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il le montra par les côtés où il eft acceffible à la tendresse & à la compaffion. Il développa en connoiffeur les fentiinens les pus vifs de notre ame. Ce ne furent pas les grands Rois ni les héros qu'il s'attacha à représenter, non qu'il en fût incapable, puifqu'il les fait parler avec toute la dignité convenable lorique leur intervention eft néceffaire, témoin Mithridate, Achille, Burrhus & les autres ; mais ayant reçu de la nature le talent de peindre les fujets capables de nous attendrir, il en fit fon objet capital, & il y employa toutes les fineffes de fon art. Une jeune Princeffe destinée au plus vaillant des Grecs, mais tout-d'un-coup prête à être facrifiée ; une mere éplorée à qui l'on veut ravir fon fils pour le faire périr; un enfant d'un fang royal échappé à la cruauté d'une mere dénaturée ; un jeune Prince aimable, opprimé par un tyran, & autres fujets de cette forte; telles font les peintures qu'il expofa aux yeux de fes concitoyens ; & comme rien n'étoit plus capable d'intéreffer les hommes que de pareils fujets, non-feulement il fe fit écouter, il ébranla, il attendrit tous les fpectateurs de fes pieces, & il eut la fatisfaction d'arracher des larmes à fes propres envieux. En un mot, par les graces touchantes qu'il répandit fur tous fes fujets, M. Racine eut l'honneur d'entrer en partage des applaudiffemens du public avec un homine qui s'étoit emparé de tout le théâtre; car il fentoit bien

que le plus haut point de fa gloire étoit, non de l'en dépofféder, mais de s'y établir à côté de lui, & de voir le monde s'accoutumer peu-à-peu à faire la comparaison de fes pieces avec celles du pere du théâtre.

M. Racine n'eft pas allé, à la vérité, jufqu'aux beautés fublimes, & fon élévation n'a pas été du premier degré; mais il n'eft pas tombé dans ces écarts qu'on reproche à Corneille, & dans lefquels il n'eft plus femblable à lui-même. Il a été beaucoup plus égal que lui; fon ftyle ne peut que plaire à caufe de fa pureté & d'une élégance charmante qui ne fe dément jamais. Ses pieces font femées d'une infinité de traits vifs, aimables & naturels ; elles refpirent je ne fais quoi de doux & de tendre qui part du cœur & y va directement. C'eft par cet art enchanteur, qu'il trouva le moyen de plaire fi fort à tous les cœurs faciles aux impreffions des paffions. De-là on peut comprendre quel nombre de perfonnes de tout fexe goûterent avidement la lecture de fes pieces, & en virent avec tranfport les repréfentations.

Les hommes fe laiffent toucher facilement à la vue des paffions fatales dont on leur met des exemples fous les yeux; mais rien ne les émeut plus vivement, que lorsque ces exemples font d'exactes copies des foibleffes dont eux-mêmes ne font que trop l'expérience or telles font les pieces de Racine. En voyant un homme illuftre, un héros en

un mot, dans les chaînes d'une vive pafsion, chérir fouvent fon propre efclavage ils aiment à pleurer avec lui, ils s'attendriffent fur eux-mêmes par le fpectacle de fes maux; mais ils s'applaudiffent en fecret de ce que le héros n'eft pas exempt des foibleffes auxquelles ils font eux-mêmes affujettis. Comment penferoient-ils à les furmonter? Un pareil exemple les empêche d'en rougir.

Et voilà pourquoi les gens fages qui favent que tout ce qui eft beau n'eft pas exempt de danger, & que toutes les productions de l'efprit, quelque admirables qu'elles foient, ne conviennent pas indifféreniment à tout le monde, ne craignent pas de dire, pour l'intérêt des mœurs, qu'une lecture femblable peut être dangereufe à un certain âge, & qu'elle ne doit pas être permife aux perfonnes

dont le cœur a encore toute fon innocence. C'est un des principaux motifs, comme on l'a obfervé dans la Préface, qui a déterminé à faire le choix de divers morceaux de poésie que l'on voit dans ce Recueil.

Scenes intereffantes par la tendreffe des Jentimens.

Après que les Grecs eurent détruit la ville de Trove, Andromaque, veuve d'Hector, fameux Troyen, qui avoit été tué par Achille, & dont la valeur avoit rendu leurs efforts fi long amps inutiles, échut en partage à Pyr

rhus,

rhus, & elle demeura fa prifonniere avec fon fils Aftianax. L'hiftoire de ces temps héroïques nous repréfente Andromaque comme très-attachée à la mémoire d'Hector. Elle lui avoit élevé un magnifique tombeau en Epire, & elle ne ceffoit de parler de lui; on dit même qu'elle cacha pendant quelque tems fon fils Aftianax dans ce tombeau, pour le dérober à la connoiffance des Grecs, parce que les Grecs craignant qu'Hector ne revécût un jour dans cet enfant, demandoient à Pyrrhus, fils d'Achille, qu'il le leur livrât; mais Pyrrhus qui aimoit paffionnément Andromaque, s'y oppofoit de tout fon pouvoir, & fe flattoit qu'en fauvant le fils, il pourroit fléchir la rigueur de la mere & la faire confentir à l'époufer: tantôt il employoit fon amour pour l'adoucir en fa faveur, tantôt défefpéré, il faifoit semblant de vouloir livrer aux Grecs Aftianax. C'eft dans cette pofition que le célebre Racine nous repréfente Andromaque dans la tragédie de ce nom.

PYRRH U S.

Me cherchiez-vous, Madame

Un espoir fi charmant me feroit-il permis?

ANDROMA QUE.

Je paffois jufqu'aux lieux où l'on garde mon fils. Puifqu'une fois le jour vous fouffrez que je voie Le feul bien qui me refte & d'Hector & de Troye,

L

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J'allois, Seigneur, pleurer un moment avec lui Je ne l'ai point encore embraffé d'aujourd'hui.

PYRRH U S.

Ah! Madame, les Grecs, fi j'en crois leurs ala

mes,

Vous donneront bientôt d'autres sujets de lar

mes.

ANDRO MAQUE.

Et quelle eft cette peur dont leur cœur eft frappé? Seigneur, quelque Troyen vous eft-il échappé ?

PYRRHUS.

Leur haine pour Hector n'eft pas encore éteinte, Ils redoutent fon fils.

ANDROMA QUE.

Digne objet de leur crainte!

Un enfant malheureux qui ne fait pas encor Que Pyrrhus eft son maître, & qu'il eft fils d'Hector!

PYRRH US.

Tel qu'il eft, tous les Grecs demandent qu'il périffe.

Le fils d'Agamemnon vient hâter fon fupplice,

ANDROMA QUE.

Et vous prononcerez un arrêt fi cruel!
Eft-ce mon intérêt qui le rend criminel?

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