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Quand fous la même tombe ils verront réunis
Et l'époux & la femme, & la mere & le fils!
Un foible rejetton fort entre les ruines
De cet arbre fécond coupé dans fes racines.
Les enfans de Louis defcendus au tombeau
Ont laiffé dans la France un Monarque au ber-
ceau (a).

Henriade, de Voltaire.

On regarde avec raifon comme un point effentiel de l'éducation des jeunes gens, qu'ils foient inftruits de l'Hiftoire de France, & on met entre leurs mains des abrégés de cette hiftoire. On ne peut que louer ceux qui tiennent une pareille conduite; mais on peut dire que fi on leur faifoit apprendre le morceau qu'on vient de rapporter, ce feroit contribuer à perfectionner cette connoiffance dans leur efprit, & leur fournir en même temps une voie auffi commode qu'agréable, de graver pour toujours dans leur mémoire les traits les plus éclatans de l'Hiftoire de France.

Portrait de Catherine de Médicis, femme de Henri II, Roi de France, & mere des Rois François II, Charles IX, & Henri III.

Dans l'ombre du fecret depuis peu Médicis
A la fourbe, au parjure, avoit formé son fils (b);

(a) Louis XV.
(b) Charles IX.

Façonnoit aux forfaits le cœur jeune & facile
De ce malheureux Prince à fes leçons docile....
Son époux expirant dans la fleur de fes jours,
A fon ambition laiffoit un libre cours.

Chacun de fes enfans, nourri fous fa tutelle,
Devint fon ennemi dès qu'il régna fans elle.
Ses mains autour du trône avec confufion
Semoient la jaloufie & la divifion :

Oppofant fans relâche avec trop de prudence
Les Guifes aux Condés, & la France à la France;
Toujours prête à s'unir avec fes ennemis,
Et changeant d'intérêt, de rivaux & d'amis ;
Efclave des plaifirs, mais moins qu'ambitieuse,
Infidelle à sa secte & fuperftitieuse;

Poffédant en un mot, pour n'en pas dire plus,
Les défauts de fon fexe & peu de fes vertus.

Henriade.

Portrait du Duc de Guife, fous le regne de Henri III.

On vit paroître Guise, & le peuple inconstant
Tourna d'abord fes yeux vers cet aftre éclatant,
Sa valeur, fes exploits, la gloire de fon pere,
Sa grace, fa beauté, cet heureux don de plaire,
Qui mieux que la vertu fait régner fur les cœurs,
Attiroient tous les vœux par leurs charmes vain-

queurs.

Nul ne fut mieux que lui le grand art de féduire ; Nul fur fes paffions n'eut jamais plus d'empire, Et ne fut mieux cacher fous fes dehors trompeurs

Des plus vaftes deffeins les fombres profondeurs
Impérieux & doux, cruel & populaire,
Des peuples en public il plaignoit la mifere,
Déteftoit des impôts le fardeau rigoureux :
Le peuple alloit le voir, & revenoit heureux.
Souvent il prévenoit la timide indigence:
Ses bienfaits dans Paris annonçoient fa préfence.
Il favoit captiver les grands qu'il haïssoit :
Terrible & fans retour alors qu'il offensoit;
Téméraire en fes voeux, fouple en fes artifices,
Brillant par fes vertus & même par fes vices;
Connoiffant les périls, & ne redoutant rien,
Heureux guerrier, grand Prince & mauvais

citoyen.

Henriade.

Portrait de l'Envie & de divers autres

vices.

Le Poëte fait la peinture de l'envie & des différens vices. C'eft dans l'endroit de la Henriade où S. Louis tranfporte Henri IV aux Champs Elifées & aux autres demeures des enfers, imaginées par les Poëtes.

Là git la fombre envie à l'œil timide & louche, Verfant fur des lauriers les poifons de fa bouche: Le jour bleffe fes yeux dans l'ombre étincelans: Trifle amante des morts, elle hait les vivans. Elle apperçoit Henri, fe détourne, foupire. Auprès d'elle et l'orgueil qui fe plait & s'admire;

La foibleffe au teint pâle, aux regards abattus, Tyran qui cede au crime, & détruit les vertus: L'ambition fanglante, inquiete, égarée,

De trônes, de tombeaux, d'efclaves entourée; La tendre hypocrifie aux yeux pleins de dou

ceur :

Le Ciel eft dans fes yeux, l'enfer eft dans son

cœur:

Le faux zele étalant fes barbares maximes,
Et l'intérêt enfin, pere de tous les crimes.
Henriade, de Voltaire.

CHAPITRE V.

Du Genre fublime, ou du Sublime en général.

Il y a deux fortes de fublime, le fublime

L

des images ou des idées grandes & magnifiques, & le fublime des pensées ou des fentimens. Nous allons d'abord parler de ce premier genre de fublime, l'autre fuivra immédiatement.

Du fublime des images.

Le fublime des images eft ordinairement foutenu par des expreffions nobles & pompeufes: il fe rencontre dans des difcours étendus & dans des endroits amplifiés où la briéveté ne fauroit régner; il peut même domi

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ner dans toute une piece de poéfie, dans une narration, dans une defcription, dans une fcene brillante & majestueufe. On en peut voir des exemples dans plufieurs morceaux que nous avons déjà mis fous les yeux. Mais il ne faut pas croire que le fublime confifte dans de grands mots affemblés au hafard; ce ne feroit alors qu'une vaine enflure de paroles, & ce qu'on appelle un difcours ampoulé. Un homme de goût eft en garde contre ce défaut; il évite pareillement celui qui lui eft oppofé, felon le précepte d'Horace: Projicit ampullas & fefquipedalia verba (a). Le vrai fublime confifte dans une maniere de penfer noble, grande & magnifique; il fuppofe dans celui qui écrit ou qui parle, un efprit rempli de hautes idées, de fentimens généreux, & de je ne fais quelle noble fierté qui fe fait fentir en tout. Il donne au difcours une vigueur noble, une force invincible qui enleve l'ame de quiconque nous écoute; il la tire de fon affiette, il l'agite, il l'éleve audeffus d'elle-même; il fait fur les lecteurs ou fur les auditeurs une impreffion à laquelle il eft impoffible de réfifter; le fouvenir en refte, & ne s'efface qu'avec peine. Telle eft, par exemple, en matiere de poéfie, l'Ode. On peut dire qu'elle eft le triomphe du fublime des images, elles ne font nulle part étalées avec tant de magnificence, & on en

(a) Art poétique,

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