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RODRIGUE.

Sans qu'on m'ofe accufer d'avoir manqué de

cœur,

Sans paffer pour vaincu, fans fouffrir un vain

queur,

On dira feulement: Il adoroit Chimene,

Il n'a pas voulu vivre, & mériter sa haine... Pour venger fon honneur, il perdit fon amour; Pour venger fon amante, il a quitté le jour, Préférant, quelque efpoir qu'eût fon ame affervie, Son honneur à Chimene, & Chimene à fa vie... CHIME N E.

Puifque, pour t'empêcher de courir au trépas, Ta vie & ton honneur font de foibles appas,

Si jamais je t'aimai, cher Rodrigue, en revanche
Défends- toi maintenant pour m'ôter à Dom
Sanche....

Et fi tu fens pour moi ton cœur encor épris,
Sors vainqueur d'un combat dont Chimene eft

le prix.

Cid, de Corneille.

Scenes célebres par la dignité des perfonnages & l'élévation des fentimens.

L'Empereur Augufte met en délibération s'il quittera l'Empire, ou s'il le retiendra. C'eft le fujet de là fcene fuivante, dans laquelle on voit que le fouverain pouvoir n'est pas capable de mettre le cœur humain au

deffus de tous fes defirs, & qu'il renferme plus de foucis qu'on ne s'imagine. On y voit les réponses de Cinna & de Maxime, à qui Augufte demande leur avis fur un deffein de cette importance. Cette fcene eft traitée avec toute la nobleffe & la dignité que demandoit un pareil fujet; l'élévation y regne dans les fentimens, & l'harmonie dans les vers; tout y eft digne du grand Corneille. On n'en a recueilli que les traits les plus remarquables.

AUGUST E.

Cet empire abfolu fur la terre & fur l'onde,
Ce pouvoir fouverain que j'ai fur tout le monde,
Cette grandeur fans borne & cet illuftre rang
Qui m'a jadis coûté tant de peine & de fang,
Enfin tout ce qu'adore en ma haute fortune,
D'un courtifan flatteur la préfence importune,
N'eft que
de ces beautés dont l'éclat éblouit,
Et qu'on ceffe d'aimer fi-tôt qu'on en jouit.
L'ambition déplaît quand elle eft affervie:
D'une contraire ardeur fon ardeur eft fuivie ;
Et comme notre cœur jufqu'au dernier soupir
Tou ours vers quelque objet pouffe quelque defir;
Il fe ramene en foi n'ayant plus où le prendre,
Et monté fur le faîte, il afpire à defcendre.
J'ai fouhaité l'Empire, & j'y fuis parvenu;
Mais en le fouhaitant, je ne l'ai pas connu.
Dans fa poffeffion j'ai trouvé pour tous charmes
D'effroyables foucis, d'éternelles alarmes,

Mille ennemis fecrets, la mort à tout propos,
Point de plaifir fans trouble, & jamais de repos.
Sylla m'a précédé dans le pouvoir fuprême,
Le grand Céfar mon pere en a joui de même:
D'un œil fi différent tous deux l'ont regardé,
Que l'un s'en eft démis, & l'autre l'a gardé.
Mais l'un cruel, barbare, eft mort aimé, tran-
quille,

Comme un bon citoyen dans le fein de fa ville.
L'autre tout débonnaire, au milieu du Sénat,
A vu trancher fes jours par un affaffinat.
Ces exemples récens fuffiroient pour m'inftruire,
Si par l'exemple feul on fe devoit conduire..
L'un m'invite à le fuivre, & l'autre me fait peur.
Mais l'exemple fouvent n'eft qu'un miroir trom-
peur;

Et l'ordre du deftin qui gêne nos pensées,
N'eft pas toujours écrit dans les chofes paffées.
Quelquefois l'un fe brife où l'autre s'eft fauvé,
Et par où l'un périt, un autre eft confervé.
Voilà, mes chers amis, ce qui me met en peine.
Vous, qui me tenez lieu d'Agrippa, de Mécene,
Pour réfoudre ce point avec eux débattu,

Prenez fur mon efprit le pouvoir qu'ils ont eu. Vous mettrez & l'Europe & l'Afie & l'Afrique Sous les loix d'un Monarque ou d'une Répu blique:

Votre avis eft ma regle, & par ce feul moyen Je veux être Empereur ou fimple citoyen.

CINNA.

N'imprimez pas, Seigneur, une honteufe marque
A ces rares vertus qui vous ont fait Monarque;
Vous l'êtes juftement, & c'eft fans attentat
Que vous avez changé la forme de l'Etat.
On ne renonce point aux grandeurs légitimes;
On garde fans remords ce qu'on acquiert fans
crimes;

Et plus le bien qu'on quitte eft noble, grand, exquis,

Plus qui l'ofe quitter le juge mal acquis. Rome eft deffous vos loix par les droits de la guerre,

Qui fous les loix de Rome a mis toute la terre. Vos armes l'ont conquife, & tous les conqué

rans

Pour être ufurpateurs, ne font pas des tyrans. Quand ils ont fous leurs loix affervi des provinces,

Gouvernant justement, ils s'en font juftes Prin

ces.

C'est ce que fit Céfar: il vous faut aujourd'hui
Condamner fa mémoire, ou faire comme lui.....
On entreprend affez, mais aucun n'exécute:
Il eft des affaffins, mais il n'eft plus de Brute (a):
Enfin, s'il faut attendre un femblable revers,
Il est beau de mourir maître de l'univers.

(a) Brutus fur un de ceux qui affaffinerent Jules-Céfar.

MAXIM E.

Suivez, fuivez, Seigneur, le Ciel qui vous inf pire :

Votre gloire redouble à méprifer l'Empire;
Et vous ferez fameux chez la postérité

Moins pour l'avoir conquis, que pour l'avoir quitté.

Le bonheur peut conduire à la grandeur fuprême ;

Mais, pour y renoncer, il faut la vertu même;
Et peu de généreux vont jusqu'à dédaigner,
Après un fceptre acquis, la douceur de régner.
CINNA.

Rome a reçu des Rois fes murs & fa naissance ;
Elle tient des Confuls fa gloire & fa puissance,
Et reçoit maintenant de vos rares bontés
Le comble fouverain de fes profpérités.
Sous vous l'Etat n'eft plus en pillage aux armées;
Les portes de Janus par vos mains font fermées :
Ce que fous les Confuls on n'a vu qu'une fois,
Et qu'a fait voir comme eux le fecond de nos
Rois....

Que l'amour du pays, que la pitié vous touche.
Votre Rome à genoux vous parle par ma bouche.
Confidérez le prix que vous avez coûté:
Non pas qu'elle vous croie être trop acheté:
Des maux qu'elle a foufferts elle eft trop bien
payée.

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