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temneftre, mere d'Iphigénie, comment fa fille a échappé de la mort, & comment l'oracle a eu néanmoins fon accompliffe

ment:

Jamais jour n'a paru fi mortel à la Grece.
Déjà de tout le camp la difcorde maîtreffe
Avoit fur tous les yeux mis fon bandeau fatal,
Et donné du combat le funefte fignal.
De ce fpectacle affreux votre fille alarmée,
Voyoit pour elle Achille & contr'elle l'armée.
Mais, quoique feul pour elle, Achille furieux
Epouvantoit l'armée, & partageoit les dieux.
Déjà de traits en l'air s'élevoit un nuage;
Déjà couloit le fang, prémices du carnage.
Entre les deux partis Calchas s'est avancé,

L'œil farouche, l'air fombre & le poil hérissé,
Terrible & plein du Dieu qui l'agitoit fans doute:
Vous, Achille, a-t-il dit, & vous, Grecs, qu'on
m'écoute.

Le Dieu qui maintenant vous parle par ma voix,
M'explique fon oracle & m'inftruit de fon choix.
Un autre fang d'Hélene, une autre Iphigénie,
Sur ce bord immolée, y doit laisser sa vie.
Théfée avec Hélene uni fecrettement
Fit fuccéder l'hymen à fon enlevement.
Une fille en fortit, que fa mere a célée.
Du nom d'Iphigénie elle fut appelée....
Elle me voit, m'entend, elle eft devant vos yeux;
Et c'est elle en un mot que demandent les dieux.

Ainfi parle Calchas. Tout le camp immobile
L'écoute avec frayeur & regarde Eriphile.
Elle étoit à l'aute!, & peut-être en fon cœur
Du fatal facrifice accufoit la lenteur.
Elle-même tantôt d'une courfe fubite
Etoit venue aux Grecs annoncer votre fuite.
On admire en fecret fa naiffance & fon fort.
Mais puifque Troye enfin eft le prix de fa mort
L'arinée à haute voix fe déclare contr'elle,
Et prononce à Calchas fa fentence mortelle.
Déjà pour la faifir Calchas leve le bras.
Arrête, a-t-elle dit, & ne m'approche pas;
Le fang de ces héros, dont tu me fais defcendre.
Sans tes profanes mains, faura bien fe défendre.
Furieufe elle vole, & fur l'autel prochain
Prend le facré couteau, le plonge dans fon fein.
A peine fon fang coule & fait rougir la terre,
Les dieux font fur l'autel entendre le tonnerre
Les vents agitent l'air d'heureux frémiffemens,
Et la mer leur répond par ses mugiffemens....
Tout s'empreffe, tout part: la feule Iphigénie
Dans ce commun bonheur pleure fon ennemie.
Des mains d'Agamemnon venez la recevoir;
Venez: Achille & lui brûlent de vous revoir.
Iphigénie, de Racine.

Peintures vives.

Pauline, femme de. Polyeucte, Seigneur Arménien, raconte à une de fes confidentes un fonge qui lui donnoit de grandes alarmes

fur le compte de fon mari. Or il eft bon de favoir que Polyeucte avoit embraffé depuis peu le Chriftianifme; mais il n'en faifoit pas encore profeffion ouvertement, & Pauline fa femme, qui étoit Payenne, ne favoit encore rien de fon changement: dans ce moment elle venoit d'apprendre à fa confidente, qu'avant d'être mariée elle avoit aimé Sévere, Chevalier Romain, parce que Félix, fon pere, le lui avoit d'abord deftiné pour époux. Le bruit avoit couru qu'il avoit été tué depuis peu à la guerre. C'eft dans ces circonstances qu'elle a le fonge qu'on va voir décrit, & qui eft dépeint avec cette nobleffe & ces images magnifiques avec lefquelles le grand Corneille favoit fi bien tracer fes figures.

Je l'ai vu cette nuit ce malheureux Sévere
La vengeance à la main, l'œil ardent de colere,
Il n'étoit point couvert de ces tristes lambeaux
Qu'une ombre défolée emporte des tombeaux.
Il n'étoit point percé de ces coups pleins de gloire
Qui, retranchant fa vie, affurent fa mémoire.
Il fembloit triomphant, & tel que fur fon char
Victorieux dans Rome entre notre Céfar.

Après un peu d'effroi que m'a donné fa vue:
« Porte à qui tu voudras la faveur qui m'eft due,
» Ingrate, m'a-t-il dit ; & ce jour expiré,
» Pleure à loifir l'époux que tu m'as préféré ».
A ces mots j'ai frèmi, mon ame s'est troublée :
Enfuite des chrétiens une impie affemblée,

Pour avancer l'effet de ce difcours fatal,
A jetté Polyeucte aux pieds de fon rival.
Soudain à fon fecours j'ai réclamé mon pere.
Hélas! c'eft de tout point ce qui me désespere.
J'ai vu mon pere même un poignard à la main
Entrer le bras levé pour lui percer le sein.
Là ma douleur trop forte a brouillé ces images
Le fang de Polyeucte a fatisfait leurs rages.
Je ne fais ni comment ni quand ils l'ont tué,
Mais je fais qu'à la mort tous ont contribué.
Voilà quel est mon fonge.

Le récit fuivant peint vivement l'indignation dont eft faifie une perfonne zélée pour fa religion, & qui vient de voir profaner l'objet de fon culte & de fon refpect. C'est la confidente de Pauline qui vient lui raconter de quelle maniere Polyeucte & fon ami Néarque ont profané les autels dans un facrifice public, en fe déclarant ouvertement chrétiens.

Cette fcene fe paffe entre deux femmes élevées dans le Paganifme. La confidente qui fait le récit représente admirablement le caractere d'une femme prévenue pour fa religion & dévouée au culte des dieux, que dans fon erreur elle croit, & qu'elle refpecte de tout fon cœur.

PAULIN E.

Hé bien ma Stratonice,

Comment s'eft terminé ce pompeux facrifice? Ces rivaux généreux au temple se sont vus ?

STRATONICE.

Ah! Pauline.

PAULIN E.

Mes yeux ont-ils été déçus?

J'en vois fur ton visage une mauvaise marque, Se font-ils querellés?

STRATONICE.

Les Chrétiens.....

Polyeucte, Néarque,

PAULIN E.

Parle donc. Les chrétiens....

STRATONICE.

PAULINE.

Je ne puis.

Tu prépares mon ame à d'étranges ennuis!

STRATONICE.

Vous n'en fauriez avoir une plus jufte caufe,

PAULINE.

L'ont-ils affaffiné ?

STRATONICE.

Ce feroit peu de chofe.

Tout votre fonge eft vrai, Polyeucte n'eft plus...

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