commentaires poétiques de ma mère, m'inspiraient dès la plus tendre enfance des goûts et des inclinations bibliques. De l'amour des choses au désir de voir les lieux où ces choses s'étaient passées, il n'y avait qu'un pas. Je brûlais donc, dès l'âge de huit ans, du désir d'aller visiter ces montagnes où Dieu descendait; ces déserts où les anges venaient montrer à Agar la source cachée, pour ranimer son pauvre enfant banni et mourant de soif; ces fleuves qui sortaient du Paradis terrestre; ce ciel où l'on voyait descendre et monter les anges sur l'échelle de Jacob. Ce désir ne s'éfait jamais éteint en moi : je rêvais toujours, depuis, un voyage en Orient, comme un grand acte de ma vie intérieure; je construisais éternellement dans ma pensée une vaste et religieuse épopée dont ces beaux lieux seraient la scène principale: car la vie pour mon esprit fut toujours un grand poème, comme pour mon cœur elle fut de l'amour. Dieu, Amour et Poésie sont les trois mots que je voudrais seuls gravés sur ma pierre, si je mérite jamais une pierre.

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