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où le bon sens revendiquait ses droits et demandait une coupure. Ainsi expurgé, et présenté à la génération nouvelle sous ce patronage, à la fois bienveillant et sage, Eggis, avec sa physionomie originale, ses dons heureux, ses écarts même, prend enfin sa place, sinon parmi les maîtres, au moins parmi les plus sincères des romantiques. Les beaux vers abondent dans ce charmant volume; c'est une couronne qui ne se fanera plus, en quelque sorte retrouvée et pieusement déposée sur une tombe solitaire. Ces vers seront répétés par plus d'une voix émue, et assurent désormais au poète, par une réparation tardive, le nom qu'il a vainement ambitionné de son vivant. Et si ce n'était pas assez, la notice que lui a consacrée son biographe et qu'a déjà couronnée l'Institut national genevois suffirait à elle seule à sauver sa mémoire de l'oubli, comme elle garantit le succès du livre.

F. D.

LES MAITRES ITALIENS AU SERVICE DE LA MAISON D'AUTRICHE. LEONE LEONI, Sculpteur de Charles-Quint, et POMPEO LEONI, sculpteur de Philippe II, par M. Eugène Plon. -1 vol. grand in-4°. Paris, Plon, 1887.

M. Eugène Plon ne se lasse pas dans ses savantes recherches. Après sa magistrale étude sur Benvenuto Cellini, voici un nouveau travail, un non moins remarquable monument, élevé de ses mains à la mémoire de Leone Leoni et de son fils Pompeo. Ce n'est pas tant une réhabilitation qu'une véritable résurrection, car ces noms, bien qu'illustres, avaient pour ainsi dire disparu de l'histoire de l'art. Très en vue au XVIe siècle comme sculpteurs attitrés de la maison impériale, ces deux maîtres italiens n'étaient plus guère connus aujourd'hui que d'un cercle restreint de curieux et d'érudits. Leur renommée avait pâti de ce que la plupart de leurs œuvres, enfouies en Espagne, s'étaient trouvées, dès l'origine, en dehors des routes battues où se pressent les touristes, et s'étaient ainsi dérobées aux regards de la foule. Les circonstances de leur vie n'étaient pas moins ignorées et leur personne, aussi bien que leur gloire, semblait reposer pour toujours dans le silence de la tombe.

Mais par ce temps d'ardentes investigations, le passé, fouillé

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sans trève ni repos, rend tous ses morts. Chercheur infatigable, M. Eugène Plon ne s'est pas contenté de réunir ce qu'on possédait déjà de renseignements épars sur les deux Leoni, il a eu la bonne fortune de mettre la main, dans les archives de Madrid, sur de nombreux documents inédits, riches en informations nouvelles. Grâce à ces sources et en particulier aux nombreuses lettres conservées de ces artistes, il a pu, non seulement reconstituer l'histoire de leur vie, mais encore, en les laissant parler eux-mêmes, la présenter sous la forme plus vivante d'une véritable autobiographie. Le critique n'a eu, en quelque sorte, qu'à coordonner et à élucider ces matériaux divers, ce qu'il a fait avec la sûreté de jugement et la compétence qui le distinguent, et ainsi s'est trouvé tout élaboré un livre du plus haut intérêt.

Rien de curieux, en effet, comme ces pages détachées de l'âme même de ces maîtres italiens du XVIe siècle, car en nous faisant pénétrer dans leur atelier et dans leur existence tourmentée, elles nous révèlent en même temps tout le désordre social de l'époque. Recherchés par les princes, exaltés par les louanges, ivres d'orgueil, ces privilégiés de l'art sont aussi féroces dans leurs haines que débordants de satisfaction personnelle dans l'appréciation de leurs œuvres. Comme Cellini, son contemporain et son rival détesté, Leone Leoni manie la dague aussi bien que le ciseau du sculpteur et n'hésite pas, pour assouvir ses vengeances, à recourir aux plus noirs guetapens. Mais le relâchement des mœurs publiques et l'indulgence pour le talent couvrent tout. Condamné aux galères pour ses méfaits, ses fers tombent, sur l'ordre de Doria, et ne l'empêchent pas d'être comblé de faveurs et anobli par CharlesQuint, de même que plus tard, après avoir lardé de coups de poignard le fils du Titien, son ami, et avoir failli réussir à l'assassiner, il n'est pas moins appelé à Rome par Pie IV et chargé par lui d'élever, dans la cathédrale de Milan, le mausolée de son frère, le marquis de Marignan.

