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crire à cette profession de foi sur le bon vieux temps : « Je lui refuse d'être bon et je lui sais gré d'être vieux! »

C'est qu'à côté des artistes, des poètes et des romanciers qui évoquent de séduisants tableaux où l'horreur même a du charme, il y a les savants, gens précis, implacables, qui se chargent de dégriser notre imagination. Que de misères, que de souffrances inénarrables, que d'abus criants et de superstitions hideuses contient ce passé, dont la distance adoucit les teintes sanglantes et noie les brutalités dans une brume poétique !

Nous venons de feuilleter une brochure de M. le Dr Ladame sur les aliénés dans l'antiquité et au moyen âge1, et nous avons vaguement frissonné à l'idée que nous aurions pu être fou dans ces bons vieux temps-là. Les Romains du moins avaient de justes et saines notions en matière de responsabilité criminelle; mais au moyen âge l'aliéné était fort aisément réputé s'être donné au diable, et, grâce à cette superstition des possessions démoniaques, on vous expédiait dans l'autre monde avec une tranquillité désolante. Seul, ou à peu près, Jean Wier, médecin du duc de Clèves, eut une vue plus rationnelle des choses, insista avec énergie sur l'irresponsabilité des sorcières, et posa les fondements de la pathologie mentale: Elles sont destituées de cette volonté de méfaire, laquelle mérite punition.... Par quoi on doit plutôt avoir pitié d'elles, que de les punir, et les doit-on plutôt soulager et venir en aide.... Braves paroles, qui n'empêchèrent pas qu'un siècle plus tard, on brûlait encore des sorcières...

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M. Forel, de Morges, sonde des mystères moins lugubres, ceux du lac Léman. Il nous a donné, il y a peu de temps, une seconde édition de son précis scientifique sur ce sujet. Scientifique, entendez-vous; ne cherchez point ici des émotions littéraires; c'est une simple monographie, très bien faite d'ailleurs, et très claire, sur le lac dont Voltaire a dit qu'il était le pre

1 La Responsabilité criminelle des aliénés dans l'antiquité, au moyen åge et à la renaissance, leçon d'ouverture d'un cours fait à Genève, par le Dr P. Ladame. Genève, Georg, 1886.

2 Le lac Léman, précis scientifique, par le Dr F.-A. Forel. 2e édit. Genève, Georg, 1886.

mier.» (Voltaire, hâtons-nous de l'ajouter, n'en avait pas vu beaucoup d'autres.) L'intérêt spécial de ce travail, où M. Forel résume les notions actuelles de géographie, d'hydrographie, de géologie, de météorologie, de physique, de chimie, sans négliger la faune, la flore, et les antiquités du Léman, c'est que sur la plupart de ces points, il nous fait part d'observations personnelles. L'auteur a ses appareils enregistreurs, des instruments qui, chaque jour, perçoivent les moindres mouvements du lac, ses plus secrètes palpitations. C'est chaque jour un monde de phénomènes fugitifs, de métamorphoses rapides, qui doit singulièrement passionner l'observateur. Le chapitre des seiches intéressera quiconque habite au bord d'un lac il apprendra aux riverains qu'il y a des seiches uninodales, des seiches binodales, et des seiches dicrotes, ce que nous ignorions, nous l'avouons sans trop rougir. M. Forel les renseignera aussi sur les vibrations du lac, sur les taches d'huile que notre civilisation parfois un peu malpropre répand sur le bleu miroir; sur la couleur de l'eau, sa transparence, la réfraction de la lumière et les mirages, sur la nature du fond du lac. Quant aux animaux et aux plantes qui y vivent, c'est une nomenclature hérissée de noms barbares, éloquents sans doute pour les initiés. Il nous suffit, à nous,

De voir plonger une mouette

Dans une vague du Léman.

Est-ce encore de la science que le livre intitulé le Protestantisme vu de Genève en 18861? Nous n'en jurons rien. C'est du moins un livre intéressant, fait avec un certain talent ou, si l'on veut, avec une certaine habileté. L'auteur, qu'on nous dit être un ecclésiastique de Genève, a entrepris une apologie du catholicisme et un réquisitoire, modéré d'ailleurs dans la forme, contre le protestantisme. D'une part un édifice séculaire, inébranlable, créé par Dieu lui-même, d'autre part une maison lézardée, divisée contre elle-même, œuvre du diable, bien sûr! Aussi les frères séparés n'ont-ils plus qu'à tomber dans les bras que leur ouvre l'église romaine, laquelle leur offre une conciliation naturelle, facile et suave. » L'habileté de l'auteur consiste dans le choix des autorités

1 Le Protestantisme vu de Genève en 1886. Paris, Plon, 1886.

qu'il cite

les organes des tendances protestantes libérales d'abord, où il puise ses renseignements sur l'état actuel du protestantisme, puis telle page adroitement triée dans les écrits de Vinet, d'Adolphe Monod ou d'Ernest Naville.

Hâtons-nous de dire que nous trouvons des idées fort justes dans ce livre, que, par exemple, nous souscrivons au jugement sévère porté sur les églises où l'unité de doctrine n'est plus garantie, et à bien d'autres considérations qu'il ne nous coûte rien de reconnaître fondées. En revanche, l'auteur nous permettra de sourire doucement quand il parle de la tradition autoritaire du protestantisme, quand il reproche aux protestants de n'avoir pas osé se présenter au Concile de Trente, quand il affirme que le mot catholique « sonne à nos oreilles comme le nom de la patrie perdue aux oreilles de l'exilé ; quand il fonde des espérances magnifiques sur quelques conversions au catholicisme, qui ont, en sens inverse, de fort nombreuses compensations, et quand il va presque jusqu'à conclure, des amabilités intéressées de M. de Bismarck, que le grand chancelier commence à être touché par la grâce. Tout cela est un peu bien naïf.

