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ples sont appelés au conseil du Dieu d'Abraham, parce que les puissants dieux de la terre sont bien plus importants qu'on ne le croit (1).

Mais il est vrai aussi que « parmi tous ces « dieux, il n'en est pas un qui puisse se com<< parer au SEIGNEUR, et dont les œuvres ap<< prochent des siennes.

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Puisque le ciel ne renferme rien de <<< semblable à lui, que parmi les fils de Dieu, « Dieu même n'a point d'égal; et que, d'ail«<leurs, il est le seul qui opère des mi<< racles (2).

Comment donc ne pas croire que le Paganisme n'a pu se tromper sur une idée aussi universelle et aussi fondamentale que

(1) Quæ Pater ut summå vidit Saturnius arce,
Ingemit, et referens fœdæ convivia mensæ
Ingentes animo et dignas Jove concipit iras,
Conciliumque vocat tenuit mora nulla vocatos....

Dextrå læváque deorum

Atria nobilium valvis celebrantur apertis....

Ergo ubi marmoreo Superi sedère recessu,

Celsior ipse loco, etc.

(JOVID., Métam. II.

Principes populorum congregati sunt cum Deo Abraham : quonium dii fortes terræ vehementer elevati sunt. (Ps. XLVI, 10.)

(2) Non est similis tut in diis, DomINE; et non est secundùm opera tua. (Ps. LXXXV, 8.)

Quis in nubibus (sur l'Olympe) æquabitur Domino; similis erit Deo in filiis Dei? (Ps. LXXXVIII, 7.)

Qui facit mirabilia solus. (Ps LXXI, 18.)

celle des sacrifices, c'est-à-dire de la rédemption par le sang? Le genre humain ne pouvait deviner le sang dont il avait besoin. Quel homme livré à lui-même pouvait soupçonner l'immensité de la chute et l'immensité de l'amour réparateur? Cependant tout peuple, en confessant plus ou moins clairement cette chute, confessait aussi le besoin et la nature du remède.

Telle a été constamment la croyance de tous les hommes. Elle s'est modifiée dans la pratique, suivant le caractère des peuples et des cultes; mais le principe paraît toujours. On trouve spécialement toutes les nations d'accord sur l'efficacité merveilleuse du sacrifice volontaire de l'innocence qui se dévoue elle-même à la divinité comme une victime propitiatoire. Toujours les hommes ont attaché un prix infini à cette soumission du juste qui accepte les souffrances; c'est par ce motif que Sénèque, après avoir prononcé son fameux mot: Ecce par Deo dignum! vir fortis cum mald fortuna compositus (1), ajoute tout de suite: UTIQUE SI ET PROVOCAVIT (2).

(1) Voyez le grand homme aux prises avec l'infortune! ces deux lutteurs sont dignes d'occuper les regards de Dieu. (Sen. De Provid., 11.), (2) Du moins si le grand homme a provoqué le combat. (Ibid.)

Lorsque les féroces geôliers de Louis XVI, prisonnier au temple, lui refusèrent un rasoir, le fidèle serviteur qui nous a transmis l'histoire intéressante de cette longue et affreuse captivité lui dit : Sire, présentez-vous à la convention nationale avec cette longue barbe, afin que le peuple voie comment vous étes traité.

Le roi répondit: JE NE DOIS POINT CHERCHER A INTÉRESSER SUR MON SORT (1).

Qu'est-ce donc qui se passait dans ce cœur si pur, si soumis, si préparé ? L'auguste martyr semble craindre d'échapper au sacrifice, ou de rendre la victime moins parfaite : quelle acceptation! et que n'aurait-elle pas mérité !

On pourrait sur ce point invoquer l'expérience à l'appui de la théorie et de la tradition; car les changements les plus heureux qui s'opèrent parmi les nations sont presque toujours achetés par de sanglantes catastrophes dont l'innocence est la victime. Le sang de Lucrèce chassa les Tarquins, et celui de Virginie chassa les Décemvirs. Lorsque

(1) Voy. la Relation de M. Cléri. Londres, Baylis, 1795; in-8°, pag. 175,

deux partis se heurtent dans une révolution, si l'on voit tomber d'un côté des victimes précieuses, on peut gager que ce parti finira par l'emporter, malgré toutes les apparences contraires.

Si l'histoire des familles était connue comme celle des nations, elle fournirait une foule d'observations du même genre: on pourrait fort bien découvrir, par exemple, que les familles les plus durables sont celles qui ont perdu le plus d'individus à la guerre. Un ancien aurait dit : « A la terre, à l'enfer, ces << victimes suffisent (1). » Des hommes plus instruits pourraient dire : Le juste qui donne sa vie en sacrifice verra une longue postérité (2).

Et la guerre, sujet inépuisable de réflexions, montrerait encore la même vérité, sous une autre face; les annales de tous les peuples n'ayant qu'un cri pour nous montrer comment ce fléau terrible sévit toujours avec une violence rigoureusement proportionnelle aux vices des nations, de manière que, lorsqu'il

(1) Sufficiunt Dis infernis terræque parenti. (Juv. Sat. viii, 257.) (2) Qui iniquitatem non fecerit.... si posuerit pro peccato animam suam, videbit semen longævum. ( Is. LIII, 9, 10.)

y a débordement de crimes, il y a toujours débordement de sang. Sine sanguine non fit remissio (1).

La rédemption, comme on l'a dit dans les Entretiens, est une idée universelle. Toujours et partout on a cru que l'innocent pou vait payer pour le coupable (utique si et provocavit ); mais le Christianisme a rectifié cette idée et mille autres qui, même dans leur état négatif, lui avaient rendu d'avance le témoignage le plus décisif. Sous l'empire de cette loi divine, le juste (qui ne croit jamais l'être) essaie cependant de s'approcher de son modèle par le côté douloureux. Il s'examine, il se purifie, il fait sur lui-même des efforts qui semblent passer l'humanité pour obtenir enfin la grâce de pouvoir restituer ce qu'il n'a pas volé (2). ·

Mais le Christianisme, en certifiant le dogme, ne l'explique point, du moins publiquement, et nous voyons que les racines secrètes de cette théorie occupèrent beaucoup les premiers initiés du Christianisme.

Origène surtout doit être entendu sur ce

(1) Sans effusion de sang, nulle rémission de péchés. (Hebr. IX, 22.) (2) Quæ non rapui, tunc exsolvebam. (Ps. LXVIII, 8.)

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