Si cette monographie fait revivre les personnages, en les laissant se peindre eux-mêmes, les planches qui l'illustrent, eaux-fortes et dessins de Le Rat, héliogravures de Dujardin, prodiguées avec un luxe généreux, mettent sous les yeux du lecteur l'œuvre entier des deux Leoni, et en accentuent l'unité,

car bien que le père ait vécu surtout à Milan et le fils à Madrid, ils sont inséparables et la mort seule a rompu leur collaboration. Ce qu'ils ont produit est considérable : médailleurs hors ligne, orfèvres, ciseleurs, ils n'ont pas tardé à couler leur pensée dans le bronze et même à attaquer le marbre; mais, aux gages de la maison d'Autriche, ils ont été absorbés par elle, et leur inspiration s'en est ressentie. Leurs grandes statues et leurs diverses effigies de Charles-Quint, de Philippe II et des membres de la famille impériale, ainsi que les solennels tombeaux de l'Escurial, portent comme une estampille officielle qui les pétrifie. Grands sculpteurs, ils l'ont été incontestablement, mais, chez eux, la vivacité de la conception et la chaleur de la main sont trop au service d'un idéal dont l'apparat et la pompe font les frais. On sent déjà que la décadence est proche et que l'ardent souffle de la Renaissance va se figer dans la règle et la convention. Ces deux maîtres n'en ont pas moins une physionomie à eux; ils se détachent en vigueur sur leur entourage, et s'ils reprennent aujourd'hui la place qui leur appartient, leur biographe certainement y est pour sa bonne part. F. D.

A TRAVERS LES MANSARDES ET LES ÉCOLES, par Amélie Pollonais. 1 vol. in-12, illustré par Menta. Paris, Didier, 1886.

Voici un livre qui ne s'inquiète guère d'être écrit suivant les recettes à la mode. On n'y trouve ni intrigue savamment ourdie, ni événements extraordinaires, ni style tourmenté visant à l'effet. Mais si l'auteur doit renoncer à voir son œuvre parvenir à la cent cinquantième ou deux centième édition comme les romans de M. Zola ou de M. Ohnet, il peut se rendre cette justice qu'il a fait une œuvre sincère, une œuvre saine, et, ce qui revient au même, une bonne action. S'inspirant d'un mot de Goethe qui recommande de noter avec soin les menus faits de la vie quotidienne, Mme Pollonais raconte simplement ce qu'elle a vu chaque jour dans ses visites aux pauvres et aux malades. Elle n'avait pas songé d'abord à publier ces notes, ces impressions recueillies peu à peu, mais en les relisant elle a pensé « qu'il était naturel de laisser entendre ce cri de pitié qu'arrache au cœur la vue de tant de

maux, et qu'il était juste de rendre hommage au courage et à la vertu du pauvre. »

De là ce livre, dicté non par le vain souci de la gloire ou de l'approbation des lettrés, mais par l'invincible élan d'une âme pleine de tendresse et de commisération. Ce n'est point une rêveuse qui écrit ces pages, c'est une femme qui paye de sa personne et de son temps. Elle parle à plusieurs reprises de cette ardeur d'action utile qui trouve une satisfaction sans égale dans celle qu'on veut procurer à autrui. Ni les fatigues de la tâche ni l'ingratitude ou l'indifférence ne sauraient refroidir son zèle. On trouve chez les pauvres tant de nobles vertus humblement pratiquées, tant de résignation, tant de dévouement! Et puis, y a-t-il rien de plus doux que d'apporter à ces déshérités un peu de bonheur, un peu de sympathie? En s'approchant d'eux, dit Mme Pollonais, on frôle cette joie apportée et on la reprend; c'est un échange, et je ne sais trop quel est le plus obligé : celui qui reçoit, ou celui qui donne; le rayon apporté au pauvre est un soleil rendu au riche.