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Ce qui sans doute l'est moins, c'est la dissertation de l'auteur sur la Saint-Barthélemy, qu'il appelle un A incident déplorable, dont le parti protestant est la cause, sur l'Inquisition et sur la révocation de l'édit de Nantes. Dire que la religion catholique n'avait pas besoin du massacre de 1572 pour se défendre, ce n'est pas justifier l'église, c'est aggraver son affaire; il est vrai que l'auteur transforme la Saint-Barthélemy en un fait politique et non prémédité. Mais sa façon de conter l'histoire est vraiment bien commode : lisez son chapitre VIII; il vous apprendra que Louis XIV fit tout pour persuader les huguenots, qu'il leur envoya des missionnaires tels que Fénelon (lequel Fénelon, comme on sait, engageait les huguenots à souffrir gracieusement les dragonnades); il vous soutiendra avec une gravité imperturbable que, au moment de la révocation, des provinces entières avaient abjuré librement l'hérésie, et que du reste, l'église et le pape n'y furent pour rien. Sur ce dernier point nous renvoyons l'auteur à l'ouvrage décisif et écrasant de MM. Puaux et Sabatier, qui ont, une fois pour toutes, fixé la part du clergé et des

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jésuites dans la révocation. Et quand l'auteur nous dit que Voltaire donne tort aux protestants, nous nous permettons de nier respectueusement une assertion pareille....

‹ Au reste, dit-il ingénûment, lorsqu'une mère redresse les vices de son enfant et qu'elle a recours à la correction, que l'Ecriture sainte recommande de ne pas leur épargner (Prov. XIII, 24), sera-t-elle taxée de cruauté? Ne verra-t-on pas, au contraire, dans cette sévérité forcée, la plus grande preuve de l'amour maternel? »

A la bonne heure; vous auriez pu le dire tout de suite et vous dispenser des laborieux raisonnements qui précèdent et qu'il est vraiment malaisé de prendre au sérieux!

Nous n'avons jusqu'ici relevé dans ce livre que quelques points de détail; nous laissons à d'autres, plus autorisés que nous, la tâche d'entreprendre, s'il en vaut la peine, une réfutation en règle de cet ouvrage de propagande. Pourtant le premier laïque venu est bien en droit de faire quelques objections tirées du bon sens ; et nous ne voulons pas nous priver de cette satisfaction.

O inconnu, dirons-nous donc à l'auteur, êtes-vous bien sûr que dans votre église, dont vous vantez l'unité magnifique, il n'y ait ni divergences, ni interprétations diverses? Cette unité n'est-elle pas plus apparente que réelle? N'avez-vous pas de temps en temps quelque père Didon pour vous rappeler que, même sous la chape de plomb des dogmes imposés, la liberté individuelle de la pensée fait parfois explosion? Et, en définitive, ne faut-il pas conclure comme Vinet, qui, peu avant sa mort, disait à un ami : « Dans le protestantisme, on peut tout dire et les divergences apparaissent au grand jour; dans le catholicisme, elles n'osent éclater, et sont voilées par un somptueux manteau de pourpre, qui dissimule les plaies aux regards! » Chez vous, l'unité extérieure existe sans doute, mais ce qui importe et ce que nous pouvons trouver dans notre confession, c'est cette unité intérieure et profonde qui se forme par le groupement des éléments homogènes. Ainsi se constitue l'église, la vraie, et il est à penser que le bon Dieu saura reconnaître les siens.

Et si par hasard, ô inconnu, vous niez les divergences profondes qui existent chez vous, nous vous rappellerons que des

divergences ont toujours existé dans l'église chrétienne, à preuve qu'au IIe siècle déjà, Hermas, saint homme dont votre église célèbre la fête le 9 mai, écrivait son livre le Pasteur (ou le Berger). Ce livre, les pères de l'église l'ont couvert d'éloges, Irénée l'appelait un écrit divin, Origène et Saint-Clément d'Alexandrie ne l'admiraient pas moins or ce digne Hermas niait la trinité. Que faites-vous alors de cet hérétique, dans la grande unité catholique qui, suivant vous, remonte aux apôtres ? Vous citez volontiers les pères. Laissez-moi citer à mon tour saint Augustin, qui disait : « Dans ce qui est nécessaire, unité; dans ce qui est douteux, liberté; dans tout

amour. »

Voilà bien de la théologie! Revenons à la littérature et signalons, pour finir, aux amateurs de jolis vers, la seconde édition des Tendresses de M. Fuster, revue et augmentée. Les poètes seraient bien ingrats, s'ils se plaignaient du public de ce temps.

CHRONIQUE SCIENTIFIQUE

Les projectiles à fulmi-coton.

leurs et bateaux sous-marins. Un ascenseur monstre. L'oléoduc.

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- Tramways électriques.

Le sucre à toute sauce.

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La curiosité publique a été vivement surexcitée, depuis quelque temps, par les rumeurs qui ont couru, en France principalement, au sujet de l'application des explosifs modernes à la guerre de siège. On a fait entre autres grand bruit, dans ce pays, d'une nouvelle substance explosive, la mélinite, dont l'effet brisant serait extrême et, d'autre part, on a rappelé que, depuis des années, l'Allemagne possède, ou est censée posséder, des projectiles dont l'éclatement est si puissant, qu'aucun ouvrage de fortification n'y pourrait résister plus de quelques heures.

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