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Et des yeux de fes Saints daigne effuyer les larmes.
C'est là qu'on n'entend plus ni plaintes ni foupirs:
Le cœur n'a plus alors ni craintes ni defirs.
L'Eglife enfin triomphe, &, brillante de gloire,
Fait retentir le Ciel des chants de fa victoire.
Elle chante, tandis qu'efclaves, défolés,
Nous gémiffons encor fur la terre exilés.
Près de l'Euphrate affis (a), nous pleurons fur
fes rives :

Une jufte douleur tient nos langues captives.
Et comment pourrions-nous, au milieu des mé-
chans,

O célefte Sion, faire entendre tes chants?
Hélas! nous nous taifons: nos lyres détendues (b)
Languiffent en filence aux faules fufpendues.
Que mon exil eft long! O tranquille Cité !
Sainte Jérufalem! ô chere Eternité !
Quand irai-je au torrent de ta volupté pure
Boire l'heureux oubli des peines que j'endure?
Quand irai-je goûter ton adorable paix?
Quand verrai-je ce jour qui ne finit jamais ?

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On peut voir par ce morceau & par plufieurs autres que nous avons rapportés, que

(a) Super flumina Babylonis illic fedimus, & flevimus cùm recordaremur Sion. Pf. 136.

(b) In falicibus in medio ejus fufpendimus organa noftra. Quomodo cantabimus canticum Domini in terra aliena? Ibid.

la Poéfie, travaillée par une main habile, est très-capable de parler le langage de la piété la plus tendre & la plus affectueufe, ce que bien des perfonnes croient impoffible.

Sonnet de Des Barreaux.

C'est le langage d'un pécheur pénitent. Grand Dieu, tes jugemens font remplis d'équité! Toujours tu prends plaifir à nous être propice: Mais j'ai tant fait de mal, que jamais ta bonté Ne me pardonnera qu'en bleffant ta juftice.

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Oui, Seigneur, la grandeur de mon impiété
Ne laiffe à ton pouvoir que le choix du fupplice:
Ton intérêt s'oppofe à ma félicité,

Et ta clémence même attend que je périffe.

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Contente ton defir, puisqu'il t'eft glorieux: Offenfe-toi des pleurs qui coulent de mes yeux: Tonne, frappe, il eft temps; rends-moi guerre

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J'adore en périffant la raison qui t'aigrit:
Mais deffus quel endroit tombera ton tonnerre
Qui ne foit tout couvert du fang de Jesus-Chrift?

Perfonne n'ignore que ce Sonnet eft un des plus beaux que la Poéfie Françoise ait jamais produit.

Fin des Sujets Sacrés.

CHAPITRE II.

De ce qui contribue à la beauté de la Poéfie.

ET 1. DES PENSÉES.

LES penfées font les images des choses;

car penfer, c'eft former en foi la peinture d'un objet fpirituel ou sensible.

1°. De ce principe, il fuit que la premiere qualité (a) que doit avoir une penfée, c'est d'être vraie, puifque les images & les peintures ne font véritables qu'autant qu'elles font reffemblantes: ainfi, une pensée eft vraie, lorfqu'elle représente les chofes fidélement; & elle eft fauffe, quand elle les fait voir autrement qu'elles ne font. Les pensées font plus ou moins vraies, felon qu'elles font plus ou moins conformes à leur objet ; cette conformité fait la jufteffe de la pensée : une pensée jufte eft une penfée vraie de tous les côtés.

Mais pour penfer bien, il ne fuffit pas que les pensées n'ayent rien de faux ; car, à force d'être vraies, elles font quelquefois triviales: ainfi, outre la vérité qui contente l'efprit, il faut quelque chofe qui le frappe & qui

(a) Qualités que doivent avoir les pensées.

le

le furprenne. Mais comme toutes les pensées ingénieufes ne fauroient être nouvelles, il faut du moins que celles qui font employées dans des ouvrages d'efprit, ne foient point

ufées.

&

2o. On peut dire que dans ce genre, fur-tout en fait de Poéfie, la vérité qui plaît tant ailleurs fans nul ornement, en demande ici néceffairement; & cet ornement n'eft quelquefois qu'un tour nouveau qu'en donne aux chofes par des figures, des comparaifons, des allégories, des métaphores & autres fecours de l'art, qu'un efprit facile fait mettre en ufage.

3o. Elles doivent être proportionnées au fujet qu'on traite; ainfi, dans une matiere férieufe & élevée, des pensées badines & familieres feroient déplacées, de même que dans un fujet gai & riant, on trouveroit mauvais qu'un Auteur employât des figures & des comparaifons, qui ne font propres qu'au genre fublime.

4°. Elles doivent être claires & intelligibles; autrement, quelque fublimes, quelque agréables, quelque délicates qu'elles foient, elles perdent tout leur prix, & on ne fait aucun cas de l'efprit de l'Auteur. En toutes e fortes de matieres, l'obfcurité est très-vicieufe. Ce que des perfonnes intelligentes ont peine à entendre, n'eft point ingénieux: on eft obfcur à mesure qu'on a le fens petit & le goût mauvais.

C

5. Il faut qu'elles laiffent quelque chofe à penfer à ceux qui les lifent ou qui les entendent. Agir autrement & tourner trop longtemps autour d'une même pensée, c'est épuifer le fujet, & c'eft tomber dans le défaut qu'on a fi juftement reproché à Ovide. Un des plus sûrs moyens de plaire n'eft pas tant de dire & de penfer, comme de faire penser & de faire dire (a). Un Auteur qui veut tout dire, ôte au lecteur un plaifir qui le charme, & pour lequel il goûte les ouvrages d'ef prit; il le choque même, parce qu'il lui donne fujet de croire qu'on fe défie de fa capacité au lieu que l'adreffe de l'Auteur eft d'ouvrir feulement l'efprit du lecteur, en lui préparant de quoi produire & de quoi raifonner. Par-là le lecteur attribue ce qu'il penfe à un effet de fon génie.

6o. Elles doivent être naturelles. Les penfées naturelles font celles que la nature da fujet préfente, qui naiffent pour ainfi dire du fujet même, où rien n'eft tiré de loin, ni trop recherché. Une pensée naturelle femble devoir venir à tout le monde, & n'avoir prefque rien coûté à trouver. Rien n'est beau s'il n'eft naturel.

7°. Enfin, elles doivent être nobles & délicates; car comme le vrai eft l'ame d'une pensée, la nobleffe & la délicatesse en font l'ornement & en rehauffent le prix. Nous

(a) Bouhours,

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