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Mes crimes déformais ont comblé la mesure,
Je refpire à la fois l'incefte & l'impofure (a).
Mes homicides mains, promptes à me venger,
Dans le fang innocent brûlent de fe plonger.
Miférable! & je vis, & je foutiens la vue
De ce facré foleil dont je fuis descendue!
J'ai pour ayeul le pere & le maître des dieux;
Le Ciel, tout l'univers eft plein de mes ayeux.
Où me cacher? Fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je ? mon pere y tient l'urne fatale,
Le fort, dit-on, l'a mife en fes féveres mains.
Minos juge aux enfers tous les pâles humains.
Ah! combien frémira fon ombre épouvantée,
Lorsqu'il verra fa fille à fes yeux présentée,
Contrainte d'avouer tant de forfaits divers,
Et des crimes peut-être inconnus aux enfers.
Que diras-tu, mon pere, à ce spectacle horrible?
Je crois voir de ta main tomber l'urne terrible;
Je crois te voir chercher un fupplice nouveau
Toi-même de ton fang devenir le bourreau.
Pardonne. Un Dieu cruel a perdu ta famille.
Reconnois fa vengeance aux fureurs de ta fille.
Hélas! du crime affreux dont la honte me fuit,
Jamais mon triste cœur n'a recueilli le fruit.....

Et comme fa confidente vouloit la calmer

(a) Elle avoit confenti qu'Enone accusât Hippolyte auprès de fon pere Théfée, d'avoir voulu attenter à fon honneur.

F

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1

fur fes remords par des confeils pernicieux & impies, elle lui répond:

Je ne t'écoute plus. Va-t'en, monftre exécrable;
Va, laifle-moi le foin de mon fort déplorable.
Puiffe le jufte Ciel dignement te payer;
Et puiffe ton fupplice à jamais effrayer

Tous ceux qui, comme toi, par de lâches adreffes,
Des Princes malheureux nourriffent les foibleffes,
Les pouffent au penchant où leur cœur eft enclin,
Et leur ofent du crime applanir le chemin :
Déteftables flatteurs, préfent le plus funefte
Que puiffe faire aux Rois la colere célefte!
Phédre, de Racine.

C'est à l'occafion de cette tragédie, dont on vient de rapporter quelques morceaux, que Boileau s'exprime ainfi dans fon Epître à l'Auteur de cette piece admirable, contre laquelle de fots critiques & de bas envieux s'éleverent dans les commencemens qu'elle parut.

Que peut contre tes vers une ignorance vaine?
Le Parnaffe François, ennobli par ta veine,
Contre tous ces complots faura te maintenir
Et foulever pour toi l'équitable avenir.
Et qui voyant un jour la douleur vertueule.
De Phédre, malgré foi, perfide, inceftueufe,
D'un fi noble travail juftement étonné,
Ne bénira d'abord le fiecle fortuné, 2

Qui, rendu plus fameux par tes illuftres veilles, Vit naître fous ta main ces pompeufes merveilles? Defcriptions.

Idoménée, Roi de Crete, fait le récit d'une effroyable tempête dont il fut battu, & qui lui donna lieu de faire le vœu téméraire dont il eut tant de fujet de fe repentir.

Après dix ans d'abfence, empreffé de revoir
Cet appui (a) de mon trône & mon unique ef

poir,

A regagner la Crete auffi-tôt je m'apprête,
Ignorant le péril qui menaçoit ma tête....
Mais le Ciel ne m'offrit ces objets ravissans,
Que pour rendre toujours mes defirs plus pref-

fans.

Une effroyable nuit fur les eaux répandue,
Déroba tout-à-coup mon Royaume à ma vue.
La mort feule parut...Le vafte fein des mers
Nous entr'ouvrit cent fois la route des enfers.
Par des vents oppofés les vagues ramaffées,
De l'abîme profond jufques au Ciel pouffées,
Dans les airs embrâfés agitoient mes vaiffeaux
Auffi près d'y périr qu'à fondre fous les eaux.
D'un déluge de feu l'onde comme allumée,
Sembloit rouler fur nous une mer enflammée ;
Et Neptune en courroux, à tant de malheureux

(a) Son fils Idamante.

N'offroit pour tout falut que des rochers affreux. Que te dirai-je enfin?....Dans ce péril extrême Je tremblai, Sophronime, & tremblai pour moimême.

Pour appaifer les dieux, je priai, je promis.... Non, je ne promis rien. Dieux cruels ! j'en frémis.....

Neptune, l'instrument d'une indigne foiblesse, S'empara de mon cœur & dicta la promesse : S'il n'en eût inspiré le barbare dessein

Non, je n'aurois jamais promis du sang humain.
Sauve des malheureux fi voifins du naufrage,
Dieu puiffant, m'écriai - je, & rends - nous au
rivage;

Le premier des fujets rencontré par son Roi,
A Neptune immolé, fatisfera pour moi.

Mon facrilége vœu rendit le calme à l'onde;
Mais rien ne put le rendre à ma douleur pro-

fonde;

Et l'effroi fuccédant à mes premiers tranfports
Je me fentis glacer en revoyant ces bords.
Je les trouvai déferts, tout avoit fui l'orage:
Un feul homme alarmé parcouroit le rivage;
Il fembloit de fes pleurs mouiller quelques débris.
J'en approche en tremblant..... Hélas! c'étoit
mon fils.

'A ce récit fatal tu devines le refte.

Je demeurai fans force à cet objet funefte.
Et mon malheureux fils eut le temps de voler
Dans les bras du cruel qui devoit l'immoler.
Idoménée, de Crébillon.

Après que Céfar eut été affaffiné dans le Sénat, Marc-Antoine fit porter fon corps fanglant dans la place publique. Là, il fit un difcours qui n'étoit autre chofe que l'éloge de cet homme célebre, & qui avoit pour but d'émouvoir le peuple contre fes affaffins, en quoi il réuffit parfaitement. M. de Voltaire lui met dans la bouche les vers fui

vans:

Du plus grand des Romains voilà ce qui vous refte;

Voilà ce Dieu vengeur idolâtré par vous,
Que les affaffins même adoroient à genoux;
Qui toujours votre appui dans la paix, dans la
guerre,

Une heure auparavant faifoit trembler la terre ;
Qui devoit entraîner Babylonne à fon char:1
Amis, en cet état connoissez-vous Céfar?....
Contre les meurtriers je n'ai rien à vous dire......
C'eft à fervir l'Etat que fon grand cœur afpire.
De votre dictateur.ils ont percé le flanc;
Comblés de fes bienfaits, ils font teints de fon
fang.

Pour forcer des Romains à ce coup détestable,
Sans doute il falloit bien que Céfar fût coupable.
Je le crois : mais enfin Céfar a-t-il jamais
De fon pouvoir fur vous appefanti le faix?.
A-t-il gardé pour lui le fruit de fes conquêtes ?
Des dépouilles du monde il couronnoit vos têtes.
Tout l'or des nations qui tomboient fous fes coups,

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