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Je croirai faire affez de le daigner fouffrir.
Je verrai leur amour, j'éprouverai fa force,
Sans flatter leurs defirs, fans leur jetter d'amorce;
Et s'il eft affez fort pour me fervir d'appui,
Je le ferai régner, mais en régnant fur lui....
Plus la haute naiffance approche des couronnes;
Plus cette grandeur même affervit nos personnes.
Nous n'avons point de cœur pour aimer ni haïr:
Toutes nos paffions ne favent qu'obéir.

Rodogune, de Corneille.

Pulchérie, fœur d'Héraclius, lui faifoit une forte de reproche de ce qu'il ne haïffoit pas le tyran Phocas autant qu'il l'auroit dû: car il eft bon de favoir que Phocas croyoit € qu'Héraclius étoit fon fils, lors même que celui-ci proteftoit qu'il étoit Héraclius & non Martian, fils de Phocas. Héraclius répond ainfi à Pulchérie :

La générofité fuit la belle naiffance.

Dans cette grandeur d'ame un vrai Prince affermi
Eft fenfible aux malheurs même d'un ennemi.
La haine qu'il lui doit ne le fauroit défendre,
Quand il fe voit aimé, de s'en laiffer furprendre,
Et trouve affez fouvent fon devoir arrêté
Par l'effort naturel de sa propre bonté.

Héraclius, de Corneille.

Les vers fuivans peuvent nous faire con jecturer qu'un Prince, tel, par exemple, que le fils d'un Roi, qui ignoreroit la nobleffe

de fon origine & feroit élevé dans une condition obfcure, éprouveroit des fentimens dignes de fa naiffance, & infiniment audeffus de celle dont il croiroit par erreur defcendre.

C'est un Prince tel qu'on vient de le dire, qui ne connoiffoit pas fa véritable origine, & qui étoit perfuadé d'en avoir une trèsbaffe, qui répond ainfi à des perfonnes qui lui demandent s'il fe connoît bien. On doit remarquer combien ce morceau eft travaillé, tant les vers font harmonieux.

Si j'étois quelque enfant épargné des tempêtes,
Livré dans un désert à la merci des bêtes,
Expofé par la crainte ou par l'inimitié,
"Rencontré par hafard & nourri par pitié;
Mon orgueil à ce bruit prendroit quelque espé-

rance

Sur votre incertitude, & fur mon ignorance;
Je me figurerois ces deftins merveilleux
Qui tiroient du néant ces héros fabuleux,
Et me revêtirois de brillantes chimeres
Qu'ofa former pour eux le loifir de nos peres.
Car enfin je fuis vain, & mon ambition
Ne peut s'examiner fans indignation;
Je ne puis regarder fceptre ni diadême,
Qu'ils n'emportent mon ame au-delà d'elle-

même :

Inutiles élans d'un vol impétueux,

Que pouffe vers le Ciel un cœur présomptueux...

Je fuis fils d'un pécheur & non pas d'un infâme :
La baffeffe du fang ne va pas jufqu'à l'ame;
Et je renonce aux noms de Comte & de Marquis
Avec bien plus d'honneur qu'aux fentimens de
fils.
Dom Sanche, de Corneille.

Réponse d'un homme de grande naissance, à une Reine qui vouloit exiger de lui une chofe qu'il regardoit comme une tache pour fon nom:

Lorfque le déshonneur fouille l'obéiffance,
Les Rois peuvent douter de leur toute-puissance.
Qui la hafarde alors n'en fait pas bien ufer;
Et qui veut pouvoir tout, ne doit pas tout ofer....
Jamais un Souverain ne doit compte à perfonne
Des dignités qu'il fait, & des grandeurs qu'il

donne.

S'il eft d'un fort indigne ou l'auteur ou l'appui,
Comme il le fait lui feul, la honte est toute à ̄lui.
Mais difpofer d'un fang que j'ai reçu fans tache....
Avant que le fouiller, il faut qu'on me l'arrache:
J'en dois compte aux ayeux dont il est hérité,
A toute leur famille, à leur poftérité.

Dom Sanche, de Corneille.

Campiftron, dans la tragédie d'Alcibiade, fait parler ainfi ce célebre Général Athénien à Palmis, fille d'Artaxerce, Roi de Perse.

Souvenez-vous, madame,

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Que fi dans mes ayeux je ne vois point de Rois,

J'ai fait connoître au moins mon nom par mes

exploits;

Que fi pour vous aimer il faut une couronne, Ce n'eft pas la vertu, c'eft le fort qui la donne ; Qu'enfin s'il n'a pas mis un fceptre dans ma main,

Je ne dois point rougir des fautes du destin.

La même pensée eft dans le portrait fui

vant.

Portrait du grand Prince de Condé.

J'ai le cœur comme la naissance;

Je porte dans les yeux un feu vif & brillant;
J'ai de la foi, de la conftance;

Je fuis prompt, je fuis fier, généreux & vaillant
Rien n'eft comparable à ma gloire;

Le plus fameux héros qu'on vante dans l'Hiftoire
Ne me le fauroit difputer:

Si je n'ai pas une couronne,
C'est la fortune qui la donne,
Il fuffit de la mériter.

Sentimens de valeur.

Un Poëte met les vers fuivans dans la bouche du vaillant Achille, à qui Agamemnon venoit de déclarer qu'il falloit renoncer au fiége de Troye, parce que les oracles avoient déclaré qu'il y périroit.

Moi, je m'arrêterois à de vaines menaces,
Et je fuirois l'honneur qui m'attend sur vos traces!

Les parques à ma mère, il eft vrai, l'ont prédit,
Lorsqu'un époux mortel fut reçu dans fon lit:
Je puis choifir, dit-on, ou beaucoup d'ans fans
gloire,

Ou peu de jours fuivis d'une longue mémoire.
Mais puifqu'il faut enfin que j'arrive au tombeau,
Voudrois-je, de la terre inutile fardeau,
Trop avare d'un fang reçu d'une déeffe,
Attendre chez mon pere une obfcure vieilleffe;
Et, toujours de la gloire évitant le sentier,
Ne laiffer aucun nom & mourir tout entier ?
Ah! ne nous formons point ces indignes obf-
tacles,

L'honneur parle, il fuffit; ce font-là nos oracles. Les Dieux font de nos jours les maîtres fouverains;

Mais, Seigneur, notre gloire eft dans nos propres mains.

Pourquoi nous tourmenter de leurs ordres fuprêmes?

Ne fongeons qu'à nous rendre immortels comme eux-mêmes ;

Et laiffant faire au fort, courons où la valeur
Nous promet un deftin auffi grand que le leur.
C'eft à Troye, & j'y cours, &c.

Iphigénie, de Racine.

Une vertu parfaite a befoin de prudence,
Et doit confidérer pour fon propre intérêt
Et les temps où l'on vit & les lieux où l'on eff

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