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CHAP. XX. arrêtant nos perquifitions & en ceffant d'employer nos Facultez à la recherche de la Verité. Si cela n'étoit ainfi, l'Ignorance, l'Erreur, ou l'Infidelité ne pourroit être un péché en aucun cas. Nous pouvons donc en certaines rencontres prévenir, ou fufpendre notre affentiment. Mais un homme verfé dans l'Hiftoire moderne ou ancienne peut-il douter s'il y a un Lieu tel que Rome, ou s'il y a jamais eû un homme tel que Jules Céfar? Du reite, il eft conftant qu'il y a un million de veritez qu'un homme n'a aucun intérêt de connoître, ou dont il peut ne fe *Roi d'An- re intereffé de s'inftruire, comme fi * Richard III. étoit boffu ou non, gleterre. fi Roger Bacon étoit Mathematicien ou Magicien, &c. Dans ces cas & autres femblables, où perfonne n'a aucun intérêt à fe déterminer d'un côté ou d'autre, nulle de fes actions ou de fes deffeins ne dépendant d'une telle détermination, il n'y a pas lieu de s'étonner que l'Efprit embraffe l'opinion commune, ou fe range dans le fentiment du préCes fortes d'opinions font de fi peu d'importance que femblables à de petits Moucherons, voltigeans dans l'air, on ne s'avise guere d'y faire aucune attention. Elles font dans l'Esprit comme par hazard; & on les y laiffe flotter en liberté. Mais lorsque l'Efprit juge que la Propofition renferme quelque chofe à quoi il prend intérêt lorfqu'il croit que les conféquences qui fuivent de ce qu'on la reçoit ou qu'on la rejette, font importantes, & que le Bonheur ou le Malheur dépendent de prendre ou de refufer le bon parti, de forte qu'il s'applique ferieufement à en rechercher & examiner la Probabilité, je penfe qu'en ce cas-là nous n'avons pas le choix de nous déterminer pour le côté que nous voulons, s'il y a entr'eux des différences toutà-fait vifibles. Dans ce cas la plus grande Probabilité déterminera, croi, notre affentiment; car un homme ne peut non plus éviter de donner fon affentiment, ou de prendre pour veritable, le côté où il apperçoit une plus grande probabilité, qu'il peut éviter de reconnoître une Propofition pour veritable, lorfqu'il apperçoit la convenance ou la difconvenance des deux Idées qui la compofent.

4. Fauffe mefu

té, l'Autorité.

je

Si cela eft ainsi, le fondement de l'Erreur doit confifter dans de fauffes mefures de Probabilité, comme le fondement du Vice dans de fauffes mesures du Bien.

§. 17. La quatriéme & derniére fauffe mesure de Probabilité que j'ai defre de Probabili fein de remarquer & qui retient plus de gens dans l'Ignorance & dans l'Erreur, que toutes les autres enfemble, c'eft ce que j'ai déja avancé dans le Chapitre précedent, qui eft de prendre pour régle de notre affentiment les Opinions communément reçues parmi nos Amis, ou dans notre Parti, entre nos Voifins, ou dans notre Païs. Combien de gens qui n'ont point d'autre fondement de leurs opinions que l'honnêteté fuppofée, ou le nombre de ceux d'une même Profeffion! Comme fi un honnête homme ou un favant de profeffion ne pouvoit point errer, ou que la Verité dût être établie par le fuffrage de la Multitude. Cependant la plûpart n'en demandent pas davantage pour fe déterminer. Un tel fentiment a été attefté par la Vénérable Antiquité, il vient à moi fous le paffeport des fiécles précedens, c'eft

