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mont de la Justice, qui a été rasé sans qu'on sache même ce qu'est devenue la statue de la Justice qui lui servait de couronnement et qui était une des plus anciennes parmi celles qui avaient survécu aux ravages des siècles barbares. Au surplus, le principal monument que Pie IX nous ait laissé, la colonne commémorative de l'Immaculée-conception, est un des plus récents témoignages du travestissement imposé à tous les débris de la grandeur païenne. Cette belle colonne, en marbre carystien, avait été trouvée en 1778 au Campo Marzio et était restée pendant près d'un siècle sans emploi derrière le palais de Montecitorio. Clément VIII avait donné l'exemple d'une semblable désaffectation en se servant d'une pièce de granit d'Egypte pour ériger, en 1595, la colonne glorifiant la conversion d'Henri IV.

Souvent, la sollicitude de certains papes pour les monuments de l'antiquité a été plus funeste à ces derniers que la malveillance de certains autres. Il n'y a guère plus d'une cinquantaine d'années qu'un pontife compatissant se sentit pris de pitié pour l'arc de Titus, qui menaçait ruine. L'architecte auquel il confia le soin de le réparer, le refit de fond en comble, de sorte que nous n'avons plus qu'un simulacre de l'original. L'architecte s'appelait Valadier, mais il n'était Français que de nom. De nos jours, nous avons vu encore pis. Sous prétexte que l'abside de Saint-Jean de Latran était détériorée, on l'a reconstruite en entier. La mosaïque de Jacopo da Torrita a été déplacée et sortie de son cadre. Cette restauration, qui équivaut à une démolition, a fait disparaître la seule partie de la basilique qui eût échappé au vandalisme du quinzième et du seizième siècle. L'architecte qui, en ce temps d'engouement pour tout ce qui vient de l'an

tiquité, a consommé ce sacrilège, est M. Virginio Vespignani; son méfait a presque fait oublier celui de Valadier. Au reste, celui-ci avait racheté en partie son péché en traçant le dessin du Pincio qui, dans son genre, est une des merveilles de Rome. Plaise à Dieu que M. Vespignani trouve, lui aussi, un moyen honorable d'expier l'injure qu'il a faite à la plus ancienne basilique de l'antiquité !

Nous ne pousserons pas plus loin cette partie de notre étude. Nous aurions l'air de dresser un réquisitoire contre l'administration pontificale et d'y apporter du parti pris et de la malveillance, ce qui n'est nullement dans notre intention. Passons à un autre côté du sujet qui nous occupe. HONORÉ MEREU.

(La fin prochainement.)

VINGT ANS APRÈS

IDYLLE TCHÈQUE

I

La bataille de Koeniggrätz était livrée. Le malheur subi par nos braves soldats atteignait profondément tous les cœurs, ravissait la joie et la paix à beaucoup de foyers. Avec cela, le choléra, terrible, foudroyant, venait d'éclater, décimant la contrée, semant partout l'effroi et le deuil. Et cependant, ni la guerre cruelle, ni l'épidémie, n'avaient réussi à bannir le contentement, la sérénité qui régnaient dans la jolie propriété de l'excellent M. Wilhelmi, le maire d'un village propret, situé au nord de la Bohême.

Cette famille si nombreuse avait eu la chance inouïe de n'avoir aucun des siens sur le champ de bataille. Ce qui n'empêchait pas ces bonnes gens d'aider de toutes leurs forces aux blessés, et de secourir les infortunes environnantes. Quant aux enfants, jeunesse insouciante et folâtre, ils papillonnaient et gambadaient, comme à l'ordinaire, dans le grand jardin, dans le verger, à l'om

bre fraîchissante, mordant à même les poires tombées, et folâtrant à l'envi entre les charmilles.

On conclut la trêve. Les villages voisins se remplirent de soldats ennemis. Les pâturages qui s'étendaient à perte de vue devant la propriété habitée par Wilhelmi, ses enfants et ses petits-enfants, étaient semés de canons dont les affûts bleu pâle donnaient au paysage quelque chose de martial et d'étrange. Sans relâche s'égrenaient dans l'air pur les notes claires du fifre, et sur la chaussée longeant les fenêtres marchaient d'un pas automatique et cadencé des détachements prussiens.

La ferme du maire débordait pour ainsi dire d'officiers et de soldats en quartier. Tout se passait dans le plus grand ordre, vu la froide politesse que les habitants du pays mettaient à bien accueillir l'armée victorieuse.

La maison de campagne, située à quelques minutes du village, avait été épargnée par les balles. On y vivait tout paisiblement, comme si l'on n'eût pas été en temps

de guerre.

Justement la bande folâtre des enfants descendait au galop la large avenue cailloutée conduisant à la grille du jardin, le séparant ainsi des dépendances, lorsqu'un coup de sonnette strident et qu'on eût dit tiré par une main habituée à donner des ordres, retentit longuement. Une fillette, une mignonne blondine, dont les longues nattes soyeuses flottaient, bondit à la porte et l'ouvrit. Surprise, elle recula d'un pas; elle s'attendait à voir quelque visage ami. Et au lieu de cela, la petite se. trouvait en présence de deux hommes d'aspect complètement étranger.

L'un d'eux, vêtu d'un uniforme blanc d'officier de la garde, était fort jeune, à la taille élancée, aux grands yeux bruns, pétillants et rieurs. Son compagnon, beau

coup plus âgé, portait la redingote collante et sombre des médecins de l'armée. Tous deux s'inclinèrent gentiment devant la fillette, demandant à parler à monsieur le maire.

Ciel comme la petite Hetti devint rouge tout d'un coup... Ah! mais, c'est qu'elle avait, le matin même, aperçu le jeune officier. Oui, oui, vraiment! Elle l'avait vu déjà. Pour sûr. Et elle se souvenait de son joli visage. C'est qu'aussi, pour regarder les soldats, elle avait grimpé aux mansardes, et qu'elle s'était hissée à une fenêtre. Et voilà que, juste comme elle les regardait défiler, était arrivé un détachement de cavalerie au galop, soulevant des flots de poussière sur la route. Chose étrange, cet officier, celui-là, avait levé la tête et l'avait aperçue, et l'avait saluée gracieusement. N'était-elle pas une petite fille, une mignonne qu'on considérait à la maison comme la « petiote, » et qu'on choyait plus particulièrement encore que les autres bambins?... Une gamine aux membres fluets qui se développent, et qui, chaque jour, mettait en lambeaux dans les broussailles. les robes de mousseline que sa bonne mère reprisait, chaque jour aussi, avec une tendre sollicitude.

Oui!... c'était lui... Elle avait alors descendu en courant l'escalier du grenier, et était allée raconter à maman le « grave événement. » Et maman, avec un doux sourire, avait caressé les joues en fleur de l'enfant et l'avait envoyée boire son lait chaud, le déjeuner quotidien... Cependant, avec une gravité comique, la mignonne fit aux deux intrus une profonde révérence et pria ces messieurs de la suivre dans la chambre commune, où ils trouveraient bon papa qu'ils désiraient voir.

- Un exemplaire absolument réussi des indigènes que nous allons connaître, fit observer le docteur Steinfeld.

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