allons voir ce qu'on doit entendre par ces deux qualités. Des Penfées nobles, grandes & fublimes. La nobleffe des pensées vient, felon Hermogene, de la majefté des chofes dont elles font les images. Telle eft la nature de celles qui paffent pour grandes & illuftres parmi les hommes; comme la puiffance, la générofité, l'efprit, le courage, les victoires, les triomphes, les grands traits de vertu & de magnanimité qui caractérisent les héros, &c. On doit mettre dans la même efpece les penfées fortes & fublimes. Ce font celles qui font pleines d'un grand fens, exprimé en peu paroles, d'une maniere vive. On en verra exemples au chapitre des fentimens dans genre fublime: ces fortes de pensées entraînent comme par force notre jugement, & remuent toute notre ame. Elles plaifent beaucoup, parce qu'elles ont du grand qui charme toujours l'efprit. de des le Cette nobleffe des penfées vient encore de la nature des figures que l'on emploie pour peindre les objets. La métaphore, par exemple, eft une forte de figure qui produit un merveilleux effet fur notre imagination. Rien ne flatte plus l'efprit que la repréfentation d'un objet fous une image étrangere, comme dans cette penfée: Les Lys ne filent point, pour dire qu'en France les filles ne fuccedent point à la Couronne. Il en eft de N même des métaphores animées & qui mar quent de l'action; telle eft cette expreffion de Malherbe, pour dire que la mort n'épargne perfonne: Et la garde qui veille aux barrieres du Louvre, n'en défend pas nos Rois; ou celle d'Horace, lorfqu'il veut faire entendre que les grands ne font point exempts de foucis, car il les dépeint volans autour des lambris dorés: Et curas laqueata circum tecta volantes (a). Mais il faut obferver que la véritable grandeur & la nobleffe des pensées doivent avoir de juftes mesures; tout ce qui excede eft hors des regles de la perfection, Des Penfées délicates. Les penfées délicates ont cela de propre, qu'elles font fouvent renfermées en peu de paroles, & que le fens qu'elles contiennent n'eft pas fi vifible ni fi marqué; il femble d'abord qu'elles le cachent en partie, afin qu'on le cherche & qu'on le devine, ou du moins elles le laiffent feulement entrevoir, pour nous donner le plaifir de le découvrir tout-àfait quand on a de l'efprit Ce petit mystere eft comme l'ame de la délicateffe des pensées, en forte que celles qui n'ont rien de mystérieux ni dans le fond ni dans le tour, & qui fe montrent tout entieres à la premiere vue, ne font pas, à proprement parler, dé licates, quelque fpirituelles qu'elles foient; (4) Liv. 2, Ode 13. d'où l'on peut remarquer que la délicateffe ajoute je ne fais quoi d'agréable au fublime même. Une réflexion fubtile & judicieuse tout ensemble, contribue beaucoup à cette délicatefle. Ces fortes de pensées font ordinairement exprimées d'une maniere vive, qui plaît infiniment par le tour ingénieux & peu commun dont elles font rendues; c'eft ce tour même qui les fait fouvent appeler brillantes. Il eft certain qu'elles ennobliffent la matiere traitée par l'Auteur; elles donnent de la grace & de l'élévation au difcours. Mais outre la délicateffe des pensées, qui vient de l'efprit feulement, il y en a une qui vient des fentimens, & où l'affection a plus de part que l'intelligence; c'eft ce qu'on verra avec un peu plus de détail dans le chapitre des grands fentimens. Nous allons donner de fuite quelques exemples de penfées nobles & délicates. Exemples de Penfées nobles & délicates. Un de nos Poëtes termine ainfi l'épitaphe du Cardinal de Richelieu : Il fut trop abfolu fur l'efprit de fon maître; Dans un éloge de Louis XIV, non imprimé, un Poëte s'exprime ainfi : Son ame eft au-deffus de fa grandeur fuprême : La vertu brille en lui plus que le diadême; Et quoiqu'un vafte Etat soit soumis à sa loi, Après la publication d'une fameufe paix, on parloit ainfi de Louis XIV: Un héros que le Ciel fait naître Pour le bonheur de cent peuples divers, Que d'achever de s'en rendre le maître. Ballet du Triomphe de l'Amour. Il a fait fur lui-même un effort généreux : Il préfere au bonheur d'en devenir le maître, Les Mufes vont lui faire entendre Mille nouveaux concerts. De fa grandeur il fe plaît à defcendre : Une aimable paix est la loi Que ce vainqueur impose: Qu'il régne ce héros, qu'il triomphe toujours! Qu'avec lui foit toujours la paix ou la victoire! Que le cours de fes ans dure autant le cours que De la Seine & de la Loire ! Qu'il regne ce héros, qu'il triomphe toujours! Qu'il vive autant que fa gloire! Ces derniers vers font du grand Racine, & terminent une Idylle qu'il avoit faite fur la paix, & qui fut chantée dans l'Orangerie de Sceaux, devant le Roi Louis XIV. Řien n'eft plus naturel ni plus délicat que ce dernier vers: Qu'il vive autant que fa gloire! Autres Exemples. Boileau parle ainfi de Louis XIV, dans fon Epître fur le fameux paffage du Rhin: Lours, les animant du feu de fon courage, De tant de coups affreux la tempête orageufe « Ces derniers vers paroiffent d'abord → hardis, mais ils ne font que forts, dit le » Pere Bouhours, & ils ont une vraie no» bleffe qui les autorife. Le Poëte ne dit |