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comprendra la raifon fi on fait attention aux réflexions fuivantes fur la nature de ce genre de poéfie.

Sur l'Ode & l'Enthoufiafme Poétique.

L'Ode (a) a pour objet les louanges des dieux & celles des héros; elle chante le renverfement des Etats, le gain ou la perte des batailles; tout ce qu'il y a enfin de plus grand & de plus refpectable dans la nature, fait la matiere de l'Ode. Or c'est un principe inconteftable, que quiconque veut traiter dignement un fujet, doit nécessairement prendre le ton qui lui convient: ainfi un Poëte qui fait une Ode, ne fauroit être trop brillant dans fes métaphores, trop magnifique dans fes expreffions, trop audacieux dans fes figures. Pourquoi? parce que par-là il peint fon fujet & l'impreffion qu'il en a reçue, qu'il nous communique le mouvement dont il a dû être frappé, mouvement, qui, avides comme nous fommes d'être remués, a des charmes qu'on ne fauroit exprimer. Elevé & foutenu par la dignité de fa matiere, il ne doit plus parler comme le refte des hommes; il prend fon vol plus haut: fait pour aller au grand, il doit franchir tout ce qui l'en fépare; tout doit fentir le défordre qui l'agite, tout

(a) Une partie de ces réflexions font tirées d'un livre intitulé, Lettres fur la naissance, le progrès & la décadence du Goût & fur la Poéfie.

doit peindre les mouvemens de fon ame. On comprend de-là qu'il rejettera toutes ces liaifons timides, toutes ces tranfitions fcrupuleufes qui régnent dans les ouvrages d'un autre genre; en un mot, qu'il s'abandonnera à l'enthoufiafme dont il doit être rempli. Toute l'antiquité a demandé de l'enthoufiafme à l'Ode, témoin les Cantiques facrés du Roi - Prophete & des Prophetes euxmêmes que l'Efprit - Saint animoit. Voyez le ton qu'ils prennent, lorfqu'ils parlent des merveilles que Dieu avoit opérées en faveur de fon peuple, ou lorfqu'ils menacent ce même peuple de la colere du Tout-Puiffant. Paflez aux Poëtes: voyez les Odes de Pindare, d'Horace, les Hymnes du Cygne de S. Victor, & celles des autres Poëtes de nos jours qui font quelquefois atteint; vous y trouverez ce beau défordre qui eft l'effet de l'enthoufiafme. Et il ne faut pas que le mot défordre effraye. La raifon tranquille ne fauroit produire les chofes admirables qui naiffent de cette agitation de notre ame. Ce défordre eft l'ordre même, car il y a une fuite. dans nos mouvemens, comme il y en a une dans nos idées. Lorfqu'on eft agité ou cenfé devoir l'être, il fied bien d'être affujetri à ce défordre de mouvemens ; & il eft fi effentiel de s'y abandonner, que fi on ne le fait point, on court rifque de glacer l'efprit du lecteur. En un mot, les Odes ayant pour objet de grandes chofes, frappent l'imagination du

Poëte. Son ame forcée d'obéir au mouvement qui la tranfporte, fe porte avec agilité à plufieurs objets, & les parcourt fucceffivement. Alors il n'eft plus queftion de méthode Delà ces écarts tant vantés dans l'Ode, ces digreffions plus belles mille fois que le fujet qu'on a quitté pour elles, ces traits de morale devenus brillans par l'éclat qui les environne, ces comparailons tantôt déployées, tantôt rapides; de-là enfin ce beau défordre qui n'eft autre chofe que le langage naturel d'un Poëte entraîné par un feu vraiment digne du fujet qu'il veut célébrer. Mais il faut que le fujet donne droit aux emportemens, que par la grandeur & la dignité de la matiere, l'ame ait été obligée de fortir de fon affiette, fans quoi l'enthoufiafine deviendroit puérile.

Avant d'en venir aux exemples, commençons par l'idée qu'a donné de l'Ode le véritable maître de la poéfie Françoise.

L'Ode avec plus d'éclat, & non moins d'énergie, Elevant jufqu'au Ciel fon vol ambitieux, Entretient dans fes vers commerce avec les dieux.

Aux Athletes dans Pife elle ouvre la barriere, Chante un vainqueur poudreux au bout de la carriere,

Mene Achille fanglant au bord du Simoïs,
Ou fait fléchir l'Escaut fous le joug de Louis

Tantôt comme une abeille ardente à fon ouvrage,
Elle s'en va de fleurs dépouiller le rivage.
Son ftyle impétueux fouvent marche au hafard.
Chez elle un beau défordre eft un effet de l'art.
Art poétique de Boileau.

Les ftrophes fuivantes forment la plus grande partie d'une Ode fur l'existence de Dieu. On fe convaincra que le ftyle & les pensées répondent à la grandeur du fujet.

Etre dont l'effence divine
Comprend en foi l'immerfité,
Et qui comptes ton origine
Du jour de ton éternité :
Tout bénit ta magnificence,
La terre annonce ta puissance,
Les Cieux font pleins de ta fplendeur;
Et par-tout ta main adorable,
D'un caractere ineffaçable

Grava les traits de ta grandeur.

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Mais quand de ta gloire immortelle
Tant d'êtres parlent à la fois,

D'une harmonie univerfelle

En vain l'impie entend la voix;
Révolté contre l'évidence,

A révérer ta providence

Son cœur ne fauroit confentir:

Telle eft l'horreur de fon fyftême ;

Il te condamne au néant même
Dont ta bonté l'a fait fortir.

xx

Infenfé! quel but se propose
Ton raisonnement captieux ?
A tes fophifmes je n'oppofe
Que la lumiere de tes yeux.
Aux rayons d'une raison pure
Contemple toute la nature
Si réglée en fon mouvement;
Et dans leur brillante carriere

Suis tous ces globes de lumiere
Dont eft paré le firmament.

Déployant fa magnificence
Dans les campagnes, fur les flots,
Le foleil fuit, & son absence
Fait tout rentrer dans le chaos.
Par quelle main, par quel miracle
Renaîtra l'augufte spectacle
Que je devois à fa clarté ?

Il reparoît, tout femble éclore,

Et
par les traits de fon aurore
Un nouveau monde eft enfanté.

Le Ciel & la terre s'uniffent
Pour fervir mes vœux fortunés;
Le jour luit, les plantes fleuriffent,
Les champs d'épis font couronnés;

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