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» pas en général que les deftins dépendent » du Roi; il ne parle que du deftin de la » guerre. Comme le fyftême de fa pensée » eft tout poétique, il a droit de mettre la » fortune en jeu ; & comme la présence d'un » Prince auffi magnanime rendoit les fol» dats invincibles, c'eft comme s'il difoit : » Dès que Louis paroît, on eft affuré de la » victoire ». Et plus bas il dit encore:

Quel plaifir de te fuivre aux rives du Scamandre,
D'y trouver d'Illion la poétique cendre,
De juger fi les Grecs qui briserent ses tours
Firent plus en dix ans que Louis en dix jours!

On ne peut rien de plus délicatement pensé que cette plainte que le même Poëte fait faire à la molleffe fur les travaux guerriers de ce grand Monarque: on peut dire que rien n'eft mieux imaginé, & que le tour eft nouveau. Voici l'endroit.

Hélas! qu'eft devenu ce temps, cet heureux

temps,

Où les Rois s'honoroient du nom de Fainéans, S'endormoient fur le Trône, &, me fervant fans

honte,

Laiffoient leur Sceptre aux mains ou d'un Maire ou d'un Comte ?

Aucun foin n'approchoit de leur paisible Cour: On repofoit la nuit, on dormoit tout le jour; Seulement au printemps, quand Flore dans les plaines

Faifoit taire des vents les bruyantes haleines,
Quatre bœufs attelés, d'un pas tranquile & lent,
Promenoient dans Paris le Monarque indolent.
Ce doux fiecle n'eft plus : le Ciel impitoyable
A placé fur le Trône un Prince infatigable.
Il brave mes douceurs, il eft fourd à ma voix :
Tous les jours il m'éveille au bruit de ses ex-
ploits.

Rien ne peut arrêter fa vigilante audace.

L'été n'a point de feux, l'hyver n'a point de glace.
J'entends à fon feul nom tous mes fujets frémir,
En vain deux fois la paix a voulu l'endormir,
Loin de moi fon courage entraîné par la gloire
Ne fe plaît qu'à courir de victoire en victoire.
Je me fatiguerois à te tracer le cours
Des outrages cruels qu'il me fait tous les jours.

Du Lutrin, Chant II.

On doit dire à-peu-près la même chofe du morceau fuivant, fur-tout pour la délicateffe de la penfée. Boileau, dans une Epître à M. de Lamoignon, où il fait l'éloge de la vie champêtre, feint qu'à fon retour de la campagne, un de fes amis lui parle des victoires du Roi. Voici ce qu'il lui fait dire :

Dieu fait comme les vers chez vous s'en vont couler,

Dit d'abord un ami qui vient me cajoler,

Et dans ce temps guerrier & fécond en Achilles, Croit que l'on fait les vers comme l'on prend les villes.

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Mais moi dont le génie eft mort en ce moment
Je ne fais que répondre à ce vain compliment;
Et juftement confus de mon peu d'abondance,
Je me fais un chagrin du bonheur de la France.
Le même Poëte termine fa premiere Epî-
tre au Roi de la maniere fuivante :

Pour moi qui fur ton nom déjà brûlant d'écrire,
Sens au bout de ma plume expirer la fatyre,
Je n'ofe de mes vers vanter ici le prix.
Toutefois fi quelqu'un de mes foibles écrits
Des ans injurieux peut éviter l'outrage,
Peut-être pour ta gloire aura-t-il fon ufage.
Et comme tes exploits étonnant les Lecteurs,
Seront à peine crus fur la foi des Auteurs;
Si quelque efprit malin les veut traiter de fables,
On dira quelque jour pour les rendre croyables :
Boileau qui, dans fes vers plein de fincérité,
Jadis à tout fon fiecle a dit la vérité,
Qui mit à tout blâmer son étude & sa gloire,
A pourtant de ce Roi parlé comme l'histoire.
Epit. I.

Le morceau fuivant ne le cede point en délicateffe à ceux qu'on vient de voir. C'est ici pareillement une maniere indirecte de louer Louis XIV. Le grand Corneille, dans fa Piece Héroïque de la Toifon d'Or, fait parler ainfi la France à la Déeffe de la Victoire :

Ah! Vi&toire, pour fils n'ai-je que des foldats ?

La gloire qui les couvre, à moi-même funefte, Sous mes plus beaux fuccès fait trembler tout le

refte.

Ils ne vont aux combats que pour me protéger,
Et n'en fortent vainqueurs que pour me ravager.
S'ils renverfent des murs, s'ils
gagnent des ba-

Ils

tailles,

prennent droit par là de ronger mes en

trailles....

Mon Roi, que vous rendez le plus puissant des Rois,

En goûte moins le fruit de fes propres exploits : Du même œil dont il voit fes plus nobles con

quêtes,

Il voit ce qu'il leur faut facrifier de têtes.
De ce glorieux Trône où brille fa vertu,
Il tend fa main augufte à fon peuple abattu;
Et comme à tout moment la commune mifere
Rappelle en fon grand cœur les tendreffes de

pere,

Ce cœur fe laiffe vaincre aux vœux que j'ai for

més,

Pour faire refpirer ce que vous opprimez.

Le Pere du Cerceau s'adreffe à fa Mufe, & lui parle de la maniere fuivante dans une Epître pour Monfeigneur le Dauphin qui étoit alors dans la plus tendre enfance, & qui fut enfuite Louis XV. C'eft après l'avoir exhorté à n'approcher de l'augufte Prince

qu'avec beaucoup de refpect. Le tour qu'il prend est tout-à-fait ingénieux, noble & délicat.

?

Vous me direz: Prince, tant foit-il grand,
Si jeune encore, entrevoit-il fon rang
De fon berceau touchant à la Couronne,
Diftingue-t-il l'éclat qui l'environne?
Et de Louis préfomptif fucceffeur,
De fon deftin connoît-il la grandeur ?
Mufe, il la fent, s'il ne fait la connoître.
Dans les héros que pour régner fait naître
Des grands Bourbons la Royale Maison,
Le fang infpire & prévient la raison.

Le noble instinct qui dans leur cœur domine,
Rappelle en eux leur augufte origine,
Et de ce fang reçu de tant de Rois
La Majefté réclame tous les droits.
Allez donc, Mufe; & déformais inftruite,
Sur ces leçons réglez votre conduite;
De ce foleil fous l'enfance éclipfé,
N'approchez point d'un air trop empreffé....
Souhaitez-lui les vertus de fon pere,
Ajoutez-y les graces de fa mere,

L'ame & le cœur du Dauphin fon ayeul,
De Louis tout, il comprend tout lui seul.

Le même Poëte, en faifant la defcription d'une campagne charmante, de laquelle on voit la Machine de Marly, prend occafion de faire un éloge poétique de cette célebre

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