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Tant pis pour qui me force à cette violence;
La faute assurément n'en doit pas être à moi.

TARTUFFE.

Oui, madame, on s'en charge; et la chose de soi...

ELMIRE.

Ouvrez un peu la porte, et voyez, je vous prie,
Si mon mari n'est point dans cette galerie.

TARTUFFE.

Qu'est-il besoin pour lui du soin que vous prenez ?
C'est un homme, entre nous, à mener par le nez.
De tous nos entretiens il est pour faire gloire,
Et je l'ai mis au point de voir tout sans rien croire.

ELMIRE.

Il n'importe sortez, je vous prie, un moment,
Et partout, là dehors, voyez exactement.

SCÈNE VI

ORGON, ELMIRE.

ORGON, Sortant de dessous la table.

Voilà, je vous l'avoue, un abominable homme!
Je n'en puis revenir, et tout ceci m'assomme.

1520

1525

1530

registres, attachée à la presente, en tesmoing de ma fidelité envers le roy mon seigneur....» (Lett. miss. de Henri IV, t. II, p. 73.)

MÉLITE. Mon affection ne s'est point arrêtée

...

Que chez un cavalier qui l'a trop méritée. CLORIS. Vous me pardonnerez, j'en ai de bons témoins, C'est l'homme qui de tous la mérite le moins.

(CORNEILLE, Mélite, IV, 11.)

V. 1519. « Elmire ne dit pas un mot qui ne soit pour son mari, et que cependant Tartuffe ne doive prendre pour lui-même. C'est ici surtout qu'on peut voir de quelle ressource le mot on est pour Elmire.» (Note d'Auger.) V. 1526. «Excellente adresse du poète, qui a appris d'Aristote qu'il n'est rien de plus sensible que d'être méprisés par ceux que l'on estime, et qu'ainsi c'était la dernière corde qu'il fallait faire jouer.» (Lettre sur l'Imposteur.)

V. 1525. Il est pour faire gloire, il est capable de faire gloire de nos entretiens, capable d'en tirer vanité, être pour équivalant à : être fait pour, être de nature à, être capable de. Cf. plus loin:

1720. Je ne suis pas pour étre en ces lieux importun.

V. 1529. Si l'on veut juger de l'importance qu'il y a de mettre un mot en sa place, il suffit de comparer à ce vers celui de Regnard, dans les Ménechmes:

Voilà, je le confesse, un homme abominable! (Acte V, sc. Iv.)

Ici, comme là, le vers est bien en situation

V. 1530. Assommer, accabler d'étonnement, consterner d'effroi. Cf.:

« Cette triste nouvelle n'a assommé que trois ou quatre jours; la mort de Madame dura bien plus longtemps.» (SÉVIGNÉ, à M. de Grignan, juillet 1672.)

« Je suis embarquée dans la vie sans mon consentement: il faut que J'en sorte, cela n'issomme. » (LA MÊME, 16 mars 1672.)

ELMIRE.

Quoi! vous sortez sitôt ? Vous vous moquez des gens.
Rentrez sous le tapis, il n'est pas encor temps;
Attendez jusqu'au bout, pour voir les choses sûres,
Et ne vous fiez point aux simples conjectures.

ORGON.

Non, rien de plus méchant n'est sorti de l'enfer.

ELMIRE.

1535

Mon Dieu! l'on ne doit point croire trop de léger;
Laissez-vous bien convaincre avant que de vous rendre,
Et ne vous hâtez point, de peur de vous méprendre.
(Elle fait mettre son mari derrière elle.)

SCÈNE VII

TARTUFFE, ELMIRE, ORGON.

TARTUFFE.

Tout conspire, madame, à mon contentement:
J'ai visité de l'œil tout cet appartement;

Personne ne s'y trouve, et mon âme ravie...
ORGON, en l'arrêtant.