Cette pensée n'a sans doute rien de bien nouveau, mais il est bon de s'y arrêter; il est bon de visiter avec notre charitable guide ces mansardes froides et désolées, et de méditer ses petits récits éloquents par leur simplicité même. A leur lecture on sent l'émotion nous envahir, les larmes nous montent aux yeux: il ne faut point les empêcher de couler. L'âme humaine doit vibrer à de tels spectacles, et ils valent plus et mieux que les drames inventés par les plus habiles romanciers.

Dans la seconde partie de son livre, Mme Pollonais s'occupe de l'éducation des enfants. Elle cherche dans l'intelligence de l'enfant ce qu'elle veut lui apprendre, et elle apprend ellemême à son école à penser et à écrire. Ce n'est point ici le lieu de discuter les théories éducatives préconisées dans cet ouvrage ; ce qu'on peut dire, c'est que l'auteur aime les enfants et les comprend à merveille. Il met sous nos yeux des lettres de petites filles et de petits garçons, bien charmantes dans leur grâce naïve.

Nous n'avons garde d'oublier les croquis dont Mme Menta a illustré ce volume. Voici des intérieurs de maisons de pêcheurs, avec leur pittoresque mobilier de nasses et de filets; voici dans

son fauteuil un pauvre petit malade dont le regard rêveur semble déjà chercher les splendeurs promises du ciel; voici une noce de village dansant sur l'herbe, à l'ombre des grands arbres; voici une de ces rues voûtées, étroites et mystérieuses que l'on rencontre dans les villes du midi, et, à la page suivante, voici un paysage étincelant de lumière, un paysage de la Provence, avec des aloès et des pins parasols. Dans ces tableaux si variés, Mme Menta fait preuve d'un talent d'une rare souplesse. Tout ces croquis ont un point commun on y sent vibrer l'âme émue et tendre d'une véritable artiste. Il est à regretter seulement que le petit format du livre n'ait pas laissé à ces charmants dessins une marge suffisante pour qu'on puisse les apprécier à leur juste valeur. A. B.

A FEW TRANSLATIONS FROM VICTOR HUGO AND OTHER POETS, by Mary Charlotte Chavannes. -1 vol. in 16. London, Kegan Paul, 1886.

Il faut une hardiesse peu commune pour s'attaquer à quelques-uns des chefs-d'œuvre de la poésie française et allemande, et chercher à en faire passer dans des vers anglais la signification, l'élégance et la beauté. C'est pourtant ce que vient d'entreprendre une Anglaise établie dans le canton de Vaud et devenue depuis longtemps notre compatriote, Mme Alexandre Chavannes.

Le choix des poètes et des morceaux est évidemment en rapport avec la personnalité du traducteur. La forme est variée et remarquablement heureuse, l'inspiration toujours pure et noble. Le lecteur est entraîné doucement, comme un bateau qui glisse sur la Tamise, berçant le promeneur insoucieux des rapides sous la chute des feuilles de saules. Le ton, doux et gracieux, tourne aisément à la mélancolie. Il est souvent question de mort et de tombeaux.

On ne nous croirait pas, si nous prétendions que la reproduction anglaise rend complète justice aux plus sublimes conceptions du génie de Victor Hugo, par exemple au fameux fragment de Napoléon 11 qu'on pourrait intituler Demain. Mais ici le lecteur anglais sera plus indulgent que nous, n'ayant pas dans la mémoire la splendide musique du poète qu'en notre

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