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Heneral

Comflects

Dartmouth

10-6-30 22540

LES VANDERBILT

ET LEUR FORTUNE

The Vanderbilts and the story of their fortun, by W. A. Croffut.
in-8°. Londres, 1886.

- 1 vol.

Un homme a existé qui, à l'âge de seize ans, commença la lutte pour l'existence n'ayant pour tout capital que sa tête et ses bras, seul, sans instruction, sachant à peine lire et chiffrer, et qui mourut laissant à son fils une fortune d'un demi-milliard loyalement acquise par le travail.

Cet homme qui fut un Alexandre, ou si l'on préfère un Napoléon, mais un Napoléon sans Waterloo, dans la lutte pour l'existence, ce grand conquérant s'appelait Cornélius Vanderbilt.

Quant à son fils, William-Henri Vanderbilt, loin de dissiper l'héritage paternel, il parvint à le doubler, de telle sorte qu'il put en mourant distribuer entre les membres de sa famille des valeurs mobilières pour la somme inouïe d'un milliard de francs.

On s'imagine trop aisément que les grandes fortunes

sont le fruit d'une rapine plus ou moins déguisée, le produit de spéculations entachées de fraude, ou tout au moins l'œuvre de la chance.

A l'encontre de ce préjugé, il sera bon et utile de montrer, par l'histoire de la plus grande fortune mobilière amassée dans notre siècle, que l'esprit d'initiative, l'énergie et la persévérance, unies à la loyauté, peuvent suffire à l'achèvement de cet exploit, en dehors de toute spéculation financière proprement dite, de tout jeu de bourse.

On prétend encore que la concentration du capital entre les mains de quelques-uns est une cause d'appauvrissement pour le grand nombre, qu'on ne saurait acquérir des biens sans les ôter à d'autres, que les richesses même loyalement acquises sont toujours des « richesses iniques,» parce que leur accumulation est préjudiciable à la société, en un mot, que le capitaliste, c'est l'ennemi.

A l'encontre de ce préjugé, plus répandu et aussi faux que l'autre, nous espérons montrer par l'histoire des Vanderbilt que les grands capitalistes sont les agents les plus actifs de la prospérité publique, et que leur fortune profite à tout le monde.

L'ouvrage que nous avons entre les mains, écrit avec plus d'impartialité qu'on n'en rencontre d'ordinaire dans les biographies américaines, n'est pas un panégyrique; il a plutôt le caractère d'une apologie. Il ne se pouvait pas que les détenteurs d'une pareille masse de capitaux n'eussent beaucoup d'envieux, partant beaucoup de détracteurs. Parmi les classes ouvrières, si ignorantes, la calomnie avait beau jeu : elle s'est donné carrière à l'égard des Vanderbilt. Leur biographe devait nécessairement chercher à les défendre contre d'odieuses

accusations. Au reste sa tâche était facile; il lui a suffi de raconter.

C'est ce que nous ferons après lui, en nous servant très librement des matériaux mis à notre disposition, et en laissant à nos lecteurs le soin d'apprécier et de juger eux-mêmes les faits. Ils verront, sans qu'il soit besoin de le leur montrer, qu'il y a dans cette histoire des leçons de plus d'un genre.

Ι

Cornélius Vanderbilt naquit le 27 mai 1794, à Stapleton, dans cette île de Staten qu'on trouve à l'embouchure de l'Hudson, tout près de New-York. Son père, d'origine danoise, était agriculteur. Il habitait une cabane sans étage, couverte en bardeaux, sur la rive orientale de l'île, et avait beaucoup de mal à nouer les deux bouts, étant chargé d'une famille nombreuse. Très laborieux, mais esprit visionnaire, chimérique, il se lançait parfois dans des entreprises mal conçues qui l'auraient vite réduit à la misère, s'il n'avait eu dans sa femme une ménagère économe et prudente, habile à réparer les brèches.

On verra de quelle merveilleuse façon s'harmonisaient chez le fils les qualités contradictoires de ses parents: esprit d'initiative et prudence consommée, vive imagination et jugement sûr.

Le jeune Cornélius était obstiné et désobéissant, d'une indépendance de caractère peu commune, ardent au plaisir; de plus, il détestait aller à l'école. Grand, bien fait, robuste, et d'une force prodigieuse pour son âge, doué par surcroît d'un esprit vigoureux, il apprit vite à manier l'aviron, à gréer une chaloupe, à se servir d'une scie, d'une varlope, d'un rabot. Il nageait comme un dauphin et grimpait comme un chat. Mais jamais on ne put lui

faire apprendre ses leçons. Quand on le croyait à l'école, il n'était pas rare qu'on le trouvât perché au sommet d'un arbre, sur le bord de l'eau, occupé à regarder passer dans la baie les grands navires venant d'Europe, et manoeuvrer les chalands au service des maraîchers. Il paraît certain qu'en arithmétique il n'alla jamais au delà de la division, encore cette grave opération de l'esprit lui donnait-elle beaucoup de mal, et qu'il n'entendit jamais parler de la règle de trois! L'abécédaire est le seul livre qu'il se soit rappelé avoir eu entre les mains, à l'école. Les seuls ouvrages qu'il ait lus, au cours de sa longue vie, -nous ne parlons pas des journaux, furent la Bible et le Voyage du chrétien de Bunyan. Quant à son orthographe... il suffira de dire que le commodore Vanderbilt fut toute sa vie un adepte de l'écriture phonétique.

Son père était parvenu à se procurer un de ces lourds bateaux à deux mâts, qu'on employait alors au cabotage sur l'Hudson. Il s'en servait pour porter au marché de New-York les produits de sa petite ferme, et il prenait parfois avec lui l'aîné de ses garçons, Cornélius. L'enfant ne demandait pas mieux que d'esquiver les leçons, et il apprit fort vite à se rendre utile. Il n'avait pas quinze ans qu'il était déjà assez expert pour que son père osât lui confier la direction du bateau.

C'est à cette époque que se place un épisode que plus tard le commodore aimait à raconter. Il avait été appelé à sarcler un champ de pommes de terre, et comme récompense à ce dur labeur il devait avoir congé le mardi suivant, toute la journée, pour aller avec son ami Owen s'amuser à New-York. Le matin du fameux jour :

Tiens, Cornélius, lui dit son père, voici le bateau. J'y ai déjà entassé la moitié d'un chargement de foin;

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