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Mais fi Rome en vous-même ofe braver les Rois, S'il faut d'autres fecours laiffez-les à mon choix : J'en trouverai, Seigneur, & j'en fais qui peutêtre

N'auront à redouter ni maîtreffe ni maître....

MASINISSE.

Madame, je vous laiffe aux mains de Lælius.
Vous avez pu vous-même entendre ses refus,
Et mon amour ne fait ce qu'il peut fe pro-

mettre

De celles du Conful où je vais me remettre. L'un & l'autre eft Romain, & peut-être en ce

lieu

Ce peu que je vous dis eft le dernier adieu.

Je ne vois rien de sûr que cette trifte joie (a): Ne me l'enviez plus, fouffrez que je vous voie; Souffrez que je vous parle & vous puiffe expri

mer

Quelque part des malheurs où l'on peut m'abimer,

Quelques informes traits de la fecrette rage Que déjà dans mon cœur forme leur fombre image.

Non que je défefpere: on m'aime; mais, hélas ! On m'eftime, on m'honore, & l'on ne me craint pas....

(a) De vous voir dans le moment préfent.

Madame, au nom des dieux raffurez mon cou

rage,

Dites que vous m'aimez, j'en pourrai davantage.

SOPHONIS BE.

Allez, Seigneur, allez ; je vous aime en époux, Et ferois à mon tour auffi foible que vous.

Elle dit ce qui fuit hors de la préfence de Mafiniffe.

Cependant de mon feu l'importune tendreffe, Auffi - bien que ma gloire, en mon sort s'intéreffe,

Veut régner en mon cœur contre ma liberté,
Et n'ofe l'avouer de toute fa fierté.

Quelle baffeffe d'ame! ô ma gloire ! ô Carthage!
Faut-il qu'avec vous deux un homme la partage?
Et l'amour de la vie en faveur d'un époux
Doit-il être en ce cœur auffi puiffant que vous?
Ce héros a trop fait de m'avoir épousée :
De fa feule pitié s'il m'eût favorisée,
Cette pitié peut-être en ce trifte & grand jour

Auroit plus fait pour moi que cet excès d'amour.

SUITE DU MÊME SUJET.

Récit des derniers fentimens de Sophonifbe après avoir pris du poifon. C'est encore ici le langage d'une haine implacable; c'est une femme d'un courage des plus mâles, qui, en fe donnant la mort, brave fes vainqueurs.

C'eft un Romain qui parle :

Ma préfence n'a fait que hâter fon (a) trépas....
A peine elle m'a vu, que d'un regard farouche
Portant je ne fais quoi de fa main à fa bouche,
Parlez, m'a-t-elle dit, je fuis en sûreté,
Je recevrai votre ordre avec tranquillité.
Surpris d'un tel discours, je l'ai pourtant flattée,
J'ai dit qu'en grande Reine elle feroit traitée,
Que Scipion & vous en prendriez souci,
Et j'en voyois déjà fon regard adouci,
Quand d'un fouris amer me coupant la parole,
« Qu'aisément, reprend-elle, une ame fe con
» fole !

» Je fens vers cet efpoir tout mon cœur s'é>> chapper,

» Mais il eft hors d'état de fe laiffer tromper,

» Et d'un poifon ami le fecourable office

» Vient de fermer la porte à tout votre artifice. » Dites à Scipion qu'il peut dès ce moment

(a) De Sophonisbe.

>> Chercher à fon triomphe un plus rare orne

>>> ment.

>> Pour voir de deux grands Rois la lâcheté punie, >> J'ai dû livrer leur femme à cette ignominie ; » C'est ce que méritoit leur amour conjugal : » Mais j'en ai dû fauver la fille d'Afdrubal. » Leur baffeffe aujourd'hui de tous deux me dé» gage,

» Et n'étant plus qu'à moi, je meurs toute à Car>> thage,

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» Digne fang d'un tel pere & digne de régner » Si la rigueur du fort eût voulu m'épargner ». A ces mots la fueur lui montant au visage, Les fanglots de fa voix faififfent le passage. Une morne pâleur s'empare de fon front : Son orgueil s'applaudit d'un remede fi prompt": De fa haine aux abois la fierté fe redouble. Elle meurt à mes yeux, mais elle meurt fans trouble,

Et foutient en mourant la pompe d'un courroux, Qui femble moins mourir que triompher de nous. Sophonifbe, de Corneille.

CHAPITRE VII I.

Des Scenes touchantes.

COMME Racine eft celui des Poëtes qui s'eft le plus diftingué par la tendreffe des fentimens, on a cru devoir donner une idée de

ce célebre tragique, de même qu'on en avoit donné de Corneille.

Lorfque M. Racine commença à fe faire connoître, le grand Corneille étoit dans fa plus haute réputation, fes vers voloient en tous lieux. Ainfi, la démarche de vouloir entrer dans la même carriere que lui, & de partager la gloire de briller fur la scene avec un homme que l'on regardoit comme inimitable, paffa pour hardie & téméraire. La prévention où étoit alors fon fiecle, ne rebuta pas le nouveau Poëte dans les premiers effais qu'il fit de fes talens. Il comprit qu'il falloit attacher les fpectateurs par une autre voie que celle que Corneille avoit prife, & les émouvoir par d'autres refforts.

M. Racine s'étoit appliqué dès fa jeuneffe à la lecture de Sophocle & d'Euripide: par l'étude qu'il en avoit faite, il s'étoit familiarifé avec la langue de ces illuftres Poëtes Grecs, & il étoit venu à bout d'en fentir toutes les beautés. Il s'étudia donc à les imiter dans la compofition de fes pieces, & à exciter dans les cœurs cette terreur & cette pitié qui font les grands mouvemens que doit produire la tragédie. Il donna à fes héros un caractere différent de celui que Corneille avoit donné aux fiens. I laifla à ce dernier la gloire de faire des tableaux fiers & magnifiques, il en voulut faire de touchans, on peut dire même de plus conformes à la vraie nature, & il y réuffit. Il entra dans le cœur des hommes,

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