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une main secourable au malheureux et l'aider à sauter sur le pont. Il courut en souriant embrasser sa mère qu'il avait entrevue parmi les voyageurs. Les autres, moins heureux ou moins tenaces, battirent en retraite sous une grêle de projectiles et de coups. »

- Un architecte berlinois, M. Boeckmann, a été chargé par le mikado du Japon de construire dans sa capitale un certain nombre d'édifices publics : un palais pour l'empereur, un pour le parlement (le Japon aura bientôt son assemblée législative), un pour la police, une gare centrale, etc. M. Boeckmann a étudié avec soin les matériaux fournis par le Japon; il emploiera pour ses bâtisses le granit, le fer et le bois. Le style sera emprunté à la renaissance italienne, avec les modifications qu'imposent le climat et les coutumes nationales. On va, dit-on, mettre la main à l'oeuvre.

L'appel de M. Boeckmann est évidemment une conséquence de la transformation de Berlin en une des plus belles villes de l'Europe. Il y a vingt-cinq ans, le mikado se fût adressé à M. le baron Hausmann.

CHRONIQUE ANGLAISE

Lettres de jeunesse de Carlyle. Quelques réflexions sur l'indiscrétion. Cor

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Il a été assez souvent question dans cette chronique de Carlyle et des publications désobligeantes de M. Froude sur son ancien ami, pour que nous puissions présenter sans préambule aux lecteurs de la Revue les deux volumes publiés par le professeur Norton sous ce titre Lettres de jeunesse de Thomas Carlyle1. Il suffira de dire que M. Norton se présente 1 Early letters of Thomas Carlyle.

avec les allures d'un éditeur officieux, chargé par la famille et les amis de détruire, autant que possible, les mauvaises impressions laissées dans le public par les livres de M. Froude.

Les bonnes intentions de M. Norton n'empêchent point qu'il n'ait remis sur le tapis une question qui devient irritante et qu'il a tranchée, selon moi, dans le mauvais sens. Je veux parler du secret des correspondances privées. Ce secret n'existe pour ainsi dire plus aujourd'hui. Le corps d'un homme connu est à peine refroidi, que ses lettres les plus intimes sont chez l'imprimeur, accompagnées parfois des lettres des autres. hommes connus avec lesquels il était en relations. J'ai eu dans mon entourage, il y a quelques années, un exemple de cette dernière sorte d'indiscrétion. Un écrivain de ma connaissance a été un jour surpris et indigné de trouver des lettres de lui, familières et point du tout destinées à être jamais imprimées, dans la correspondance d'un savant célèbre, mort récemment. L'éditeur du savant célèbre avait jugé superflu de demander aux amis du mort la permission de livrer leurs lettres au public.

M. Norton a fait pis encore. Il avait trouvé dans les papiers de Carlyle un paquet de lettres sur lequel était écrit, de la main du célèbre historien, ces propres mots : « Mon ordre absolu est de les brûler, si on les trouve. Qu'aucun tiers ne les lise; que jamais aucun de ceux qui m'aiment ne pense à en imprimer1 une ligne quelconque. » On comprendra cette adjuration solennelle lorsqu'on saura que le paquet contenait les lettres de Jane Welsh, la future Mme Carlyle. S'il y avait une correspondance qui dût paraître sacrée, c'était celle-là.

M. Norton en eut conscience, car il dépeint la répugnance avec laquelle il ouvrit le paquet et le respect presque religieux avec lequel il se mit à lire. Cependant, cette répugnance et ce respect le menèrent, en définitive, à la conclusion que le fruit défendu n'allèche pas moins fortement l'humanité qu'aux premiers jours de la création. Tout lecteur éprouve un petit frisson de plaisir à l'idée qu'il va commettre au coin de son feu, bien tranquillement et sans qu'il puisse lui en arriver de mal, un gros péché d'indiscrétion; qu'il va savoir comment parlait ce sanglier écossais (car M. Norton publie aussi les En italique dans l'original.

lettres de Carlyle), quand il était amoureux, pénétrer dans le for intérieur d'une jeune fille exquise et surprendre les fluctua tions de son âme au moment où elle se détache d'une première affection et cède à une seconde. Tout cela est assurément fort amusant, mais, si la famille ne pouvait se décider à brûler ce paquet, il fallait le mettre en lieu sûr, de façon qu'il ne pût être ouvert avant un siècle au moins.

Je ne suis pas, en effet, d'une vertu assez farouche, en matière de discrétion, pour exiger qu'on jette dans la cheminée tous les papiers et correspondances sur lesquels on trouve écrit: A brûler. » Quand il s'agit de personnages célèbres, on a le droit d'hésiter à consommer le sacrifice. Virgile avait ordonné par son testament de livrer l'Eneide aux flammes : personne n'en veut à Auguste d'avoir sauvé le manuscrit inachevé. Toutefois, quand il s'agit de papiers d'une nature intime, le devoir strict est d'en ajourner la publication à un temps assez éloigné pour qu'ils soient devenus des documents d'histoire, aussi indifférents aux cancaniers des salons qu'ils sont précieux au critique et à l'érudit.

L'éditeur des Lettres de jeunesse a pour excuse d'avoir obéi à une coutume qu'on peut dire entrée dans les mœurs, bien qu'elle soulève encore de temps à autre des protestations aussi inutiles que celles de cette chronique. Ajoutons à sa décharge qu'il a cru être utile à la mémoire de Carlyle et qu'il a été indiscret avec discrétion, ne donnant qu'un choix des lettres.