pour

pourquoi je fuis à l'abri de l'erreur en le recevant. D'autres perfon- CHAP. XX. nes ont été & font dans la même Opinion (car c'eft là tout ce qu'on dit pour l'autorifer) & par conféquent j'ai raifon de l'embrafler. Un homme feroit tout auffi bien fondé à jetter à croix ou à pile pour savoir quelles opinions il devroit embraffer, qu'à les choifir fur de telles régles. Tous les hommes font fujets à l'Erreur, & plufieurs font exposez à y tomber, en plufieurs rencontres, par paffion ou par intérêt. Si nous pouvions voir les fecrets motifs qui font agir les perfonnes de nom, les Savans, & les Chefs de Parti, nous ne trouverions pas toûjours que ce foit le pur amour de la Verité qui leur a fait recevoir les Doctrines qu'ils profeffent & foûtiennent publiquement. Une chofe du moins fort certaine, c'eft qu'il n'y a point d'Opinion fi abfurde qu'on ne puiffe embraffer fur ce fondement dont je viens de parler; car on ne peut nommer aucune Erreur qui n'aît eû fes Partifans; de forte qu'un homme ne manquera jamais de fentiers tortus, s'il croit être dans le bon chemin par tout où il découvre des fentiers que d'autres ont tracé. §. 18. Mais malgré tout ce grand bruit qu'on fait dans le Monde fur les Les Hommes Erreurs & les diverfes Opinions des hommes, je fuis obligé de dire, pour ne font pas enrendre justice au Genre Humain, Qu'il n'y a pas tant de gens dans l'Erreur gagez dans un fi grand nom& entêtez de fauffes opinions qu'on le fuppofe ordinairement: non que je bre d'Erreurs croye qu'ils embraffent la Verité, mais parce qu'en effet fur ces Doctrines qu'on s'imagine dont on fait tant de bruit, ils n'ont abfolument point d'opinion ni aucune pensée pofitive. Car fi quelqu'un prenoit la peine de catechifer un peu la plus grande partie des Partifans de la plupart des Sectes qu'on voit dans le Monde, il ne trouveroit pas qu'ils ayent en eux-mêmes aucun fentiment abfolu fur ces Matiéres qu'ils foûtiennent avec tant d'ardeur: moins encore auroit-il fujet de penfer qu'ils ayent pris tels ou tels fentimens fur l'examen des preuves & fur l'apparence des Probabilitez fur lefquelles ces fentimens font fondez. Ils font réfolus de fe tenir attachez au Parti dans lequel l'Education ou l'Intérêt les a engagez; & là comme les fimples foldats d'une Armée, ils font éclater leur chaleur & leur courage felon qu'ils font dirigez par leurs Capitaines fans jamais examiner la caufe qu'ils défendent, ni même en prendre aucune connoiffance. Si la vie d'un homme fait voir qu'il n'a aucun égard fincére pour la Religion, quelle raifon pourrions-nous avoir de penfer qu'il fe rompt beaucoup la tête à étudier les Opinions de fon Eglife, & à examiner les fondemens de telle ou telle Doctrine? Il fuffit à un tel homme d'obeïr à fes Conducteurs, d'avoir toûjours la main & la langue prête à foûtenir la caufe commune, & de fe rendre par là recommandable à ceux qui peuvent le mettre en credit, lui procurer des Emplois, ou de l'appui dans la Societé. Et voilà comment les hommes deviennent Partisans & Défenfeurs des Opinions dont ils n'ont jamais été convaincus ou inftruits, & dont ils n'ont même jamais eû dans la tête les idées les plus fuperficielles; de forte qu'encore qu'on ne puiffe point dire qu'il y aît dans le Monde moins d'Opinions abfurdes ou erronées qu'il n'y en a, il eft pourtant certain qu'il y a moins de perfonnes qui y donnent un affentiment actuel, & qui les prennent fauffement pour des veritez, qu'on ne s'imagine communément.

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CHA

CHAP.XXI.

vifées en trois

CHAPITRE XXI.

De la Divifion des Sciences.

Les Sciences di- §. 1. Humain, étant en prémier lieu, ou la nature des Choles T

OUT ce qui peut entrer dans la fphére de l'Entendement

Efpeces.

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telles qu'elles font en elles-mêmes, leurs relations & leur maniére d'opérer; ou en fecond lieu, ce que l'Homme lui-même eft obligé de faire en qualité d'Agent raifonnable & volontaire pour parvenir à quelque fin & particuliérement à la Félicité, ou en troifiéme lieu, les moyens par où l'on peut acquerir la connoiffance de ces chofes & la communiquer aux autres; je croi qu'on peut divifer proprement la Science en ces trois Efpéces.

§. 2. La prémiére eft la connoiffance des chofes comme elles font dans leur propre existence, dans leurs conftitutions, propriétez & operations, par où je n'entens pas feulement la Matiere & le Corps, mais auffi les Efprits, qui ont leurs natures, leurs conftitutions, leurs operations particuliéres auffi bien que les Corps. C'eft ce que j'appelle * Phyfique ou Philofophie naturelle, en prenant ce mot dans un fens un peu plus étendu qu'on ne fait ordinairement. La fin de cette Science n'eft que la fimple fpeculation; & tout ce qui peut en fournir le fujet à l'Efprit de l'homme, eft de fon diftrict, foit Dieu lui-même, les Anges, les Efprits; les Corps ou quelqu'une de leurs Affections, comme le Nombre, & la Figure, &c.

