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foient, & fur quel ton, s'il eft permis de s'ex-primer ainfi, leurs entretiens étoient montés. On eft ravi d'entendre des difcours pleins de cette grandeur & de cette nobleffe Romaine, qui, felon la remarque d'un homme célebre (a), ne fe trouve prefque plus que dans les livres. Or, comme il arrive qu'on prend le sentiment de ceux avec qui on vit ordinairement, il eft vrai de dire que les jeunes gens ne peuvent que profiter de ces fortes d'exemples qu'on leur met fous les yeux. Ils s'accoutument par là à fentir le beau & à goûter des maximes de fageffe. Ils peuvent prendre de ces grands hommes cette nobleffe, cette grandeur d'ame, cet amour de la juftice & du bien public qui éclate dans tous leurs difcours. En un mot, c'eft une vérité incontestable que les grands fentimens élevent l'ame & nourriffent le courage. En écoutant le langage des Princes & des grands hommes, en lifant tous les traits fententieux qui partoient de leur bouche, on prend infenfiblement du goût pour la vertu, & il fe fait fur l'efprit une impreffion fenfible qui tourne au profit des mœurs. La pente aux vices fe corrige par l'exemple des vertus.

Sentimens dignes des Rois.

Le Poëte fait parler l'Empereur Titus dans le morceau fuivant :

Je ne prends point pour juge une cour idolâtre, (a) M. Rollin,

Paulin ; je me propose un plus ample théâtre;
Et fans prêter l'oreille à la voix des flatteurs,
Je veux par votre bouche entendre tous les cœurs.
Vous me l'avez promis......Le respect & la
crainte

Ferment autour de moi le paffage à la plainte. Pour mieux voir, cher Paulin, & pour entendre mieux,

Je vous ai demandé des oreilles, des yeux;

J'ai mis même à ce prix mon amitié secrette: J'ai voulu que des cœurs vous fuffiez l'interprête ;

Qu'au travers des flatteurs, votre fincérité
Fît toujours jufqu'à moi paffer la vérité.

Et ailleurs le même Empereur dit :

Sont-ce là ces projets de grandeur & de gloire Qui devoient dans les cœurs confacrer ma mémoire ?

Depuis huit jours je regne, & jufques à ce jour, Qu'ai-je fait pour l'honneur ? J'ai tout fait pour l'amour.

D'un temps fi précieux quel compte puis-je rendre?

Où font ces heureux jours que je faifois attendre? Quels pleurs ai-je fechés ? Dans quels yeux fatisfaits,

Ai-je déjà goûté le fruit de mes bienfaits?
L'Univers a-t-il vu changer fes destinées?
Sais-je combien le Ciel m'a compté de journées ?

Et de ce peu de jours fi long-temps attendus $ Ah! malheureux ! combien j'en ai déjà perdus !

Titus & Bérénice, de Racine.

Langage d'un Roi.

Ce font les juftes Dieux qui, tout Rois que nous

fommes,

Puniffent nos forfaits ainfi

que ceux des hommes, Et qui ne nous font part de leur facré pouvoir Que pour le mefurer aux regles du devoir.... Heureux eft donc le Prince, heureux font fes

projets,

Quand il fe fait juftice ainfi qu'à fes fujets?

Androméde, de Corneille.

Que les Rois doivent préférer les intérêts de leurs fujets à tout autre devoir.

Mais la reconnoiffance & l'hofpitalité,

Sur les ames des Rois n'ont qu'un droit limité. Quoique doive un Monarque, & dût-il fa Cou

ronne,

Il doit à fes fujets encore plus qu'à personne, Et ceffe de devoir quand la dette eft d'un rang A ne point s'acquitter qu'aux dépens de leur fang. Mort de Pompée, de Corneille.

Il importe aux Monarques

Qui veulent aux vertus rendre de dignes marques,

De les favoir connoître, & non pas ignorer
Ceux d'entre leurs fujets qu'ils doivent honorer,
Dom Sanche, de Corneille.

Condition des Rois.

Trifte deftin des Rois ! efclaves que nous fom

mes,

Et des rigueurs du fort & des difcours des hom

mes,

Nous nous voyons fans ceffe affiégés de témoins, Et les plus malheureux ofent pleurer le moins. Iphigénie, de Racine.

L'Empereur Phocas dépeint de cette maniere le fardeau de la Royauté à un de fes confidens:

Crifpe, il n'eft que trop vrai, la plus belle Cou

ronne

N'a de faux brillans dont l'éclat l'environne;
que
Et celui dont le Ciel pour un Sceptre fait choix,
Jufqu'à ce qu'il le porte en ignore le poids.
Mille & mille douceurs y femblent attachées,
Qui ne font qu'un amas d'amertumes cachées:
Qui croit les pofféder, les fent s'évanouir,
Et la peur de les perdre empêche d'en jouir,
Heraclius, de Corneille.

Réflexion fur le poids du miniflere
d'un Etat.

Le Poëte fait parler dans les vers fuivans un Miniftre d'Etat, qui fait le portrait des foins pénibles de fon emploi.

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Hélas! que dites-vous? apparence trop vaine ! Le bonheur eft-il fait pour le rang qui m'enchaîne ?

Vous ne pénétrez point les fombres profondeurs Des maux qui font cachés fous l'éclat des grandeurs.

Quel accablant fardeau ! Tout prévoir, tout conduire,

Entourés d'envieux, unis pour nous féduire,
Refponfables du fort & des événemens,

Des miferes du peuple & des brigues des grands;
Réunir feul enfin par

un trifte

avantage

Tous les foins, tous les maux que l'Empire par

tage,

Voilà le joug brillant auquel je fuis lié :

Sort toujours déplorable & toujours envié.
Ma fortune eft un poids que chaque jour aggrave
Maître & juge de tout, de tout on est esclave.
Et régir des mortels le destin inconstant,

N'eft que le trifte droit d'apprendre à chaque

inftant

Leurs méprifables vœux, leurs peines dévo-

rantes,

Leurs vices trop réels, leurs vertus apparentes,
Et de voir de plus près l'affreuse vérité
Du néant des grandeurs & de l'humanité.
Greffet, Edouard III, Trag.

L'Empereur Galba parle ainfi à ses Minif
qui il avoit demandé leur avis, & qui

étoient de différens fentimens.

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