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Relégué dans l'ombre des claffes,
N'eft plus aujourd'hui de saison
Chez la brillante fiction;
Que les tendres lyres des Graces
Se montent fur un autre ton;
Et qu'enfin de la foule obfcure
Qui rampe au marais d'Hélicon,
Pour fauver les vers & fon nom
Il faut être fans imposture
L'interprête de la nature
Et le peintre de la raison....
Jugez fi toute folitude

Qui nous fauve de tous ces bruits,
N'eft point l'afyle & le pourpris
De l'entiere béatitude.

Que dis-je ? eft-on feul après tout,
Lorfque touché de plaifirs fages,
On s'entretient dans les ouvrages
Des dieux de la lyre & du goût?
Tantôt de l'azur d'un nuage
Pius brillant que les plus beaux jours,
Je vois fortir l'ombre volage
D'Anacréon ce tendre fage,
Le Neftor du galant rivage,
Le Patriarche des amours.
Epris de fon doux badinage
Horace accourt à fes accens,
Horace, l'ami du bon fens,
Philofophe fans verbiage,
Et Poëte fans fade encens.

C'eft ainfi que par la présence
De ces morts vainqueurs des deftins,
On fe confole de l'abfence,

De l'oubli même des humains...
Pourquoi dans leur foule importune
Voudriez-vous me rétablir?

Leur eftime ni leur fortune
Ne me coûte point un defir....
De la fublime poéfie

Profanant la noble harmonie,
Irois-je par de vains accens
Chatouiller l'oreille engourdie
De cent ignares importans
Dont l'ame maffive, affoupie
Dans des organes impuiffans,
Ou livrée aux fougues des fens,
Ignore les dons du génie
Et les plaifirs des fentimens ?
Pourrois-je au char de l'immortelle
M'enchaîner encor pour long-temps?
Quand j'aurai passé mon printemps
Pourrois-je encore vivre avec elle?
Suivrois-je un jour à pas pesans
Ces vieilles mufes douairieres,
Ces meres feptuagénaires
Du Madrigal & des Sonnets,
Qui n'ayant été que Poëtes,
Rimaillent encore en lunettes,
Et meurent au bruit des fifflets.

Grefle

Defcriptions champêtres.

Le Poëte, dans les vers fuivans fait la defcription d'une maifon de campagne où il alloit paffer quelque temps tous les ans, & de-là il prend occafion de vanter le bonheur d'une vie retirée, où l'on eft à l'abri du tumulte des villes.

Oui, Lamoignon, je fuis les chagrins de la ville,
Et contr'eux la campagne eft mon unique asyle.
Du lieu qui m'y retient veux-tu voir le tableau?
C'est un petit village ou plutôt un hameau
Bâti fur le penchant d'un long rang de collines,
Où l'œil s'égare au loin dans les plaines voisines.
La Seine au pied des monts que fon flot vient
laver,

Voit du fein de fes eaux vingt Ifles s'élever,
Qui, partageant fon cours en diverfes manieres,
D'une riviere feule y forment vingt rivieres.
Tous fes bords font couverts de faules non plan-

tés,

Et de noyers fouvent du paffant infultés.
Le village au-deffus forme un amphithéâtre :
L'habitant ne connoît ni la chaux ni le plâtre;
Et dans le roc qui cede & fe coupe aifément,
Chacun fait de fa main creufer fon logement.
La maifon du Seigneur feule un peu plus ornée
Se préfente au-dehors de murs environnée.
Le foleil en naiffant la regarde d'abord,
Et le mont la défend des outrages du nord.

C'eft-là, cher Lamoignon, que mon esprit tranquille

Met à profit les jours que la Parque me file:
Ici dans un vallon bornant tous mes defirs,
J'achete à peu de frais de folides plaifirs.
Tantôt un livre en main errant dans les prairies,
J'occupe ma raison d'utiles rêveries:

Tantôt cherchant la fin d'un vers que je conftruis,
Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avoit fui.
Quelquefois aux appâts d'un hameçon perfide
J'amorce en badinant le poiffon trop avide;
Ou d'un plomb qui fuit l'œil, & part avec l'éclair
Je vais faire la guerre aux habitans de l'air.
Une table, au retour, propre & non magnifique
Nous préfente un repas agréable & ruftique.
Là, fans s'affujettir aux dogmes de Broulain,
Tout ce qu'on boit eft bon, tout ce qu'on mange
eft fain;

La maifon le fournit, la fermiere l'ordonne,
Et mieux que Bergerat l'appétit l'affaifonne.
O fortuné féjour ! ô champs aimés des Cieux!
Que pour jamais foulant vos prés délicieux,
Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde,
Et connu de vous feuls oublier tout le monde !
Boiteau, Epit. 6.

Eloge d'une vie retirée.

Le célebre la Fontaine, dans le morceau fuivant fait l'éloge de la folitude ou d'une vie retirée, après laquelle il foupire.

Je voudrois infpirer l'amour de la retraite. Elle offre à fes amans des biens fans embarras > Biens purs, préfens du Ciel, qui naiffent fous les pas.

Solitude où je trouve une douceur fecrette, Lieux que j'aimai toujours, ne pourrai-je jamais Loin du monde & du bruit goûter l'ombre & le frais!

✪ (a) qui m'arrêtera fous vos fombres asyles? Quand pourront les neuf fœurs, loin des cours & des villes,

M'occuper tout entier, & m'apprendre des Cieux Les mouvemens divers inconnus à nos yeux, Les noms & les vertus de ces clartés errantes " Par qui font nos deftins & nos mœurs différentes? Que fi je ne fuis né pour de fi grands projets, Du moins que les ruiffeaux m'offrent de doux objets.

Que je peigne en mes vers quelque rive fleurie. La Parque à filets d'or n'ourdira point ma vie ; Je ne dormirai point fous de riches lambris: Mais voit-on que le fomme en perde de fon prix ? En eft-il moins profond & moins plein de délices ? Je lui voue au défert de nouveaux facrifices. Quand le moment viendra d'aller trouver les morts,

J'aurai vécu fans foins, & mourrai fans remords. Fables de la Fontaine.

(a) Imitation d'un endroit de Virgile au Livre 2 des Géorgiques.

N

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