§. 3. La feconde que je nomme * Pratique, enfeigne les moyens de bien appliquer nos propres Puiffances & Actions, pour obtenir des chofes bonnes & utiles. Ce qu'il y a de plus confiderable fous ce chef, c'eft la Morale, qui confifte à découvrir les régles & les mesures des Actions humaines qui conduisent au Bonheur, & les moyens de mettre ces régles en pratique. Cette feconde Science fe propofe pour fin, non la fimple fpeculation & la connoiffance de la Verité, mais ce qui eft jufte, & une conduite qui y foit conforme.

§. 4. Enfin la troifiéme peut être appellée σnueitin ou la connoiffance des fignes; & comme les Mots en font la plus ordinaire partie, elle eft auffi nommée affez proprement* Logique : fon emploi confifte à confiderer la nature des fignes dont l'Esprit fe fert pour entendre les chofes, ou pour communiquer fa connoiffance aux autres. Car puifqu'entre les chofes que l'Efprit contemple il n'y en a aucune, excepté lui-même, qui foit préfente à Î'Entendement, il eft néceffaire que quelque autre chofe fe préfente à lui comme figne ou représentation de la chofe qu'il confidére; & ce font les Idées. Mais parce que la fcene des Idées qui conftitue les pensées d'un homme, ne peut pas paroître immédiatement à la vûë d'un autre homme, ni être confervée ailleurs que dans la Memoire, qui n'eft pas un reservoir

fort

fort affûré, nous avons befoin de fignes de nos Idées pour pouvoir nous en- CHAP.XXI. tre-communiquer nos pensées auffi bien que pour les enregîtrer pour notre propre ufage. Les fignes que les hommes ont trouvé les plus commodes & dont ils ont fait par conféquent un ufage plus général, ce font les fons articulez. C'eftpourquoi la confideration des Idées & des Mots, entant qu'ils font les grands Inftrumens de la Connoiffance, fait une partie affez importante de leurs contemplations, s'ils veulent envisager la connoiffance humaine dans toute fon étendue. Et peut-être que fi l'on confideroit diftinctement & avec tout le foin poffible cette derniére efpéce de Science qui roule fur les Idées & les Mots, elle produiroit une Logique & une Critique différentes de celles qu'on a vûës jufqu'à préfent.

§. 5. Voilà, ce me femble, la prémiére, la plus générale, & la plus C'eft là la pré naturelle divifion des Objets de notre Entendement. Car l'Homme ne miére divifion des Objets de peut appliquer fes penfées, qu'A la contemplation des chofes mêmes, pour notre Connoifdécouvrir la Verité; ou Aux chofes qui font en fa puissance, c'est à dire, fance. à fes propres actions, pour parvenir à fes fins; ou Aux fignes dont l'Esprit fe fert dans l'une & l'autre de ces recherches, & dans le jufte arrangement de ces fignes mêmes, pour s'instruire plus nettement lui-même. Or comme ces trois articles, (je veux dire les Chofes entant qu'elles peuvent être connues en elles-mêmes, les Actions entant qu'elles dépendent de nous par rapport à notre Bonheur, & l'ufage legitime des fignes pour parvenir å la Connoiffance) font tout-à-fait différens, il me femble auffi que ce font comme trois grandes Provinces dans le Monde Intellectuel, entiérement sepa rées & diftinctes l'une de l'autre.

FIN du Quatriéme & Dernier Livre.

Ffff 2

TABLE

DES

PRINCIPALES MATIERES.

A

A.

BSTRACTION, ce que c'eft. 109.
§. 9.

Elle met une parfaite diftance entre
les hommes & les Bêtes. ibid. §. 10.
Idées abfiraites comment formées.227.

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§. II, &c.

Son immaterialité nous eft inconnuë, 440. §. 6.
La Religion n'eft pas intereffée dans l'immate-
rialité de l'Ame. ibid.

Notre ignorance fur la nature de l'Ame. 271. §.

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tique. 448. §. 19.

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