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CORNÉLIE.

O Ciel ! que de vertus vous me faites hair!

Mort de Pompée, de Corneille.

Image de la fierté' Romaine.

Syphax, Roi de Numidie, avoit été l'ami & l'allié des Romains; il avoit eu l'avantage de voir dans fon palais les deux plus célebres guerriers de l'antiquité, je veux dire Scipion Africain & Annibal, qui s'y rendirent pour une entrevue. Il eut même la fatisfaction de réunir à fa table ces deux hommes illuftres que la gloire rendoit rivaux, & qui fe virent là pour la premiere fois: mais comme il époufa dans la fuite Sophonisbe, fille d'Afdrubal, il quitta le parti des Romains pour fuivre celui des Carthaginois; & il ne fut pas long-temps fans avoir lieu de s'en repentir. Les Romains le défirent dans un combat, il fut fait prifonnier & chargé de fers. C'eft dans cette derniere circonftance, que Corneille nous le repréfente amené devant Lælius, Lieutenant de Scipion. Le Poëte y fait fentir dans le propos de ce Romain, cet air de grandeur & de fierté dont il favoit fi bien caractériser un peuple qui étoit venu à bout de s'affujettir toutes les puiffances, & il fait connoître en même-temps toute la haine d'une ame Carthaginoife contre les Romains dans le portrait que Syphax fait de Sophonisbe.

LELIUS, parlant de Syphax.

Détachez-lui fes fers, il fuffit qu'on le garde.
Prince (a), je vous ai vu tantôt comme ennemi,
Et vous vois maintenant comme ancien ami.
Le fameux Scipion de qui vous fûtes l'hôte
Ne s'offenfera point des fers que je vous ôte,
Et feroit encor plus, s'il nous étoit permis
De vous remettre au rang de nos plus chers amis.
SY PHA X.

Ah! ne rejettez point dans ma trifte mémoire
Le cuifant fouvenir de l'excès de ma gloire,
Et ne reprochez point à mon cœur désolé,
A force de bontés, ce qu'il a violé....
Je fus l'ami de Rome & de ce grand courage
Qu'oppofent nos deftins aux deftins de Carthage.
Mais que peuvent les droits de l'hospitalité
Sur un cœur fi facile à l'infidélité?

J'en fuis affez puni par un revers fi rude,
Seigneur, fans m'accabler de mon ingratitude...
LELIU S.

Je ne vous parle auffi qu'avec cette pitié
Que nous laiffe pour vous un refte d'amitié;
Elle n'eft pas éteinte, & toutes vos défaites
Ont rempli nos fuccès d'amertumes fecretes.
Nous ne faurions voir même aujourd'hui qu'à
regret

(a) Parlant à Syphax.

Ce gouffre de malheurs que vous vous êtes fait Par quel motif de haine obstinée à vous nuire Nous avez-vous forcés vous-même à vous détruire ?

SYPHA X.

Lorfque je vous aimai, j'étois maître de moi,
Et tant que je le fus, je vous gardai ma foi;
Mais dès que Sophonisbe avec fon hyménée
S'empara de mon ame & de ma destinée,
Je fuivis de fes yeux le pouvoir absolu,
Et n'ai voulu depuis que ce qu'elle a voulu...
Sophonisbe par-là devint ma fouveraine,
Régla mes amitiés, disposa de ma haine,
M'anima de fa rage, & versa dans mon sein
De toutes les fureurs l'implacable dessein.
Sous ces dehors charmans qui paroient fon visage,
C'étoit une Alecton que déchaînoit Carthage; :
Elle avoit tout mon cœur, Carthage tout le fien
Hors de fes intérêts elle n'écoutoit rien;
Et malgré cette paix que vous m'avez offerte,
Elle a voulu pour eux me livrer à ma perte:
Vous voyez fon ouvrage en ma captivité.
Sophonisbe, de Corneille.
Idée de la haine des Carthaginois contre
les Romains. Toute cette fcene eft très
intéreffante par le contrafte des fenti-

mens.

Sophonisbe,

, pour n'être pas conduite à Rome avec Syphax, époufa Mafiniffe: mais

Lælius déclara à ce dernier que les Romains ne confentiroient point à ce mariage, que Sophonisbe étoit leur prifonniere, & qu'ils l'obligeroient à fe féparer d'elle; cependant il confentit qu'il vit Sophonifbe pour quelques momens : c'est à cette occafion qu'il parle ainfi dans la scene fuivante :

Gardes, que fans témoins on le laisse avec elle. Vous (a), pour dernier avis d'une amitié fidele Perdez fort peu de temps en ce doux entretien, Et jufques au retour ne vous vantez de rien. MASINISSE à Lælius dans le temps que Sophonisbe eft fur le point de paroître.

Voyez-le donc, Seigneur, voyez tout fon mérite; Voyez s'il eft aisé qu'un héros (b)......Il me quitte,

Et d'un premier éclat le barbare alarmé

N'ofe expofer fon cœur aux yeux qui m'ont charmé ;

Il veut être inflexible, & craint de ne plus l'être,
Pour peu qu'il se permît de voir & de connoître.
Allons, allons, madame, effuyer aujourd'hui
Sur le grand Scipion ce qu'il a craint pour lui.
Il vient d'entrer au camp, venez-y, par vos
charmes,

t

Appuyer mes foupirs & fecourir mes larmes ;

(a) Mafiniffe.

(b) Lælius fort

Et que les mêmes yeux qui m'ont fait tout ofer, Si j'en fuis criminel, fervent à m'excufer.

SOPHONIS BE.

Le trouble de vos fens dont vous n'êtes plus maître

Vous a fait oublier, Seigneur, à me connoître. Quoi ! j'irois mendier jufqu'au camp des Ro

mains

La pitié de leur chef qui m'auroit en fes mains!
J'irois déshonorer par un honteux hommage
Le trône où j'ai pris place, & le fang de Car-
thage !

Et l'on verroit gémir la fille d'Afdrubal
Aux pieds de l'ennemi pour eux le plus fatal!
La vieille antipathie entre Rome & Carthage
N'eft pas prête à finir par un tel affemblage.
Ne vous préparez point à rien facrifier
A l'honneur qu'il auroit de vous juftifier.
Pour effet de vos feux & de votre parole,
Je ne veux qu'éviter l'afpe&t du Capitole.
Que ce foit par l'hymen ou par d'autres moyens,
Que je vive avec vous, ou chez vos citoyens,
La chofe m'eft égale, & je vous tiendrai quitte,
Qu'on nous fépare ou non, pourvu que je l'évite.
Mon amour voudroit plus, mais je regne fur lui,
Et n'ai changé d'époux que pour prendre un
appui....

Je ne vous cele point que je ferois ravie
D'unir à vos deftins les reftes de ma vie.

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