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De combien obligé je suis

A ta belle verdure.

Toy qui, sous l'abry de tes bois,
Ravy d'esprit, m'amuses;
Toy qui fais qu'à toutes les fois,
Me respondent les Muses;
Toy par qui, de l'importun soin,
Tout franc je me delivre,

Lors qu'en toy je me pers1 bien loin,
Parlant avec un livre;

Tes boccages soient tousjours pleins
D'amoureuses brigades

De satyres et de sylvains,

La crainte des naïades.
En toy habite désormais

Des Muses le college;
Et ton bois ne sente jamais
La flame sacrilege!

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Le chantre rossignolet,

Nouvelet,

Courtisant sa bien aimée,

Pour ses amours alleger,

Vient loger,

Tous les ans, en ta ramée.

Sur ta cyme il fait son ny

Tout uny,

De mousse et de fine soye,

Où ses petits esclorront,

Qui seront

De mes mains la douce proye.

Or, vy, gentil aubespin,

Vy sans fin,

Vy sans que jamais tonnerre,

Ou la coignée, ou les vents,

Ou les temps,

Te puissent ruer par terre!

La belle Venus, un jour,
M'amena son fils Amour,
Et l'amenant, me vint dire :
Escoute, mon cher Ronsard,
Enseigne à mon enfant l'art
De bien jouer de la lyre.

Incontinent, je le pris,
Et soigneux, je luy appris
Comme Mercure eut la peine
De premier la façonner,
Et de premier en sonner
Dessus le mont de Cyllene;

Comme Minerve inventa
Le haut-bois, qu'elle jetta
Dedans l'eau, toute marric;
Comme Pan le chalumeau,
Qu'il pertuisa du roseau
Formé du corps de sa mie.

Ainsi, pauvre que j'estois,
Tout mon art je recordois1,
A cet enfant pour l'apprendre;
Mais luy, comme un faux garson,
Se moquoit de ma chanson,
Et ne la vouloit entendre.

Pauvre sot, ce me dit-il,
Tu te penses bien subtil!
Mais tu as la teste fole
D'oser t'egaler à moy

Qui, jeune, en sçay plus que toy,
Ny que ceux de ton escole.

Et alors il me sourit,
Et en me flattant m'apprit
Tous les œuvres de sa mere;
Et comme, pour trop aimer,

Il avoit fait transformer
En cent figures son pere.

Il me dit tous ses attraits,
Tous ses jeux, et de quels traits
Il blesse les fantaisies

Et des hommes et des dieux;

Tous ses tourmens gracieux,

Et toutes ses jalousies.

1 Je me rappelais tout mon art, pour l'apprendre à cet enfant.

Et me les disant, alors,
J'oubliay tous les accors
De ma lyre desdaignée,
Pour retenir, en leur lieu,
L'autre chanson que ce dieu
M'avoit par cœur enseignée.

Les Muses lierent un jour,
De chaisnes de roses, Amour,
Et, pour le garder, le donnerent
Aux Graces et à la Beauté
Qui, voyant sa desloyauté,
Sur Parnasse l'emprisonnerent.

Si tost que Venus l'entendit,
Son beau ceston elle vendit
A Vulcan, pour la delivrance
De son enfant, et tout soudain,
Ayant l'argent dedans la main,
Fit aux Muses la reverence.

« Muses, deesses des chansons,
Quand il faudroit quatre rançons
Pour mon enfant, je les apporte;
Délivrez mon fils prisonnier. »>
Mais les Muses l'ont fait lier
D'une chaisne encore plus forte.

Courage donques, amoureux, Vous ne serez plus langoureux,

1 Et, pendant qu'il me les disait. -2 Ceinture.

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