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LES ORNEMENS

DE

LA MÉMOIRE,

OU

LES TRAITS BRILLANS

DES POETES FRANÇOIS

LES PLUS CÉLEBRES.

CHAPITRE PREMIER. Sur l'Exiflence de Dieu.. LORSQU'ON remonte aux premiers temps où la Poéfie étoit pure & fans mêlange, & qu'on examine les plus anciennes pieces que nous ayons en ce genre, on reconnoît que le premier ufage de la Poéfie a été confacré à la Religion, à chanter les merveilles de la

A

Toute-Puiffance de Dieu, & à célébrer fes bienfaits: c'eft ce qui paroît évidemment par le fameux Cantique de Moyfe fur le paffage de la mer Rouge, & par d'autres rapportés dans les faintes Ecritures, c'est-à-dire, dans les livres les plus anciens du monde. Chez les peuples même idolâtres, la premiere matiere de leur Poéfie a été les Hymnes en l'honneur des Dieux. On les chantoit pendant les facrifices & dans les festins qui en étoient la fuite. On en voit la preuve par les Odes de Pindare, & celles des autres Poëtes Lyriques.

Dans l'abondance de fujets qu'offre la Poéfie Françoise, rien n'eft plus convenable au but que nous nous fommes propofé de fournir aux jeunes gens les traits les plus admirables des Poëtes, pour en orner leur mémoire, que de commencer par leur mettre fous les yeux les fujets qui regardent la Religion.

Dans le morceau fuivant, ils verront comment le Poëte prouve l'exiftence d'un Dieu, Créateur de toutes chofes. Car, quoique l'Etre fuprême ne puiffe pas être apperçu par nos fens, la raifon nous fait comprendre que les créatures n'ont pu fe donner ellesmêmes leur existence; la vue feule de, ce vaste univers, dont les merveilles nous rempliffent d'admiration, nous fait connoître qu'il doit avoir un auteur, qui, par l'effet de fa volonté feule, a tiré du néant toutes les

créatures, & les conferve par un effet con tinuel de fa puiffance.

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Mais qui ett ce qui révoque en doute cette vérité? Perfonne, dit un homme célebre (a), ne nie la Divinité, que ceux qui croient avoir intérêt qu'il n'y en ait point. Dieu n'a jamais fait des miracles pour convaincre les athées, parce que fes ouvrages doivent fuffire. L'athéifme eft plutôt fur les lévres que dans le cœur, & les nations les plus barbares ont une idée imparfaite de la Divinité. Cependant, quoique tous les hommes foient convaincus de l'exiftence de Dieu, c'est une douce fatisfaction de voir avec quelles couleurs la Poéfie a peint ce grand fujet, & il eft bon que la mémoire foit ornée d'un pareil morceau. On y voit que le Poëte a tiré les preuves de l'exiftence de Dieu du fpectacle de l'univers, & que les apoftrophes qu'il fait, tantôt aux cieux & à la terre, font l'effet de fon enthousiasme.

Oui, c'est un Dieu caché que le Dieu qu'il faut croire.

Mais tout caché qu'il eft, pour révéler fa gloire, Quels témoins éclatans devant moi raffemblés ! Répondez, Cieux & Mers; & vous, Terre parlez.

(a) Bacon, Chancelier d'Angleterre.

Quel bras peut vous fufpendre, innombrables Etoiles?

Nuit brillante, dis-nous qui t'a donné tes voiles. O Cieux! que de grandeur, & quello majesté ! J'y reconnois un Maître à qui rien n'a coûté, Et qui dans vos déferts a femé la lumiere, Ainfi que dans nos champs il feme la pouffiere. Toi qu'annonce l'aurore, admirable flambeau, Aftre toujours le même, aftre toujours nouveau, Par quel ordre, ô Soleil, viens-tu du fein de l'onde

Nous rendre les rayons de ta clarté féconde ? Tous les jours je t'attends, tu reviens tous les jours:

Eft-ce moi qui t'appelle & qui régle ton cours?
Et toi, dont le courroux veut engloutir la terre,
Mer terrible, en ton lit quelle main te refferre?
Pour forcer ta prifon tu fais de vains efforts;
La rage de tes flots expire fur tes bords.
Fais fentir ta vengeance à ceux dont l'avarice
Sur ton perfide fein va chercher for fupplice.
Hélas! prêts à périr, t'adressent-ils leurs vœux?
Ils regardent le Ciel, fecours des malheureux.
La nature qui parle en ce péril extrême,
Leur fait lever les yeux vers l'afyle fuprême :
Hommage que toujours rend un cœurs effraé
Au Dieu que jufqu'alors il avoit oublié.
La voix de l'Univers à ce Dieu me rappelle:
La Terre le publie: Eft-ce moi, me dit-elle,
Eft-ce moi qui produis mes riches ornemens?

C'eft celui dont la main pofa mes fondemens.
Si je fers tes befoins, c'est lui qui me l'ordonne:
Les préfens qu'il me fait, c'est à toi qu'il les
donne.

Je me pare des fleurs qui tombent de fa main ;
Il ne fait que Pouvrir & m'en remplir le fein.
Pour confoler l'espoir du Laboureur avide, ́
C'est lui qui dans l'Egypte, où je suis trop aride,
Veut qu'au moment prefcrit, le Nil loin de fes
bords,

Répandu fur ma plaine, y porte mes trésors...
Ainfi parle la Terre, & charmé de l'entendre,
Quand je vois par ces noeuds, que je ne puis
comprendre,

Tant d'êtres différens l'un à l'autre enchaînés,
Vers une même fin conftamment entraînés,
A l'ordre général confpirer tous ensemble;
Je reconnois par-tout la main qui les raffemble,
Et d'un deffein fi grand j'admire Punité,
Non moins que la fageffe & la fimplicité....
Le Roi pour qui font faits tant de biens pré-
cieux,

L'homme éleve un front noble, & regarde les
Cieux (a).

Ce front, comme un théâtre où l'ame fe déploie, Eft tantôt éclairé des rayons de la joie, Tantôt enveloppé du chagrin ténébreux.

(a) Os homini fublime dedit, Cælumque tueri Juffit, & erectos ad fidera tollere vultus. Ovid.

AY
TA

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