Le Carlyle de la correspondance avec miss Welsh n'est pas très différent de celui qu'on connaissait jusqu'ici. Sans doute, il ne se montre pas à la femme dont il désire gagner le cœur sous sa physionomie légendaire d'illustre grincheux; mais il lui écrit parfois du même style métaphorique et apocalyptique qui est familier aux nombreux lecteurs de sa Révolution française. Le naturel n'était décidément pas dans ses cordes. Voici un échantillon de la prose de Carlyle amoureux.

Souvent l'homme studieux erre dans la solitude parmi des régions rocheuses et tempêtueuses; mais, quelquefois une scène aimable frappe ses yeux, tout aussi bien que les yeux d'un autre, et le touche plus vivement qu'elle ne toucherait un autre. Quelque vallée charmante et écartée, paisiblement tapie parmi les montagnes arides de la vie, si verte, si sou

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riante, si embaumée,

si semblable à un foyer et à un lieu

de repos pour l'esprit fatigué, que sa seule vue est le bonheur; l'atteindre serait trop; ce serait ramener l'Eden sur la terre et faire réellement de la Mort ce qu'en font les poltrons lorsqu'ils l'appellent l'ennemie de l'homme. »

Il fallait avoir la vocation d'être Mme Carlyle pour se sentir le cœur remué par ce lyrisme. Heureusement tout n'est pas dans ce style. Voici la première lettre de Carlyle, alors qu'il n'était encore que l'ami et un peu le professeur de miss Welsh, dirigeant ses lectures et s'amusant à la développer.

« Chère madame,

--

. C'eût été un spectacle agréable pour Méphistophélès ou quelqu'un de ses frères noirs de suie, aux yeux desquels j'imagine que notre vie agitée a l'aspect d'une vraie Farce, seulement un peu ennuyeuse de temps en temps, que d'observer mes sentiments, l'autre soir, avant d'avoir ouvert votre paquet et après l'avoir ouvert de voir avec quelle rapidité nerveuse je défaisais l'enveloppe grise; comment je bousculais les malheureux livres; comment je les secouais et cherchais dedans, et comment j'ai trouvé : Les compliments » de miss Welsh à M. Carslile, un gentleman dans lequel il ne fallait pas peu de sagacité pour découvrir mon représentant ! En somme, je crois que vous avez bien fait de me traiter ainsi. J'avais rêvé et espéré; mais quel droit avais-je, moi, d'espérer, ou même de souhaiter? Je crains que ces derniers volumes de l'Allemagne ne vous aient embarrassée. Le troisième, surtout, est très mystérieux, çà et là tout à fait absurde. N'y faites pas grande attention. Nohden n'est pas arrivé, les bateaux de Londres étant tous retardés faute de vent. J'espère qu'il arrivera à temps pour que nous puissions commencer Lessing, Schiller et le reste pour octobre. J'avais cent mille choses à vous dire, mais maintenant, je suis hors d'état d'en trouver une seule. Ces compliments les ont mises à peu près toutes en fuite il ne me reste guère qu'une sorte d'écho mélancolique de ce qui fut.

Infantumve animae, flentes in limine primo.

› Edward Irving1 et moi nous irons à Annandale vers le 1er août; lui pour deux semaines, moi pour autant de mois. L'objet de la première affection de miss Welsh.

BIBL. UNIV. XXXIII.

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En attendant, s'il est quelque autre livre que je puisse vous procurer, ou quelque service quelconque que je sois le moins du monde à portée de vous rendre et qui puisse vous causer une satisfaction, même la plus minime, je vous supplie de me le faire savoir. Ce ne sont pas là de simples palabra; c'est le désir de vous servir, désir qui devra, je le crains, rester vain, mais qui n'en part pas moins du fond du cœur. Adieu ! » Votre ami affectionné,

» THOMAS CARLYLE. »

Qu'on ne s'étonne pas de voir Carlyle parler latin à une jeune fille Jane Welsh était bonne latiniste.

Nous citerons un dernier fragment, très beau celui-là, écrit lorsque la cour de Carlyle se fut tout à fait dessinée et qu'il s'agit pour la jolie Jane Welsh, habituée aux gâteries et aux élégances, de décider définitivement si elle se sentait le courage d'affronter la pauvreté et un caractère incroyablement difficile pour être la femme d'un homme supérieur.

« Dans votre situation actuelle, vous avez à choisir entre deux choses vous pouvez être une belle dame à la mode, l'ornement des salons et des fêtes dans votre province, la femme de quelque homme prospère qui vous aimera bien et vous donnera tout ce qui a le plus de prix pour les esprits vulgaires; ou bien vous pouvez considérer la poursuite de la vérité et de la beauté mentale comme le bien suprême et vous en remettre du reste à la fortune, bonne ou mauvaise. Le choix est important et exige vos réflexions les plus calmes et les plus sérieuses. Je crois néanmoins que vous avez décidé en femme prudente non moins qu'en héroïne. Je n'ose promettre que votre vie sera libre de chagrins; prenez le monde comme il vous plaira, des chagrins profonds attendent les âmes comme la vôtre mais vous aurez aussi des plaisirs nobles et la grande fin de votre être sera réalisée. D'autre part, je ne vois pas comment vous pourriez vous en tirer avec le monde en étant une belle dame à la mode, fût-ce avec une extrême modération; quelques années suffiraient pour vous faire trouver une vie pareille tout à fait écœurante; vous commenceriez par être malheureuse et vous finiriez par cesser d'être aimable. »

J'ai dit que M. Norton n'avait donné qu'un choix de la cor

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