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Chacun de nous le lui promit et, levant nos chapeaux au-dessus de nos têtes, nous la saluâmes d'un joyeux : Vive la Rose des Allesses !

Après une centaine de pas nous nous retournâmes : la jeune fille était rentrée dans le chalet...

Ici l'étudiant s'arrêta court et se baissa pour ramasser quelques belles anémones souffrées qui lui avaient échappé des mains.

Et puis? demanda M. Robert.

Et puis, c'est tout. Je vous avais promis de vous dire quelle charmante découverte nous avions faite sur la montagne, maintenant vous savez ce que c'était. Une femme n'est-elle pas ce qu'il y a de pire ou de meilleur au monde? et Rose Roulier ne doit-elle pas compter parmi les bonnes? Voilà, monsieur, comment il faut voyager en Suisse pour n'y rencontrer ni l'assommante table d'hôte, avec son riz et ses pruneaux, ni les grands cara vansérails, d'où l'on sort écorché vif, ni les nihilistes des deux sexes, ni le flot banal des touristes. Le soir, un train nous a ramenés à Genève d'où je suis reparti aussitôt pour venir à pied jusqu'ici. Un ami m'y avait donné rendez-vous, et c'était convenu avec ma mère, que pour ne déranger personne à cette heure tardive, on laisserait la porte ouverte et le souper prêt. Mon ami n'est pas venu, mais je m'en console en songeant que vous occuperez sa place et pourrez dormir tranquille. Ce n'est pas toujours le cas, je vous l'assure, quand plusieurs étudiants passent la nuit ensemble. Demain vous déjeunerez avec ma famille, puis je vous conduirai aux Trembles, en vous racontant sur la véritable Suisse des choses que beaucoup d'étrangers ignorent encore.

Les fleurs étaient arrangées dans l'eau, la nuit s'avan

çait, les yeux jaunes de l'étudiant prenaient une expression adoucie à laquelle répondaient ceux du voyageur. D'un commun accord on se leva pour se souhaiter une bonne nuit.

En somme, dit M. Robert en serrant la main de son hôte, vous m'aviez parlé d'une aventure sur la montagne et votre histoire n'est point du tout une aventure. En l'arrangeant beaucoup, on pourrait en faire une idylle...

De grâce, monsieur, ne songez pas à en rien faire. Ce n'est qu'un récit simple et vrai, un vrai récit d'étudiant.

Et les étudiants ne passant pas en général pour des personnages d'idylles...

Ceux du quartier latin peut-être, mais quand vous connaîtrez ceux de la Suisse !... A demain, monsieur, et bonne nuit.

M. Robert, introduit dans sa chambre rustique, s'endormit doucement en faisant des comparaisons entre la Suisse des Suisses et celle des étrangers. L'étudiant rêva d'un beau pâturage ensoleillé, tout vert et tout fleuri, où une fillette aux yeux noirs lui servait en souriant des bols de crème.

J. DES ROCHES.

LES VANDERBILT

ET LEUR FORTUNE

SECONDE ET DERNIÈRE PARTIE1

The Vanderbilts and the Story of their Fortune, by W. A. Croffut. in-8°. Londres, 1886.

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VI

C'est en 1842 que William-Henri Vanderbilt s'était établi sur sa petite ferme, au bord de la mer.

Il devait y rester vingt-deux ans, absolument livré à ses propres ressources, comme les paysans d'alentour. Encore était-il peut-être le plus pauvre de tous. Sa maison, petite et très rustique, ne contenait que cinq pièces. Le sol, tout à fait inculte, avait le plus grand besoin d'être fertilisé pour qu'on en pút tirer parti. Heureusement, il n'était pas rocailleux. C'était une lande plate, sablonneuse, aisée à cultiver.

A quelque distance en arrière, un morceau de forêt où l'on trouvait du bois pour les palissades et pour le foyer.

1 Pour la première partie, voir la livraison de janvier.

Le jeune agriculteur se mit à l'œuvre avec la résolution de se tirer d'affaire, coûte que coûte. Il était trop faible de santé pour travailler beaucoup de ses propres mains; mais il s'arrangeait de manière à ce que ses ouvriers employassent bien leur temps. Sa méthode était ingénieuse. Il n'engageait jamais un laboureur qu'à l'essai. Naturellement, le nouveau venu pour se faire valoir déployait les premiers jours toute sa vigueur. Alors le patron mesurait l'ouvrage fait, et l'engageait définitivement, en prenant cette mesure pour base. Toute défaillance était aussitôt punie, et quiconque faisait mine de n'avoir pas le cœur à l'ouvrage, recevait sur l'heure son paquet.

Billy, lui dit un jour le commodore qui lui faisait l'honneur d'une visite, il me semble que vous faites travailler vos gens trop fort.

Ils sont disposés à travailler fort aussi longtemps que je puis les payer en conséquence, répondit l'agriculteur.

Il passait d'ordinaire ses journées avec ses ouvriers et les survellait, assis sur une palissade, un journal à la main. Les voisins riaient de cette nouvelle méthode de cultiver la terre. Les ouvriers aussi. Il avait ordonné à l'un d'eux de réparer la palissade d'un champ qui devait être labouré le lendemain; et le malin compère s'était mis en devoir d'obéir. Seulement, il avait mis en terre le gros bout des pieux, la pointe en haut. De bonne heure, M. Vanderbilt vint voir ce que faisaient ses hommes et tourna tout autour du champ, cherchant un lieu où se poser.

Qu'est-ce que cela veut dire? s'écria-t-il enfin. Pourquoi avez-vous arrangé cette palissade de telle sorte ?

Parce que, répondit l'homme tandis que ses camarades commençaient à rire, parce que de cette manière les gens ne pourront plus venir s'y asseoir et les user.

William Vanderbilt s'acheta un cheval; et désormais c'était du haut de sa monture qu'il surveillait ses gens. Il n'y perdait rien, ce genre de locomotion lui permettant d'aller rapidement d'un bout à l'autre de son domaine, de tout voir par lui-même, et de se passer de messager pour ses commissions.

D'ailleurs tout entier à son affaire, content de sa position, il n'allait presque jamais à New-York. Les soirées se passaient en famille, dans la petite maison au bord de la mer. Et parfois l'après-midi, une course en char sur la longue route plate qui fait le tour de l'île.

Au bout de cinq ans, la petite ferme transformée en jardin fleuri commençait à donner de beaux revenus. Le marché de New-York était un débouché assuré pour tous les produits : légumes, fruits, céréales. Alors l'heureux cultivateur songea à s'agrandir. Un beau morceau de terre était à vendre près de sa propriété. Il fit demander à son père, par l'intermédiaire d'un ami, de lui prêter dans ce but cinq mille dollars.

Non, répondit le commodore. Mon fils est un paresseux et un prodigue; il n'aura jamais rien de moi.

Il fallut qu'un voisin prêtât la somme à ce fils de millionnaire !

Pendant la guerre, William Vanderbilt mit tout son terrain en foin et en pommes de terre, qu'il faisait vendre au camp. Il gagna de la sorte de grosses sommes.

Comme il demandait beaucoup au sol, il fallait qu'il lui rendit beaucoup. Il allait lui-même à New-York acheter du fumier de cheval dans les grandes maisons. Un jour, comme il en prenait un chargement dans une

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