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Il eft mort?

PAULINE.

STRATONICE.

Non, il vit. Mais, ô pleurs fuperflus!

Ce courage fi grand, cette ame fi divine
N'eft plus digne du jour, ni digne de Pauline.
Ce n'est plus cet époux fi charmant à vos yeux,
C'est l'ennemi commun de l'état & des dieux...

PAULIN E.

Pourrois-je donc favoir ce qu'ils ont fait au temple?

STRATONICE.

C'est une impiété qui n'eut jamais d'exemple.
Je ne puis y penfer fans frémir à l'inftant

Et crains de faire un crime en vous la racontant.
Apprenez en deux mots leur horrible infolence.
Le Prêtre avoit à peine obtenu du filence,
Et devers l'orient affuré fon afpect,

Qu'ils ont fait éclater leur manque de respect.
A chaque occafion de la cérémonie,

A l'envi l'un & l'autre étaloit fa manie, Des myfteres facrés hautement se moquoit, Et traitoit de mépris les dieux qu'on invoquoit. Tout le peuple en murmure, & Félix s'en offenfe. Mais tous deux s'emportant à plus d'irrévérence: « Quoi! lui dit Polyeucte, en élevant fa voix, » Adorez-vous des dieux ou de pierre ou de bois»?

Ici difpenfez-moi du récit des blafphêmes Qu'ils ont vomis tous deux contre Jupiter même : L'adultere & l'inceste en étoient les plus doux. «< Ecoutez, a-t-il dit, vous, peuple, écoutez tous. » Le Dieu de Polyeucte & celui de Néarque » De la terre & du Ciel est l'absolu Monarque, » Seul être indépendant, feul maître du destin, » Seul principe éternel & fouveraine fin.

» C'est ce Dieu des chrétiens qu'il faut qu'on >> remercie

» Des victoires qu'il donne à l'Empereur Décie :
» Lui feul tient en fa main le fuccès des combats:
» Il le peut élever, il le peut mettre à bas.
» Sa bonté, fon pouvoir, fa juftice eft immenfe :
» C'eft lui feul qui punit, lui feul qui récom-
» pense.

» Vous adorez en vain des monftres impuiffans »,
Se jettant à ces mots fur le vin & l'encens,
Après en avoir mis les faints vases par terre,
Sans crainte de Félix, fans crainte du tonnerre,
D'une fureur pareille ils courent à l'autel.
Cieux! a-t-on vu jamais, a-t-on rien vu de tel?
Du plus puissant des dieux nous voyons la statue
Par une main impie à leurs pieds abattue;
Les myfteres troublés, le temple profané,
La fuite & les clameurs d'un peuple mutiné,
Qui craint d'être accablé fous le courroux ce-
lefte;

Félix...Mais le voici qui vous dira le refle.

Polyeucte, de Corneille.

Récit de la mort d'Hippolyte.

Théfée, Roi d'Athenes, & pere d'Hippolyte, avoit époufé en fecondes noces Phedre, fille de Minos & de Pafiphaé: comme il craignoit que fon fils ne regardât pas de bon œil fa belle-mere & les enfans qu'il en auroit il l'envoya chez fon ayeul Pitthée à Trézene. Phedre y vit Hippolyte dans un voyage où elle accompagna Théfée. Là elle conçut une violente paffion pour ce jeune Prince, & elle ofa la lui déclarer: mais comme elle vit qu'elle ne lui infpiroit que de l'horreur, fa fureur jaloufe la porta à l'accufer auprès de Théfée d'avoir voulu attenter à fon honneur. Ce malheureux Roi la crut, & dans un mouvement de colere il pria Neptune de venger ce crime prétendu. Le Dieu l'exauça. C'est Théramene qui avoit été gouverneur d'Hippolyte, qui raconte à Théfée le cruel accident de la mort de fon fils; & c'est le sujet de la narration fuivante qui eft fi célebre. Tout le monde convient qu'elle eft magnifique; on a trouvé même que fi elle péchoit par quelqu'endroit, c'eft qu'elle eft trop fleurie étant dans la bouche d'un homme faifi de douleur, & qui raconte à un pere la mort de fon fils. Mais ce n'eft pas dans ce point de vue qu'il faut l'examiner ici.

A peine nous fortions des portes de Trézene,
Il étoit sur son char. Ses gardes affligés

Imitoient fon filence autour de lui rangés.

Il fuivoit tout penfif le chemin de Mycenes.

Sa main fur les chevaux laiffoit flotter les rênes....
Un effroyable cri forti du fond des flots,

Des airs en ce moment a troublé le repos....
Cependant fur le dos de la plaine liquide
S'éleve à gros bouillons une montagne humide.
L'onde approche, fe brife & vomit à nos yeux
Parmi des flots d'écume un monftre furieux.
Son front large eft armé de cornes menaçantes.
Tout fon corps eft couvert d'écailles jauniffantes.
Indomptable taureau, dragon impétueux,
Sa croupe fe recourbe en replis tortueux....
Tout fuit; & fans s'armer d'un courage inutile,
Dans le temple voifin chacun cherche un afyle.
Hippolyte lui feul, digne fils d'un héros,
Arrête fes courfiers, faifit fes javelots,
Pouffe au monftre, &, d'un dard lancé d'une
main sûre,

Il lui fait dans le flanc une large bleffure.
De rage & de douleur le monftre bondiffant,
Vient aux pieds des chevaux tomber en mugiffant,
Se roule, & leur préfente une gueule enflammée
Qui les couvre de feu, de fang & de fumée.
La frayeur les emporte ; &, fourds à cette fois,
Ils ne connoiffent plus ni le frein ni la voix....
A travers des rochers la peur les précipite.
L'&ffieu crie & fe rompt : l'intrépide Hippolyte
Voit voler en éclats tout fon char fracaisé.
Dans les rênes lui-même il tombe embarraffé.....

Il veut les rappeler, & fa voix les effraie.
Traîné par fes chevaux, fon corps n'est qu'une
plaie.

De nos cris douloureux la plaine retentit.
Leur fougue impétueufe enfin fe ralentit....
J'arrive, je l'appelle ; & me tendant la main,
Il ouvre un œil mourant, qu'il referme foudain,
Le Ciel, dit-il, m'arrache une innocente vie.
Prends foin après ma mort de la trifte Aricie (a).
Cher ami, fi mon pere, un jour désabusé,
Plaint le malheur d'un fils fauffement accufe,
Pour appaiser mon fang & mon ombre plaintive
Dis-lui qu'avec douceur il traite fa captive,
Qu'il lui rende.... A ce mot, ce héros expiré
N'a laiffé dans mes bras qu'un corps défiguré
Trifte objet où des dieux triomphe la colere,
Et
que méconnoîtroit l'œil même de fon pere.
Phédre, de Racine.

Narration celebre de la mort de Pompée.

C'est un Officier de Cléopatre, fœur de Ptolomée, Roi d'Egypte, qui fait ce récit à cette Princeffe :

Madame, j'ai couru par votre ordre au rivage,
J'ai vu la trahison, j'ai vu toute fa rage.
Du plus grand des mortels j'ai vu trancher le fort,

(a) Aricie étoit une Princeffe du fang royal d'Athenes. Elle étoit aimée d'Hippolyte, qui fe propofois de l'époufer

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