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Et je tiendrai toujours mon bonheur infini,
Si les miens font vengés & le tyran (a) puni.

Héraclius.

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C'eft à l'occafion de cette même erreur que Martian, fils de Phocas, croit être le véritable Héraclius ; & comme il en prit le nom auffi-tôt, & qu'il fe difoit tel à Thocas, ce tyran le menaçoit de la mort. C'eft dans ces circonftances que Martian parle ainsi à Phocas:

J'entends donc mon arrêt fans qu'on me le pro

nonce :

Héraclius mourra comme a vécu Léonce (3). Bon fujet, meilleur Prince, & ma vie & ma

mort

Rempliront dignement & l'un & l'autre fort. La mort n'a rien d'affreux pour une ame bien née :

A mes côtés pour toi je l'ai cent fois traînée,
Et mon dernier exploit contre tes ennemis,
Fut d'arrêter fon bras qui tomboit fur ton fils.

Ibid.

(a) Phocas, meurtrier de l'Empereur Maurice, pere de Pulchérie.

(b) Le vrai Martian paffoit pour Léonce, & le vrai Héraclius pour Martian.

CHAPITRE VI I.

Des Scenes célebres.

AVANT de rapporter quelques scenes brillantes de nos Poëtes les plus célebres, on a cru devoir donner une idée du caractere des deux grands hommes qui ont fi fort illustré le théâtre François ; nous commencerons par celui de Corneille.

Avant (a) M. de Corneille, la France n'avoit rien vu fur la fcene de fublime, ni même, pour ainfi dire, de raifonnable. Ce grand homme, guidé par fon feul génie, étudia les grands maîtres de l'antiquité qui avoient traité cette matiere; & joignant fes propres réflexions aux connoiffances qu'il puifa chez eux, il fe fraya des routes qu'on avoit ignorées jufqu'alors. Dédaignant fiérement le faux goût de fon fiecle qui régnoit dans les pieces de ceux qui l'avoient précédé, « il fe » forma une haute idée de la tragédie, & il >> comprit de bonne heure que les plus grands >> intérêts devoient en être les uniques ref» forts ». Peignant donc fes caracteres d'après l'idée de cette grandeur Romaine dont il s'étoit fi bien rempli, il la mit en œuvre

(a) Ce qui eft marqué, par des guillemets eft pris des Réflexions de M. de Fontenelle dans la vie de Corneille.

avec

avec tout le fuccès que fes heureux talens pouvoient lui promettre. Il forma fes figures plus grandes, à la vérité, que le naturel, mais nobles, hardies, admirables dans toutes leurs proportions; & comme la pompe des vers lui étoit naturelle, il revêtit de leur harmonie les fentimens qu'il donna à fes héros, & répandit fur tous fes grands tableaux des graces fileres & fublimes. On admira la richeffe de fes expreffions, l'élévation de fes pensées & la maniere impérieufe dont il manioit, pour ainfi dire, la raison humaine.

Le fuccès de fes premieres pieces tragiques fut fi prodigieux, que les lecteurs autant que les fpectateurs, fe fentirent tranfportés pour lui d'une admiration qui alla, pour ainfi parler, jufqu'à l'idolâtrie. Ses vers étoient dans la bouche de tout le monde & cela est beau comme le Cid, étoit une louange qui avoit paffé en proverbe. L'ingénieux (a) auteur de fa vie, nous apprend « que M. de Corneille avoit dans fon cabinet » cette piece traduite en toutes les langues de » l'Europe, hors l'Efclavone & la Turque ». Tout le monde fait que cette célebte piece excita la jaloufie du Cardinal de Richelieu. Ce Miniftre, dont le nom fera immortel, par une foibleffe qu'on ne fait comment allier avec fes grandes qualités, y vouloit joindre celle de faire des pieces de théâtre ; il engagea

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donc l'Académie Françoise à porter un jugement fur le Cid relativement à la critique qu'en avoit faite M. de Scudery. Comment refufer un Miniftre qui protégeoit les talens & qui remuoit à fon gré toute l'Europe? Cependant les hommes fages qui furent chargés de cette critique « vinrent à bout de con »ferver tous les égards qu'ils devoient d'un » côté à un fi grand homme, qui ne ceffoit » de l'être qu'en cela feul, & de l'autre à l'ef » time prodigieufe que le public avoit con» çue du Cid. L'Académie fatisfit le Car» dinal, dit M. de Fontenelle, en reprenant 2 exactement tous les défauts de cette piece, » & le public en même-temps, en les repre>> nant avec modération, fouvent même avec » louange ». De-là on fit cette remarque, que fi la plus belle piece de théâtre étoit le Cid, la plus faine critique qui eût jamais été faite, étoit celle du Cid.

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On peut dire enfin de Corneille «c qu'il a » donné le premier les véritables regles du » Poëme dramatique, qu'il a découvert les » vraies fources du beau, & qu'il les a ou » vertes à tout le monde ». Il a jetté le fublime dans les paffions: l'ambition, la colere, la vengeance, la jaloufie, l'amour même, cette paffion où il entre tant de foibleffe, portent chez lui un caractere de grandeur qu'il a créé, & que nul autre n'a pu furpaffer: auffi a-t-on dit de lui qu'il a trouvé le fecret d'exciter dans l'ame cet étonnement que pro

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duit la grandeur des fentimens. Par-tout il inftruit & il maîtrife tous les hommes indif féremment par les maximes, les préceptes, les traits fententieux dont il abonde. Il étoit véritablement digne de faire parler les Rois & les grands hommes convenablement à leur rang & à leur caractere. Quel autre que lui a mieux rendu le langage de la majefté royale & celui des héros de l'antiquité, dont il nous a déployé toute l'ame ? C'eft ainfi, nous difons-nous, que ces hommes illuftres devoient parler & agir. Ce n'étoit pas fans raifon que le Maréchal de Grammont difoit finement que Corneille étoit le bréviaire des Rois. cc Il faut avouer que dans fes dernieres tragédies, les beautés ne font pas fi commumais auffi y trouve-t-on des fcenes » que Corneille étoit feul capable de faire. » C'est ce qu'on remarque dans celles de fes pieces qui ont eu le moins de réputation s » comme dans Attila, la fcene où ce Prince » délibere s'il fe doit allier à l'Empire qui » eft prêt à tomber, ou à la France qui s'é» leve. Il en est de même de la scene d'Age» filas & de Lyfander, dans la tragédie qui » porte le nom du premier ». Enfin, dans les pieces mêmes qui devroient se sentir du déclin de fon âge, fon même génie se fait appercevoir, & on peut dire avec plus de vérité du Poëte François, ce que Longin a dit d'Homere, que dans fes derniers ouvrages il eft femblable au foleil, qui a toujours 1

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