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fon époux, qui avoit été auparavant celui de Cléopatre, & que cette derniere avoit fait tuer en haine de fon mariage avec Rodogune.

Sentimens étouffés de colere & de haine,

Rallumez vos flambeaux à celles de la Reine;
Et d'un oubli contraint rompez la dure loi,
Pour rendre enfin justice aux manes d'un grand

Roi.

Rapportez à mes yeux fon image fanglante,
D'amour & de fureur encore étincelante;
Telle que je le vis quand tout percé de coups
Il me cria: Vengeance, adieu, je meurs pour

vous.

Chere ombre, hélas ! bien loin de l'avoir pour→

fuivie,

J'allois baifer la main (a) qui t'arracha la vie, Rendre un respect de fille (6) à qui versa ton

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rang...

Après avoir armé pour venger cet outrage,

D'une paix mal conçue on m'a faite le

gage; Et moi, fermant les yeux fur ce noir attentat, Je suivois mon destin en vi&ime d'état. Mais aujourd'hui qu'on voit cette main parricide,

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(a) En faisant fa paix avec Cléopatre.

(b) En époufant un fils de Cléopatre,

Des

Des reftes de ta vie (a) infolemment avide,
Vouloir encor percer ce fein infortuné
Pour y chercher le cœur que tu m'avois donné,
De la paix qu'elle rompt je ne fuis plus le gage;
Je brise avec honneur mon illuftre esclavage;
J'ofe reprendre un cœur pour aimer & hair,
Et ce n'eft plus qu'à toi que je veux obéir.
Le confentiras-tu cet effort fur ma flamme
Toi, fon vivant portrait, qui regnes fur mon

ame,

Cher Prince (b), dont je n'ose en mes plus doux fouhaits

Fier encor le nom aux murs de ce palais ?

Je fais quelles feront tes douleurs & tes craintes ; Je vois déjà tes maux, j'entends déjà tes plaintes: Mais pardonne aux devoirs qu'exige enfin un Roi A qui tu dois le jour qu'il a perdu pour moi. Rodogune, de Corneille.

LES

CHAPITRE IV.

Tableau divers de Poefie.

NARRATIONS.

Es peintures vives font ordinairement étalées dans les narrations & les defcriptions; elles font employées tantôt pour or

(a) De fa vie à elle,

(b) Seleucus, fils de Cléopatre.

E

ner le récit de quelque fait important; par exemple, la relation d'une bataille, d'une tempête, de la mort d'un héros ou de quelque autre accident tragique; tantôt pour préfenter l'image des différentes paffions, comme de la colere, de la vengeance, de la trahison, &c. tantôt pour embellir les grands fujets & tout ce qui doit frapper l'imagination. Elles doivent préfenter des tableaux fi frappans, & dont les couleurs foient fi vives & fi naturelles, qu'on ne croye plus entendre le poëte, mais que, par une agréable illufion, on fe voye transporté dans le lieu où la chofe dont on parle s'eft paffée, ou que l'on s'imagine voir les perfonnes ou les chofes dont il eft question dans le fujet. Les objets les plus pitoyables, même les plus affreux, ont de quoi plaire s'ils font bien exprimés; de plaifir qu'on a de voir une belle imitation ne vient pas précisément de l'objet, mais de la réflexion que fait l'efprit, qu'il n'y a rien en effet de plus reffemblant. Les exemples fuivans feront fentir l'effet que doivent produire les peintures vives.

Cinna raconte à Emilie les progrès de la confpiration qu'il avoit formée contre Au gufte.

Jamais contre un tyran entreprise conçue
Ne permit d'efpérer une fi belle iffue;
Jamais de telle ardeur on n'en jura la mort,"
Et jamais conjurés ne furent mieux d'accord....

Plut à Dieu que vous-même euffiez vu de quel

zele

Cette troupe entreprend une action fi belle !....
Amis, leur ai-je dit, voici le jour heureux
Qui doit conclure enfin nos deffeins généreux.
Le Ciel entre nos mains a mis le fort de Rome,
Et fon falut dépend de la perte d'un homme....
Au feul nom de César, d'Auguste & d'Empereur,
Vous euffiez vu leurs yeux s'enflammer de fu-

reur....

Là, par un long récit de toutes les miferes Que pendant notre enfance ont enduré nos

peres,

Renouvelant leur haine avec leur fouvenir,
Je redoute en leurs cœurs l'ardeur de le punir...
J'ajoute à ce tableau la peinture effroyable
De leur concorde impie, affreufe, inexorable,
Funefte aux gens de bien, aux riches, au Sénat,
Et, pour tout dire enfin, de leur triumvirat.'
Mais je ne trouve point de couleurs affez noires
Pour en représenter les tragiques hiftoires.
Je les peins dans le meurtre à l'envi triomphans;
Rome entiere noyée au fang de fes enfans;
Les uns affaffinés dans les places publiques,
Les autres dans le fein de leurs dieux domesti-

ques;

Le méchant par le prix au crime encouragé ;
Le mari par fa femme en fon lit égorgé ;
Le fils tout dégouttant du meurtre de fon pere
Et fa tête à la main demandant fon falaire,

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Sans pouvoir exprimer par tant d'horribles traits
Qu'un crayon imparfait de leur fanglante paix.
Vous dirai-je les noms de ces grands perfonnages
Dont j'ai dépeint les morts pour aigrir leurs cou-
rages?....

J'ajoute en peu de mots : toutes ces cruautés,
La perte de nos biens & de nos libertés,
Le ravage des champs, le pillage des villes,
Et les profcriptions & les guerres civiles,
Sont les degrés fanglans dont Auguste a fait
choix,

Pour monter fur le trône & nous donner des loix.
Mais nous pouvons changer un destin si funeste,
Puifque de trois tyrans c'eft le feul qui nous refte,
Et que jufte une fois, il s'eft privé d'appui,
Perdant pour régner feul deux méchans après
lui.....

A peine ai-je achevé, que chacun renouvelle
Par un noble ferment le vœu d'être fidele:
L'occafion leur plaît ; mais chacun veut pour foi
L'honneur du premier coup que j'ai choisi pour
moi,

Cinna, de Corneille.

L'oracle de Calchas avoit prononcé que les Grecs faifoient de vains efforts pour prendre la ville de Troye, & qu'ils devoient facrifier Iphigénie, fille d'Agamennon, chef des Princes Troyens, pour obtenir des dieux un vent favorable qui les conduisît à Troye. Dans le récit fuivant, Ulyffe raconte à Cly

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