Page images
PDF
EPUB

Ainfi que des momens nous y paffons les jours; Et fi nous y formons quelque légere plainte, C'eft que pour nos plaifirs les foleils font trop

courts.

Lorfque le blond Phébus dans la mer d'Hespérie
Se plonge dans les flots où fa clarté périt,
En cercle autour du feu, la fine raillerie
Epanouit le cœur, & réveille l'efprit.
Tantôt fur le bas style, & volant terre à terre,
A parer auffi prompts comme on l'eft à porter,
Neus faifons l'un à l'autre une innocente guerre
Où chacun s'étudie à fe déconcerter.
Epuifés d'entretiens, une guerre nouvelle,
Les cartes à la main, nous rend tous ennemis;
Sur le moindre incident nous entrons en que-

relle,

Et le jeu terminé nous demeurons amis. Fatigués de plaifirs plus qu'affouvis encore, Nous livrons au fommeil nos yeux appefantis; On dort dans de beaux lits au-delà de l'aurore, Où les fonges qu'on fait font des fonges d'Atys. Venez donc profiter du doux air qu'on respire Dans ce palais charmant des Graces ennobli, Où par mille agrémens que je ne puis décrire, Nous paffons, fans mourir, le confolant oubli

[merged small][ocr errors]

309

CHAPITRE X.

Des Narrations dans le genre familier. LES fables en feront les exemples; mais avant de les rapporter, il paroît convenable pour l'inftruction des jeunes gens de donner une idée de ce genre de poéfie, & de mettre en même temps fous les yeux les obfervations des maîtres de l'art fur cette matiere,

La Fable ou l'Apologue eft une inftruction (a) déguisée fous l'allégorie d'une action: c'eft comme un Poëme Epique en raccourci, qui ne le cede au grand que par l'étendue. Elle eft compofée de deux parties (6), dont on peut appeler l'une le corps, & l'autre l'ame. Le corps eft la fable, & l'ame la moralité.

Mais quoique la Fable foit une inftruction, elle n'en plaît pas moins. Il est aifé d'en fentir la raifon; c'eft premiérement, parce que l'amour - propre eft ménagé dans ces fortes de leçons. Les hommes n'aiment point les préceptes directs; ils font trop fiers pour s'accommoder de ces Philofophes qui femblent commander ce qu'ils enfeignent; ils veulent qu'on les inftruife humblement, &

(a) La Motte.
(b) La Fontaine,

ils ne fe corrigeroient pas s'ils croyoient que fe corriger fût obéir. Ces fortes d'inftructions plaifent encore, parce que l'efprit eft exercé par l'allégorie; il aime à voir plufieurs choses la fois, à en diftinguer les rapports, & il fe complaît dans cette pénétration qui l'amufe.

Les qualités effentielles d'une fable peuvent fe réduire aux fuivantes.

1o. Une fable doit être le fymbole d'une vérité, c'eft-là fon effence; car la Fable eft une philofophie déguifée, qui ne badine que pour inftruire, & qui inftruit d'autant mieux qu'elle amufe.

2o. La vérité qu'on veut apprendre, doit être cachée fous une allégorie. En effet, l'allégorie eft le langage qui plaît le plus aux hommes, c'est elle qui a l'avantage de nous faire entendre une chofe dans le temps qu'elle nous en préfente une autre ; & par le moyen de cette efpece de fupercherie, elle donne à notre efprit un exercice doux qui le réjouit, & qui lui fait faire un ufage de fes forces, tel qu'il le fouhaite.

3°. L'image dont on fe fert pour envelopper cette vérité, doit être jufte & naturelle. Ces conditions font prifes de la nature même de notre efprit, qui ne fauroit fouffrir qu'on l'embarraffe, qu'on l'égare, ni qu'on le trompe. Ainfi cette image doit être conforme aux idées que les hommes en général ont des chofes.

4°. Le récit qui forme le corps de la Fable, doit être animé par tout ce qu'il y a de plus riant & de plus gracieux; & pour y réuffir, il faut favoir attacher agréablement l'efprit aux plus petits objets, favoir appliquer de grandes comparaifons aux plus petites chofes, ménager de petites defcriptions qui jettent du gracieux dans la narration, femer de temps en temps quelques réflexions courtes & rapides, comme des traits vifs qui frappent l'efprit, peindre le fentiment avec la naïveté qui le caractérife; en un mot, imiter la nature. De cet enfemble naît cette gaieté qui eft fi néceffaire à une fable, & qui produit un effet admirable. Cet air lui eft fi néceffaire, qu'elle ne fauroit s'en paffer; c'eft fon luftre, c'eft la fleur de fa beauté. Mais ce n'eft pas une gaieté folle & vive qui excite le rire. Celle qui convient à la Fable eft plus douce & plus délicate, elle ne va qu'à l'efprit, elle l'anime, le rend attentif par le plaifir qu'elle lui donne. C'eft un certain charme, un certain air aimable & facile dont on peut égayer les fujets les plus férieux.

5. La Fable doit être revêtue d'un style familier, parce qu'il n'y a que du ftyle fimple & familier que puiffe fortir cette gaieté qui doit régner dans une fable. Lui feul peut faire éclorre ces graces naïves qui enchantent; lui feul peut animer un récit, donner du feu à un dialogue, & lui conferver ce beau naturel qui nous ravit fi fort; on doit

même remarquer que ce ftyle eft plus própre à l'infinuation que le ftyle foutenu. Ce dernier eft le langage de la méditation & de l'étude; l'autre eft le langage du fentiment. On eft en garde contre l'un, & l'on ne fonge pas à fe défendre de l'autre. Mais ce style familier ne laiffe pas d'avoir fon élégance; l'air aifé le caractérise, quoiqu'il foit fouvent plus difficile à trouver que le ftyle foutenu.

Voilà en général le ton que demande la Fable; & c'est le talent que M. de la Fontaine (a) poffédoit au fuprême degré. Il favoit jetter de la gaieté & répandre des graces dans les fujets qui en paroiffent le moins fufceptibles. Il pouvoit parler de tout ce qu'il vouloit, il favoit relever les idées magnifiques, élever les baffes, animer les froides, & faire aller avec grace les unes avec les autres. Il fut, en un mot, raffembler toutes les beautés dans fon ftyle. On y fent à chaque ligne ce que le riant a de plus gai, ce que le gracieux a de plus attirant. Il rend le familier élégant & nouveau par l'ufage qu'il en fait faire, & il joint à toute la liberté du naturel le piquant de la naïveté. Jamais homme n'écrivit avec plus de grace, plus de douceur, plus de fineffe, plus de facilité. C'eft véritablement le Poëte de la nature. On ne fent nulle part le travail ni la gêne; on diroit que

(a) Eloge de M. de la Fontaine, par divers écrivains de nos jours.

fes

« PreviousContinue »