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OROS MANE.

Qu'il revînt, lui, ce traître ! Et qu'aux yeux de Zaïre il osât reparoître ! Oui, je le lui rendrois, mais mourant, mais

puni,

Mais verfant à fes yeux le fang qui m'a trahi,
Déchiré devant elle; & ma main dégoûtante
Confondroit dans fon fang le fang de fon amante,
Excufe les transports de ce cœur offensé :
Il est né violent, il aime, il eft bleffé.
Je connois mes fureurs, & je crains ma foibleffe.
A des troubles honteux je fens que je m'abaiffe.
Non, c'est trop fur Zaire arrêter un foupçon.
Non, fon cœur n'est point fait pour une trahi-

fon.

Mais ne crois pas non plus que le mien s'avilisse
A fouffrir des rigueurs, à gémir d'un caprice,
A me plaindre, à reprendre, à redonner ma foi;
Les éclairciffemens font indignes de moi.
Il vaut mieux fur mes fens reprendre un juste
empire,

Il vaut mieux oublier jufqu'au nom de Zaïre.
Corafmin, que ces murs foient fermés pour ja-
mais ;

Fais veiller la terreur aux portes du palais.
Que tout fubiffe ici le frein de l'esclavage:
Des loix de l'orient suivons l'austere usage.
On peut fans s'avilir, abaiffant fa fierté,

Jetter fur fon efclave un regard de bonté;

Mais

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Mais il eft trop honteux de craindre une maî

treffe :

Aux mœurs de l'occident laiffons cette foibleffe.
Ce fexe dangereux qui veut tout affervir,
S'il regne dans l'Europe, ici doit obéir.

Zaïre, de Voltaire.

CHAPITRE IX.

Du Genre Tempéré.

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LE genre tempéré tient le milieu entre le fimple & le fublime. Il eft fufceptible de fleurs & d'ornemens. Ces ornemens font certains tours qui contribuent à rendre le difcours plus agréable. Or de même que le genre fublime peut être comparé à ces édifices magnifiques, dont l'architecture eft d'un deffin grand & majestueux, & qui font confacrés au culte divin, ou deftinés pour être la demettre des Rois, on peut dire auffi que le genre tempéré doit être comparé aux bâtimens qui font habités par les particuliers mais où l'art, l'élégance, la richeffe même, brillent de toutes parts, & qui ont quelque chofe de fin & d'un goût exquis. Dans le genre dont il s'agit, la beauté de l'imagination regne ordinairement; les penfées en font nobles & délicates, les images en font gracieufes & brillantes fans Phoebus ni clinquant, & les expreffions élégantes & choi

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fies. Mais lorsque ce genre eft employé dans la poéfie, on peut dire que l'harmonie en rehauffe le prix, & qu'elle en augmente le charme par cet heureux mêlange d'expreffions fonores & mélodieufes, dont l'affortiment fait une impreffion très - agréable fur l'oreille.

On l'emploie ordinairement dans tous les fujets qui ne font point du reffort du fublime ni du haut dramatique, & qui font capables d'anufer agréablement les hommes. C'est dans ce genre que l'on traite les églogues, les fatyres, les épîtres, les defcriptions champêtres, les relations familieres, tels que font les contes, les faits particuliers qui ne tiennent à rien d'héroïque ni de merveilleux. Enfin, c'eft le genre avec lequel on dépeint tout ce qu'il y a de riant & de gracieux dans la nature; on s'en fert même pour critiquer ingénieufement les mœurs & les ouvrages; en un mot, pour toutes les productions de l'efprit qui contribuent à l'amufement de la fociété.

Critique badine du monde.

Dans cette piece, un Poëte qui étoit follicité par un ami de quitter fa folitude, & de venir dans le monde y faire connoître fes talens, vante le bonheur du loifir littéraire dont il jouit, & prend de-là occafion de faire une critique fine & ingénieufe des divers dé

fagrémens que l'on a à effuyer dans le monde, & de tout ce qui peut choquer un homme de goût.

Heureux qui, dans fa paix fecrette
D'une libre & belle retraite,
Vit ignoré, content du peu,
Et qui ne fe voit point fans ceffe
Jouer de l'aveugle déeffe,
Ou dupe de l'aveugle Dieu!...
Là dans la liberté fuprême
Semant de fleurs tous les inftans,
Dans l'empire de l'hyver même
On trouve les jours du printemps.
Calme heureux, loifir folitaire !

Quel lieu n'a point de quoi nous plaire
Lorsqu'on y trouve le bonheur,
Lorsqu'on y vit fans spectateur
Dans le filence littéraire,
Loin de tout importun jaseur,
Loin des froids difcours du vulgaire
Et des hauts tons de la grandeur,
Loin de ces troupes doucereuses
Où d'infipides précieuses,
Où de petits fats, ignorans,
Viennent, conduits par la folie,
S'ennuyer en cérémonie

Et s'endormir en complimens;
Loin de ces ignobles Zoiles,
De ces enfileurs de dactyles,
Coeffés de phrases imbécilles,

Et de claffiques préjugés, Et qui, de l'enveloppe épaiffe Des pédans de Rome & de Grece N'étant point encor dégagés, Portent leur petite fentence Sur la rime & fur les Auteurs, Avec autant de connoiffance Qu'un aveugle en a des couleurs; Loin de la gravité Chinoise De ce vieux Druide empefé, Qui fous un air fymmétrifé Parle à trois temps, rit à la toise, Regarde d'un œil apprêté, Et m'ennuie avec dignité; Loin de tous ces faux Cénobites, Qui voués encor tout entiers Aux vanités qu'ils ont profcrites, Errant de quartiers en quartiers, Vont dans d'équivoques visites Porter leurs faces parafites Et le dégoût de leurs moutiers; Loin de ces fauffets du Parnasse, Qui pour avoir glapi par fois Quelque épithalame à la glace Dans un petit monde bourgeois, Ne caufent plus qu'en folles rimes, Ne vous parlent que d'Apollon, De Pégafe & de Cupidor., Et telles fadeurs fynonymes, Ignorant que ce vieux jargon

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