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Et qu'au moment cruel qui nous ravit le jour,
Tes victimes ne font que changer de féjour ?
Quoi! même après l'inftant où tes aîles funebres
M'auront enseveli dans de noires ténèbres,
Je vivrois! Doux efpoir! que j'aime à m'y
livrer!.... -

Des fiécles à venir je m'occupe fans ceffe;
Ce qu'ils diront de moi m'agite & m'intéresse.
Je veux m'éternifer, & dans ma vanité

J'apprends que je fuis fait pour l'immortalité.
Mais des biens d'ici-bas mon ame eft mécontente:
Grand Dieu! c'eft donc à toi de remplir mon

attente....

Quand fur la terre enfin je vois avec douleur
Gémir l'humble vertu qu'accable le malheur,
J'éleve mes regards vers un Etre fuprême,
Et je le reconnois dans ce défordre même.
S'il le permet, il doit le réparer un jour.
Il veut que l'homme efpere un plus heureux
féjour.

Oui, pour un autre temps, l'Etre juste & févere,
Ainfi que fa bonté, réferve fa colere.

Racine, Poëme de la Religion.

REMARQUES.

On ne peut qu'admirer ici l'efprit de l'Auteur, qui a fu revêtir des couleurs de la poéfie un fujet qui fembloit n'en pouvoir pas être fufceptible; il faut certainement du travail pour avoir pu rendre en vers, & en vers très

bien frappés, des vérités qui font fi fort audeffus de l'empire de l'imagination, & qui ont toujours paffé pour abftraites, puifqu'elles font ordinairement démontrées par des raifonnemens métaphyfiques. Les réflexions que l'Auteur amene avec art fur une pareille matiere, font naître dans l'efprit une noble idée de nous-mêmes, en réfléchiffant que nous fommes faits pour l'immortalité. Cette penfée infpire naturellement un fentiment de jole, lorfque nous fentons l'excellence de notre nature, que des efprits noirs voudroient confondre avec celle de la bête brute. C'est donc avec raifon que nous devons nous écrier avec le Poëte: Doux espoir ! que j'aime à m'y livrer!

Les vers fuivans font fur le même fujet; & quoique d'une main différente, ils re méritent pas moins de trouver ici leur place. Il eft bon de voir une même vérité maniée par deux beaux génies. Le Poëte les a mis dans la bouche de Volceftre, Miniftre d'Edouard III, Roi d'Angleterre.

Ignore-t-on le fort que nous devons attendre,
Et fous quels cieux nouveaux notre esprit doit
se rendre?

Le defir du néant convient aux fcélérats.
Non, je ne puis penfer que la nuit du trépas
Eteigne avec nos jours ce flambeau de notre ame,
Qu'alluma l'immortel d'une céleste flamme.
La vertu, malheureufe en ces jours criminels,

Annonce à ma raifon ces fiecles éternels.
Pour la feule douleur la vertu n'eft point née,
Le Ciel a fait pour elle une autre destinée.
Plein de ce jufte efpoir, je m'éleve aujourd'hui
Vers l'Etre bienfaifant qui me créa pour lui....
Convaincu comme vous du néant de la vie,
Pourrois-je regretter de me la voir ravie (a)?
Aveugle fur fon être, incertain, accablė,
Dans ce féjour mortel le fage eft exilé.
Il voit avec transport la fin de fa carriere,
Où doit naître à fes yeux l'immortelle lumiere.
Dans cette nuit d'erreur la vie eft un fomment;
La mort conduit au jour, & j'afpire au réveil.
Greffit.

Sur la Loi naturelle.

Que la Loi naturelle eft gravée dans le cœur de tous les hommes..

Je l'apporte en naiffant, elle est écrite en moi,
Cette Loi qui m'inftruit de tout ce que je dois
A mon pere, à mon fils, à ma femme, à moi-
niême :

A toute heure je lis dans ce code fuprême
La loi qui me défend le vol, la trahifon;
Cette loi qui précede & Lycurgue & Solon.
Avant même que Rome eût gravé douze Tables,

(a) Il étoit menacé de payer de fa tête le refus qu'il faifoit au Roi d'une chofe qui lui paroiffoit contraire à la gloire de fon Prince.

Metius & Tarquin n'étoient pas moins coupables.
Je veux perdre un rival: Qui me retient le bras?
Je le veux, je le puis, & je n'acheve pas.
Je crains plus de mon cœur le fanglant témoi-

gnage,

Que la févérité de tout l'Aréopage.

Racine le fils.

Dans les vers fuivans, Rouffeau paraphrafe quelques verfets du Pfeaume 18, dans lefquels le Roi-Prophete exalte la beauté de la Loi du Seigneur. Le mot de Loi doit s'entendre ici de la Loi écrite, qui contient les divers Commandemens que Dieu a faits aux hommes dans les Livres faints. Comme le Poëte a réduit dans une forme de priere le fens du Pfeaume, il s'eft fervi du genre tempéré, qui a quelque chofe de doux & d'infinuant, mais qui ne laiffe pas d'avoir fes .graces, ainf que le fublime.

Soutiens ma foi chancelante,
Dieu puiffant infpire-moi
Cette crainte vigilante (a)
Qui fait pratiquer ta Loi,
Loi fainte, Loi defirable,

(a) Timor Domini fanctus, permanens in fæculum fæculi. Judicia Domini vera.... Defiderabilia fuper aurum lapidem pretiofum multum, & dulciora fuper mel & favum...

Ta richeffe eft préférable

A la richeffe de l'or,
Et ta douceur eft pareille
Au miel dont la jeune abeille
Compofe fon cher tréfor.

Mais fans tes clartés facrées,
Qui peut connoître, Seigneur (a),
Les foibleffes égarées

Dans les replis de fon cœur?
Prête-moi tes feux propices,
Viens m'aider à fuir les vices
Qui s'attachent à mes pas.
Viens confumer par ta flamme
Ceux que je vois dans mon ame
Et ceux que je n'y vois pas.

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Si de leur trifte esclavage
Tu viens dégager mes fens ;
Si tu détruis leur ouvrage,
Mes jours feront innocens.
J'irai puifer fur ta trace,
Dans les fources de ta grace;
Et de fes eaux abreuvé,

Ma gloire fera connoître

Que le Dieu qui m'a fait naître
Eft le Dieu qui m'a fauvé.

(a) Delicta quis intelliget ? ab occultis meis munda me, &c. Pf. 18.

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