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Que le fouffle divin anima dans fon corps.
Il n'eut point à fortir d'une enfance ignorante:
Il n'eut point à dompter une chair infolente.
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L'ordre régnoit alors, tout étoit dans fon lieu;
L'animal craignoit l'homme, & l'homme crai-
gnoit Dieu....

Tel fut l'homme innocent: fa race fortunée
Des mêmes droits que lui devoit fe voir ornée;
Et conçu chaftement, enfanté fans douleurs,
L'enfant ne fe fût point annoncé par fes pleurs.
Vous n'euffiez vu jamais une mere tremblante
Soutenir de fon fils la marche chancelante,
Réchauffer fon corps froid dans la dure faifon,
Ni par les châtimens appeler fa raifon.

Le démon contre nous eût eu de foibles armes.
Hélas! ce fouvenir produit de vaines larmes.
Que fert de regretter un état qui n'eft plus,
Et de peindre un féjour dont nous fumes exclus?
Pleurons notre difgrace, & parlons des miferes
Que fur nous attira la chûte de nos peres.
Condamnés à la mort, deftinés aux travaux,
Les travaux & la mort furent nos moindres maux.
Au corps, tyran cruel, notre ame affujettie,
Vers les terreftres biens languit appesantie.
De menfonge & d'erreur un voile ténébreux
Nous dérobe le jour qui doit nous rendre heureux.
La nature, autrefois attentive à nous plaire,
Contre nous irritée, en tout nous eft contraire.
La terre dans fon fein refferre fes tréfors:
Il faut les arracher; il faut par nos efforts

Lui ravir de fes biens la pénible récolte.
Contre fon Souverain l'animal fe révolte;
Le maître de la terre appréhende les vers;
L'infecte fe fait craindre au Roi de l'Univers.
L'homme à la femme uni, met au jour des cou-
pables,

D'un pere malheureux héritiers déplorables..
Aux folides avis l'enfant toujours rétif,
Par la feule menace Y devient attentif;
De l'âge & des leçons fa raifon fécondée,
A peine du vrai Dieu lui retrace l'idée.
Hélas! à ces malheurs, par fa femme féduit,
Adam, le foible Adam, avec nous s'eft réduit :
Son crime fut le nôtre, & ce pere infidele
Rendit toute fa race à jamais criminelle.
Ainfi le tronc qui meurt, voit mourir fes rameaux,
Et la fource infectée, infe&te ses ruiffeaux....
Mais malgré cette nuit fur l'homme répandue,
On découvre un rayon de fa gloire perdue.
C'eft du haut de fon trône un Roi précipité,
Qui garde fur fon front un trait de majesté.
Une fecrette voix à toute heure lui crie
Que la Terre n'est point son heureuse patrie
Qu'au Ciel il doit attendre un état plus parfait.
Et lui-même ici-bas quand est-il fatisfait?
Digne de pofféder un bonheur plus solide,
Plein de biens & d'honneurs, il reste toujours

vuide;

Il forme encore des vœux dans le sein du plaifir, Il n'est jamais enfin qu'un éternel defir.

D'où lui vient fa grandeur ? d'où lui vient fa

baffeffe?

Et pourquoi tant de force avec tant de foibleffe? Réveillez-vous, mortels, dans la nuit abforbés, Reconnoillez du moins d'où vous êtes tombés. Racine le fils.

REMARQUES.

On doit convenir que toute cette matiere eft traitée avec la dignité qu'elle demandoit. Les réflexions dont elle eft variée, font également ingénieufes & folides. Le portrait des maux qui furent les fuites de la défobéiffance de notre premier pere, eft d'un détail que 1: Poëte a fu rendre intéreslant, quoique nous foyons convaincus de ces vérités. Mais il ne faut pas paffer cet endroit fans remarquer la noble & jufte idée qu'il donne de l'homme après le péché: C'est du haut de fon trône un Roi précipité. Il en eft de même de la peinture qu'il fait du cœur humain, & de ce compofé inexplicable de grandeur & de foibleffe qu'on y apperçoit.

On ne fera pas fâché de voir ici comment le célebre Boileau a traité une partie du même fujet, c'est-à-dire, l'état d'innocence du premier homme, & les fuites de fon péché. Le morceau eft beaucoup plus court, mais il a fes beautés.

Hélas! avant ce jour qui perdit fes neveux, Tous les plaifirs couroient au-devant de fes vœux.

La faim aux animaux ne faifoit point la guerre. Le bled, pour fe donner, fans peine ouvrant la

terre,

N'attendoit pas qu'un bœuf preffé de l'aiguillon Traçât à pas tardifs un pénible fillon.

La vigne offroit par-tout des grappes toujours pleines,

Et des ruiffeaux de lait ferpentoient dans les plaines.

Mais dès ce jour Adam, déchu de son état,
D'un tribut de douleur paya fon attentat.
Il fallut qu'au travail fon corps rendu docile,
Forçât la terre avare à devenir fertile.
Le chardon importun hériffa les guérets;
Le ferpent venimeux rampa dans les forêts;
La canicule en feu défola les campagnes ;
L'aquilon en fureur gronda fur les montagnes.
Alors pour le couvrir durant l'âpre faifon,
Il fallut aux brebis dérober leur toifon.
La pefte, en même-temps, la guerre & la famine,
Des malheureux humains jurerent la ruine.

REMARQUES.

Epit.

Ce qui doit frapper le plus dans ce morceau, c'eft la beauté des tours & des expreffions poétiques. Les perfonnes de goût ne manqueront pas de faire attention à celle-ci : Traçât à pas tardifs un pénible fillon, &c. Un tribut de douleur, &c. Hériffa les guérets, &c. Aux brebis dérober leur toi

fon. Il ne faut avoir pour cela que du fentiment: & ces remarques feroient inutiles, fi elles n'étoient deftinées pour les jeunes gens à qui elles font néceffaires pour leur former le goût.

Sur l'immortalité de l'Ame.

M. Racine, dans les vers fuivans, fait comprendre à tous les efprits raifonnables que notre ame doit être immortelle.

Quand je penfe, chargé de cet emploi sublime, Plus noble que mon corps, un autre être m'a

nime.

Je trouve donc qu'en moi, par d'admirables. nœuds,

Deux êtres oppofés font réunis entr'eux....
Mais fur l'ame, la mort ne trouve point de prife;
Un être fimple & pur n'a rien qui fe divife.
Comment périroit-il? Le coup fatal au corps,
Ne rompt que les liens, dérange fes refforts.
Qu'est-ce donc que l'inftant où l'on ceffe de vivre?
L'inftant où de fes fers une ame fe délivre.
Le corps, né de la poudre, à la poudre eft rendu:
L'efprit retourne au ciel dont il est descendu....
D'où nous vient du néant cette crainte bifarre ?
Rien n'y rentre; en cela la nature eft avare.
Si du fel ou du fable un grain ne peut périr,
L'être qui penfe en moi craindra-t-il de mourir?
O mort! eft-il donc vrai que nos ames heureuses
N'ont rien à redouter de tes fureurs affreuses,

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