Et l'ordre & la monotonie
Ne font point les dieux des hameaux : Au poids de la trifte fatyre
On n'y pese point tous les mots; Et fi l'on doit blâmer ou rire, Tout ce qui plaît vient à propos, Tout y fait des plaifirs nouveaux. Oui, chez les bergers, fous ces hêtres, J'ai vu dans la frugalité
Les dépofitaires, les maîtres De la douce félicité.
J'ai vu dans les fêtes champêtres, J'ai vu la pure volupté Defcendre ici fur les cabanes, Y répandre un air de gaieté Que n'ont point les plaisirs profanes Du luxe & de la dignité. Feuillage antique & vénérable, Temple des bergers de ces lieux, Orme heureux, monument durable De la pauvreté respectable Et des amours de leurs ayeux; O toi qui, depuis la durée De trente luftres révolus, Couvres de ton ombre facrée Leurs danfes, leurs jeux ingénus Sur ces bords depuis ta jeuneffe, Jufqu'à cette verte vieillesse, Vis-tu jamais changer les cœurs, Et la félicité premiere
Fuir devant la fauffe lumiere De mille brillantes erreurs? Laiffe les triftes avantages D'orner des palais fomptueux Au chêne, au cedre faftueux. Les lambris couvrent les faux fages,
Les rameaux couvrent les heureux. Tandis qu'inftruit par la nature,
Et par la fimple vérité, Mon efprit toujours enchanté Pénetre au fein de la nature, Hélas! par une loi trop dure Le plaifir vole, le temps fuit Pouflé par l'éternelle nuit. Trop tôt, hélas ! les foins pénibles, Les bienséances inflexibles, Revendiquant leurs triftes droits, Nous feront quitter cet afyle, Et nous arrachant de ces bois, Nous replongeront pour dix mois Dans l'affreux cahos de la ville, Et dans cet éternel fracas De riens pompeux & d'embarras. Dès qu'entraînés par l'habitude Au féjour de la multitude, Nous irons prendre les leçons De la vertu toujours unie Que la bonne philofophie Permet à fes vrais nourriffons, D'une ville tumultueufe
Nous adoucirons le dégoût : La raifon eft par-tout heureuse, Le bonheur du sage eft par-tout.
Eloge poétique du Printemps. C'est ici un homme, qui, revenu d'une maladie mortelle, goûte la douce fatisfaction de fe voir parfaitement rétabli, & foupire après le temps qu'il doit aller à la campagne.
Ame de l'univers, charme de nos années, Heureufe & tranquille fanté,
Toi, qui viens renouer le fil de mes journées, Et rendre à mon efprit fa plus vive clarté ; Quand prodigues des dons d'une courte jeuneffe, Ne portant que la honte & d'ameres douleurs A la précoce vieilleffe,
Les aveugles mortels abrégent tes faveurs, Je vais facrifier dans ton temple champêtre. Loin des cités & de l'ennui,
Tout nous rappelle aux champs : le printemps va renaître,
Et j'y vais renaître avec lui. Dans cette retraite chérie
De la fageffe & du plaifir, Avec quel goût vais-je cueillir La premiere épine fleurie, Et de Philomele (a) attendrie
Recevoir le premier foupir! Avec les fleurs dont la prairie A chaque inftant va s'embellir, Mon ame long-temps affoupie Va de nouveau s'épanouir, Et fans pénible rêverie
Voltiger avec le zéphir.
Occupé tout entier du foin, du plaifir d'être, Au fortir du néant affreux,
Je ne fongerai qu'à voir naître Ces bois, ces berceaux amoureux.... O jours de ma convalefcence,
Jours d'une pure volupté !
C'est une nouvelle naiffance,
Un rayon d'immortalité.
Quel feu ! tous les plaifirs ont volé dans mon
J'adore avec transport le célefte flambeau; Tout m'intéreffe, tout m'enflamme: Pour moi l'univers eft nouveau.
Sans doute que le Dieu qui nous rend l'existence, A l'heureufe convalefcence,
Pour de nouveaux plaisirs, donne de nouveaux fens.
A fes regards impatiens,
Le cahos fuit, tout naît, la lumiere commence, Tout brille des feux du printemps.
Les plus fimples objets, le chant d'une fauvette, Le matin d'un beau jour, la verdure des bois, La fraîcheur d'une violette,
Mille fpectacles qu'autrefois
On voyoit avec nonchalance,
Transportent aujourd'hui, présentent des appas
Inconnus à l'indifférence,
Et que la foule ne voit pas. Tout s'émoufle dans l'habitude; Par les plaifirs un cœur ufé, Las de leur multitude, Ne peut fe fentir flatté.
Les vers fuivans font à-peu-près fur le même fujet que les précédens. On y invite une perfonne de venir à la campagne, & on fait une description de la vie gracieuse qu'une compagnie d'honnêtes gens y mene.
Si vous veniez ici, nous ferions notre étude De bannir vos foucis, d'inftruire leur procès; Votre tranquille fœur, de votre inquiétude, Pourroit, par fon exemple, adoucir les accès. Sa belle ame " en tout temps à foi-même fem-
Fait fleurir dans fa cour repos & liberté; Et la riche Amalthée y répand fur fa table L'abondance & l'éclat, l'ordre & la propreté. Dans ces longs promenoirs qu'un fi bel art varie, Errant à l'aventure, exempts de paffion, Nous faifons fuccéder l'aimable rêverie Aux douceurs que fournit la converfation. On ne connoît ici ni regle ni contrainte :
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