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respondance qui précéda et suivit les fiançailles. Ses deux volumes contiennent principalement les lettres de Carlyle à sa famille et à ses camarades de collège. A celles-là il n'y a rien à objecter, et l'impression produite sur le lecteur est toute à l'honneur de Carlyle. Il n'a jamais vu le monde et la vie en rose, il n'a jamais eu l'humeur commode; toutefois, dans sa première jeunesse, les déceptions et les maux d'estomac ne lui avaient pas encore donné l'amertume et l'irritation maladive qui rendirent les relations avec lui si pénibles dans la seconde partie de sa vie. Il aimait déjà beaucoup plus à critiquer qu'à louer il était encore presque cordial. Sa mémoire n'avait en somme qu'à gagner à la publication de M. Norton et c'est sans doute ce qui justifie ce dernier à ses propres yeux d'avoir ouvert, lu et imprimé le paquet: A brûler.

Nous avons cité un jour, parmi les exemples d'existences pittoresques offerts par notre siècle, l'amiral Hobart-Pacha, cadet du comte de Buckinghamshire, grand coureur d'aventures et célèbre dans toutes les mers par ses entreprises hardies et extraordinaires. Cet homme épique, en qui avait ressuscité le type des anciens corsaires, adapté aux mœurs et à la morale modernes, avait écrit des mémoires qui viennent d'être publiés1. Voilà un livre vivant. On ne comprend jamais, en arrivant à la fin d'une journée, comment le héros est encore en vie. Cela n'a tenu qu'à un cheveu, et ce cheveu a été vingt fois sur le point d'être coupé, tantôt par un obus, tantôt par le poignard d'un brigand, tantôt par les dents d'un requin. Le lecteur en perd la respiration et se dit qu'il faut vraiment que certains hommes aient plus que leur part de chance pour ne pas être morts et pouvoir raconter eux-mêmes des aventures aussi périlleuses.

Les débuts de Hobart-Pacha au feu prouvent qu'il faut donner aux très jeunes gens le temps d'en rappeler lorsqu'ils ont été trop émus par le premier coup de canon. C'était devant Saint-Sébastien. Les Anglais s'étaient portés au secours de la reine Christine, en lutte avec don Carlos. Un obus tomba au milieu du groupe dont faisait partie le jeune Hobart, à ce moment dans la marine britannique. Je pensai, raconte-t-il,

1 Sketches from my life.

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qu'il allait éclater (ce qui arriva en effet), et je tombai sur le nez. Lord John Hay, qui se trouvait tout à côté de moi, m'allongea un grand coup de pied en disant : « Voulez-vous bien » vous lever, petit polisson de poltron! N'avez-vous pas honte? Je me relevai, et j'eus honte. Depuis ce jour-là, je n'ai jamais été sévère pour ceux qui bronchaient à leur premier feu. Mon orgueil m'aida à sortir de ce mauvais pas et je ne bronchai plus. Le combat fut des plus violents pendant environ une heure. Peu à peu, je cessai tout à fait d'avoir peur ; je ne sentais plus que l'excitation et la colère, et lorsqu'enfin l'ennemi recula en désordre (j'y étais évidemment pour une bonne part!), j'étais d'un fier! »

Une des périodes les plus mouvementées, et ce n'est pas peu dire, de sa carrière, fut celle où il fit la chasse aux négriers. Il y a surtout une certaine histoire qui est tout à fait délicieuse. Hobart n'y joue pas le premier rôle, ce qui lui permet de donner libre cours à son admiration pour un exploit dont il déclare n'avoir jamais vu le pendant.

Les Anglais avaient déguisé plusieurs bateaux en barques de pêche, les équipages en pêcheurs, pour surprendre un négrier. L'une des barques rasa le brick suspect sans pouvoir l'aborder. Il sembla à Hobart, qui se trouvait assez loin dans un autre bateau, qu'un des hommes de la barque avait sauté au passage sur le brick et qu'il y avait eu un coup de feu de tiré, mais il n'avait pu se rendre bien compte de ce qui arrivait. Grande fut la surprise des faux pêcheurs, lorsqu'ils virent le négrier s'arrêter et les attendre. Ils firent force de rames et montèrent à l'abordage.

« Nous nous précipitâmes à bord du brick et nous nous en emparâmes après une légère résistance, pendant laquelle deux ou trois hommes de notre parti furent blessés, dont moi. Nous trouvâmes là notre lieutenant, A. C, tranquillement installé au gouvernail, qui était une grande barre de bois. C'était lui qui avait sauté, tout seul, à bord du brick. Il avait tué le timonier d'un coup de pistolet et pesé sur la barre du gouvernail avec sa jambe, tandis qu'il menaçait de tuer avec son autre pistolet quiconque oserait le toucher. »

C'était le lieutenant A. C" qui avait arrêté le négrier, et il avait réussi à tenir assez longtemps l'équipage en respect pour

donner aux siens le loisir d'arriver et de monter à l'abordage.

Et le jour où Hobart a été cloué sur sa selle par le grand couteau d'un brigand! Et celui où il a manqué assommer un requin en tombant de son bateau dans la mer! Il faut lire tout cela dans l'original. Les mémoires d'Hobart-Pacha sont destinés à faire le bonheur de plusieurs générations d'écoliers, et aussi de leurs parents.

Il devient à la mode pour les nations d'avoir une Ecole d'Athènes. Les Allemands ont imité les Français. Les Anglais et les Américains suivent les Allemands, non sans quelques difficultés. La mise en marche d'un établissement de ce genre n'est pas facile à plusieurs égards, et nous en faisons en ce moment l'expérience, les Etats-Unis de même.

