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roit qui ce pouvoit être. Il parle ainfi à Eurydice :

Sachons, quoi qu'il en coûte, Quel eft ce grand rival qu'il faut que je redoute. Dites: eft-ce un héros ? eft-ce un Prince? est-ce un Roi?

Mais Eurydice lui répond fiérement: C'est ce que j'ai connu de plus digne de moi.

Ibid.

Surena ayant été lâchement tué par l'ordre d'Orode où de Pacorus, on vient apprendre cette nouvelle à Eurydice & à Palmis, fœur de cet infortuné guerrier. Comme la caufe de fa mort venoit de ce qu'il étoit aimé d'Eurydice, Palmis dans le premier mouvement de fa douleur lui reprocha la mort de fon frere; mais on verra quelle fut la réponse d'Eurydice.

PALMIS, à Eurydice.

Vous qui brûlant pour lui fans vous déterminer,
Ne l'avez tant aimé que pour l'affaffiner;
Allez, d'un tel amour, allez voir tout l'ouvrage,
En recueillir le fruit, en goûter l'avantage.
Quoi! vous caufez fa perte, & n'avez point de
pleurs?

EURY DICE.

Non, je ne pleure point, Madame, mais je meurs, Ormene, foutiens-moi,

ORMEN E.

Que dites-vous, Madame?

EURY DIC E.

Généreux Surena, reçois toute mon ame.

Ibid.

Il faut convenir qu'il y a un des plus grands traits de fublime dans l'action d'Eurydice & dans fa réponse. Mourir en apprenant qu'on perd ce qu'on aime, être faifi au point de n'avoir pas la force d'en gémir, ce font là des traits qui nous paffent; & c'eft parce que nous ne nous en fentons pas capables, que nous ne pouvons affez admirer ceux qui font touchés à ce point. Mais ce qui caractérise ici le fublime, c'est le fang-froid, la tranquillité apparente qu'Eurydice met dans fa réponse: on l'accufe d'avoir affaffiné Surena par fes irréfolutions, on l'envoie recueillir le fruit de fes lenteurs, on lui reproche de n'avoir pas une larme à verfer pour lui. Comment répond-elle à tout cela? Elle dit qu'elle meurt, & elle tombe effectivement dans les bras de fes femmes, qui l'emportent mou

rante.

Bérénice (a) fentoit qu'elle étoit aimée de l'Empereur Titus ; elle fouhaiteit fort qu'il l'épousât, & parmi les raifons qu'elle lui

(a) Elle étoit Reine d'une partie de la Judée.

donnoit pour le déterminer, elle lui dit ces

paroles :

Seigneur ?

N'avez-vous pas un pouvoir abfolu,

Voici la réponse de Titus:

Oui, mais j'en fuis comptable à tout le monde :
Comme dépofitaire, il faut que j'en réponde.
Un Monarque a fouvent des loix à s'imposer:
Et qui veut pouvoir tout,

ne doit pas tout ofer. Tite& Bérénice, de Corneille.

Viriate, Reine de Portugal, s'exprime de la maniere fuivante en parlant de Sertorius, Général du parti de Marius en Espagne. II eft bon de favoir que la faction de Sylla l'avoit emporté fur celle de Marius, en forte que tous les partifans de ce dernier avoient été obligés de prendre la fuite & de s'exiler de l'Italie; mais Sértorius, qui étoit un grand homme de guerre, fe foutint vaillamment en Efpagne, & battit fouvent Pompée, qu'il appeloit un écolier de Sylla.

Ce ne font point les fens que mon amour confulte :

Il hait des paffions l'impétueux tumulte, Et fon feu que j'attache aux foins de ma grandeur,

Dédaigne tout mélange avec leur folle ardeur. J'aime en Sertorius ce grand art de la guerre

Qui soutient un banni contre toute la terre ;

J'aime en lui ces cheveux tout couverts de lau

riers,

Ce front qui fait trembler les plus braves guerriers,

Ce bras qui femble avoir la victoire en partage.
L'amour de la vertu n'a jamais d'yeux pour l'âge;
Le mérite a toujours des charmes éclatans,
Et quiconque peut tout, eft aimable en tout tems.
Sertorius, de Corneille.

Rhadamiste, dont on a parlé ci-deffus ayant appris que fon frere Arfame aimoit Zénobie (celui-ci ignoroit que Rhadamiste fût fon époux) fait connoître qu'il eft agité par des foupçons injurieux à Zénobie. C'est alors que cette Princeffe lui déclare qu'elle eft prête à partir avec lui, & qu'elle ira où il voudra.

Prince (a), après cet aveu je ne vous dis plus rien:

Vous connoifez affez un cœur comme le mien, Pour croire que fur lui l'amour ait quelque em

pire.

Mon époux eft vivant, ainfi ma flamme expire.
Ceffez donc d'écouter un amour odieux,
Et fur-tour gardez-vous de paroître à mes yeux.
Pour toi (b), dès que la nuit pourra me le per-

mettre,

(a) Elle parle à Arfame.
(b) Rhaiam.fte.

Dans tes mains, en ces lieux, je viendrai me

remettre :

Je connois la fureur de tes foupçons jaloux; Mais j'ai trop de vertu pour craindre mon époux.

C'eft dans ce dernier vers que réside le fentiment fublime, il eft inutile d'ajouter ici aucune réflexion pour le faire comprendre. Il y a des chofes qu'il eft plus facile de fentir que d'exprimer. Telle eft cette penfée de Zénobie, dont les perfonnes de bon goût con

noîtront toute la beauté.

Dans la tragédie d'Héraclius, par Corneille, il eft un temps où un faux billet de l'Empereur Maurice jette dans l'erreur les principaux perfonnages de cette piece. C'est à cette occafion que Pulchérie croyant que Martian, qu'elle aimoit, étoit le véritable Héraclius, & fe trouvoit par-là être fon frere, fait éclater toute la grandeur de fes fentimens

en ces termes :

Ce grand coup m'a surprise, & ne m'a point troublée;

Mon ame l'a reçu fans en être accablée;
Et comme tous mes feux n'avoient rien que de
faint,

L'honneur les alluma, le devoir les éteint.
Je ne vois plus d'amant, où je rencontre un frere:
L'un ne peut me toucher, ni l'autre me déplaire;

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