RODRIGUE. Tu le dois. CHIMENE. Je ne puis RODRIGUE. Crains tu fi peu le blâme & fi peu les faux bruits? Quand on faura mon crime, & que ta flamme dure, Que ne publiront point l'envie & l'imposture? Force-les au filence, & fans plus discourir, Sauve ta renommée en me faifant mourir. CHIMENE. Elle éclate bien mieux en te laissant la vie ; Adieu, je vais traîner une mourante vie CHIMENE. Si j'en obtiens l'effet, je t'engage ma føi Suite du même fujet. On vient d'apprendre à Chimene que Rodrigue a remporté une grande victoire fur les ennemis de l'Etat, ce qui fait qu'elle eft partagée entre le deffein que l'honneur lui impofe de poursuivre la vengeance de fon pere contre Rodrigue, & l'amour qu'elle a pour ce brave guerrier: on fent qu'elle voudroit que la gloire de Rodrigue fût pour elle un fujet de douleur, mais fa foibleffe la trahit; cependant, pour se faire illufion à elle-même, elle fait éclater des fentimers qui conviennent à la fituation où elle eft, & la tristesse dont elle doit être remplie. CHIMENE. N'eft-ce point un faux bruit? le fais-tu bien, Elvire? ELVIR E. Vous ne croiriez jamais comme chacun l'admire, Et porte jufqu'au Ciel, d'une commune voix, De ce jeune héros les glorieux exploits. Les Maures devant lui n'ont paru qu'à leur honte. Leur abord fut bien prompt, leur fuite encor plus prompte: Trois heures de combat laiffent à nos guerriers Une victoire entiere & deux Rois prifonniers. La valeur de leur chef ne trouvoit point d'obftacles. CHIME N E. Et la main de Rodrigue a fait tous ces miracles! EL VIR E. De fes nobles efforts ces deux Rois font le prix : Sa main les a vaincus, & fa main les a pris. CHIMENE. De qui peux tu favoir ces nouvelles étranges? Du peuple qui par-tout fait fonner fes louanges, CHIMENE. Et le Roi, de quel œil voit-il tant de vaillance? ELVIRE. Rodrigue n'ofe encor paroître en fa préfence; Mais Dom Diegue ravi lui préfente enchaînés Au nom de ce vainqueur ces captifs couronnés, Et demande pour grace à ce généreux Prince, Qu'il daigne voir la main qui fauve la province. CHIMENE. Mais n'eft-il point bleffé? ELVIR E. Je n'en ai rien appris. Vous changez de couleur !.. Reprenez vos es prits. CHIMENE. Reprenons donc auffi ma colere affoiblie : Silence, mon amour, laiffe agir ma colere : Ces triftes vêtemens, où je lis mon malheur, nime, Ici tous les objets me parlent de fon crime. Suite du même fujet. Dom Fernand, Roi de Caftille, ayant per mis à un cavalier de fa cour de fe battre contre Rodrigue, pour venger Chimene de la mort de fon pere, Rodrigue, avant que d'aller à ce combat, parle ainfi à Chimene RODRIGUE Vous demandez ma mort, j'en accepte l'arrêt. ment, Puifque c'eft votre honneur que fes armes fou tiennent, Je vais lui préfenter mon eftomac ouvert, CHIMENE. Si d'un trifte devoir la juste violence Qu'il te rend fans défense à qui combat pour moi; monte. Quelle inégalité ravale ta vertu? Pourquoi ne l'as-tu plus, ou pourquoi l'avois-tu ? Quoi tu n'es généreux que pour me faire outrage? S'il ne faut m'offenfer, n'as-tu point de courage? Et traites-tu mon pere avec tant de rigueur, Qu'après l'avoir vaincu, tu fouffres un vainqueur ? Va, fans vouloir mourir, laiffe - moi te pourfuivre, Et défends ton honneur fi tu ne veux plus vivre |