L'Ecole française a été créée dans des conditions tout à fait favorables. Elle est l'œuvre du gouvernement de son pays, qui lui fournit en la fondant, il y a de cela juste quarante ans, toutes les ressources nécessaires à un bon fonctionnement. Elle eut de l'argent; elle fut dirigée par des savants de premier ordre; l'Ecole normale lui fournit des élèves admirablement préparés; bref, elle a eu dès le début tout ce qu'il fallait pour réussir.

On peut en dire autant de l'Ecole allemande, pour laquelle l'Allemagne n'a rien ménagé et dont le personnel se recrute parmi une immense et superbe pépinière de savants et de futurs savants.

L'Ecole anglaise, au contraire, est une fondation privée. Les bâtiments en ont été commencés il y a trois ans avec une centaine de mille francs provenant de souscriptions. Ils sont aujourd'hui achevés, mais ils n'avaient pas encore été habités lorsque le Comité et les souscripteurs décidèrent de tenir une assemblée générale à Londres, afin d'aviser aux moyens d'organiser l'Ecole.

Il fallait tout d'abord lui assurer de quoi subsister. L'Université d'Oxford promit de donner 2500 francs, la Société hellénique autant. En ajoutant les souscripteurs isolés, le tout réuni formait un total d'environ 10 000 francs, lesquels devaient faire face à tous les frais quelconques. C'était évidemment très insuffisant. Le moyen, avec 10 000 francs, de lutter contre l'Ecole française, par exemple, qui est dotée de façon

qu'un jeune homme sans fortune y soit à l'abri de tout souci matériel, ou avec l'Ecole allemande, qui met si libéralement à la disposition des travailleurs tous les moyens d'information! On s'est pourtant résolu à ouvrir dans ces conditions d'infériorité, et les raisons qui ont emporté la décision étaient assez bonnes. On a fait valoir qu'un établissement qui existerait, dont on entendrait parler, intéresserait beaucoup plus le public qu'un établissement en projet. Or, le point capital est d'intéresser le public à l'Ecole anglaise d'Athènes, puisqu'on compte presque uniquement sur lui pour la faire vivre.

L'assemblée générale a donc été de l'avant comme si 10000 fr. n'étaient pas une simple goutte d'eau pour une œuvre de ce genre. Actuellement l'Ecole anglaise d'Athènes a un directeur, un Comité chargé d'élaborer un règlement, un trésorier habitant Londres et qui se fera un plaisir de recueillir les souscriptions1, etc.

L'Ecole américaine a aussi ses peines. Toutefois, celles-ci proviennent de toute autre cause que de pénurie. L'Ecole est pourtant, elle aussi, une fondation privée, mais les Américains donnent si largement, on peut dire si princièrement, pour tout ce qui touche à l'instruction, qu'aucun gouvernement peut-être n'aurait procédé avec autant de munificence que les souscripteurs pour l'Ecole d'Athènes. L'écueil n'est donc rien moins que le manque de fonds. L'écueil est aux Etats-Unis.

Ceux-ci sont trop jeunes et ont eu trop de choses pratiques et pressées à faire, pour donner encore beaucoup de temps aux études que les savants en herbe des vieux pays européens vont perfectionner en Grèce. Tandis que les élèves de l'Ecole allemande ou française sont des jeunes gens pourvus d'un bagage littéraire et érudit très complet, de quasi savants, à point pour faire des découvertes archéologiques ou des travaux originaux sur l'antiquité, les élèves de l'Ecole américaine sont presque des collégiens. Ils s'occupent à Athènes à perfectionner leur grec, ou à d'autres études fort utiles assurément, mais qui se seraient faites tout aussi bien à Berlin, Paris ou Oxford. En un mot, l'Ecole manque à sa destination. On ne voit guère, d'après ce qui s'y apprend, pourquoi elle est en Grèce plutôt qu'à Boston.

1 Le trésorier est M. Walter Leaf, Old Change, E. C.

On assure que la médiocrité des résultats obtenus jusqu'ici tient aussi aux directeurs de l'Ecole, qui changent tous les ans et ne réunissent pas, eux non plus, toutes les qualifications de leurs collègues de France et d'Allemagne. Il est indéniable que l'usage des directeurs annuels est perfide pour une institution semblable; chaque directeur s'en va au moment où il commençait à être au courant. Quant aux questions de personnes, on comprendra que nous n'ayons nul désir de nous en mêler. C'est l'affaire des professeurs et savants américains. Ils ont là-dessus, depuis plusieurs mois, des discussions qui tournent çà et là à l'aigre-doux.

CHRONIQUE RUSSE

Le nouvel ambassadeur de la république française. Les écrivains russes depuis Gogol, par Oreste Müller.

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Les détraqués.

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- Les

Les suicides.
Le monument de la

guerre de Bulgarie. La phase critique de la littérature russe.

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Le ciel s'est éclairci, non pas le ciel physique, qui, au moment où j'écris, est d'un gris nébuleux à faire envie à certaines œuvres philosophiques d'origine allemande, mais le ciel diplomatique. L'ambassadeur de Russie a repris son poste à Paris, et la France nous a envoyé un ambassadeur sérieux, le fils de l'auteur de Paris en Amérique et du Prince Caniche, l'un de ces enfants sans doute pour lesquels le savant professeur de législation comparée composait ces charmants contes qui font le bonheur des jeunes générations. On l'a enlevé à Madrid pour nous le donner, mais il n'est pas un inconnu pour les Pétersbourgeois qui l'ont vu déjà figurer parmi eux dans le corps diplomatique. Il s'est montré bien inspiré dès le début : il a commencé par se mettre en rapport avec la colonie française en convoquant l'association de bienfaisance et les princi

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