Tout doux vous suivez trop votre amoureuse envie,
Et vous ne devez pas vous tant passionner.
Ah! ah! l'homme de bien, vous m'en voulez donner!
Comme aux tentations s'abandonne votre âme !
Vous épousiez ma fille, et convoitiez ma femme!
J'ai douté fort longtemps que ce fût tout de bon,
Et je croyais toujours qu'on changerait de ton:
Mais c'est assez avant pousser le témoignage,

V. 1536. De léger, légèrement, à la légère. Cf. :

Moi-même, qui ne crois de léger aux merveilles...
(REGNIER, Sat., xi.)

V. 1537. Avant que de vous rendre. Voir la note du vers 859.

1540

1545

V. 1538. Les vers que récite Elmire, dans cette scène, ne doivent point être dits sur un ton de badinage, mais avec un sentiment d'irritation, de dépit et d'ironie: « Quoi! vous sortez sitôt !» est évidemment un reproche direct à Orgon, qui a laissé se prolonger ainsi l'épreuve de Tartuffe et l'embarras de sa femme.

V. 1544. Vous m'en voulez donner... En donner à quelqu'un, le tromper, le duper. Cf. :

Mais le fourbe qu'il est nous en a trop donné,
Et je ne suis pas fille à croire ses paroles.

(CORNEILLE, Le Menteur, IV, vin.) On trouve au dix-septième siècle, avec le même sens : en bailler à quelqu'un, et en bailler, en donner à garder.

V. 1547. Tout de bon, d'une façon toute sincère. Voyez sur l'emploi de cette locution la note du vers 606.

Je m'y tiens, et n'en veux pour moi pas davantage. 1550
ELMIKE, à Tartuffe.

C'est contre mon humeur que j'ai fait tout ceci;
Mais on m'a mise au point de vous traiter ainsi.

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Ces discours ne sont plus de saison : 1555

Il faut, tout sur-le-champ, sortir de la maison.

TARTUFFE.

C'est à vous d'en sortir, vous qui parlez en maître
La maison m'appartient, je le ferai connaître,
Et vous montrerai bien qu'en vain on a recours,
Pour me chercher querelle, à ces lâches détours;
Qu'on n'est pas où l'on pense en me faisant injure;
Que j'ai de quoi confondre, et punir l'imposture,
Venger le Ciel qu'on blesse, et faire repentir
Ceux qui parlent ici de me faire sortir.

SCÈNE VIII

ELMIRE, ORGON.

ELMIRE.

1560

Quel est donc ce langage? et qu'est-ce qu'il veut dire? 1565

ORGON.

Ma foi, je suis confus, et n'ai pas lieu de rire.

V. 1555. Ne sont plus de saison. Racine, dans les scènes de passion, n'a pas craint d'employer cette expression familière.

Non, tes conseils ne sont plus de saison,
Pylade, je suis las d'écouter la raison.

(Andromaque, III, 1.)

Enfin tous tes conseils ne sont plus de saison :
Sers ma fureur, Enone, et non point ma raison.
(Phedre, III, 1.)

V. 1557. C'est à vous d'en sortir. « Flagitiis manifestis, subsidium ab audacia petendum.» (TACITE, Ann., x1, 26.) Ce coup de théâtre, éclatant sans préparation, est d'un effet puissant et terrible. Pour le rendre plus saisissant, l'acteur prend un temps avant de répliquer, ramasse son manteau qu'il avait déposé en entrant, se coiffe, et regardant Orgon, lance enfin l'insolente menace: C'est à vous d'en sortir!

Comment?

ELMIRE.

ORGON.

Je vois ma faute, aux choses qu'il me dit,

Et la donation m'embarrasse l'esprit.

ELMIRE.

La donation...

ORGON.

Oui, c'est une affaire faite.

Mais j'ai quelque autre chose encor qui m'inquiète. 1570

Et quoi?

ELMIRE.

ORGON.

Vous saurez tout. Mais voyons au plus tôt

Si certaine cassette est encore là-haut.

V. 1567. Aux choses, d'après les choses. Cf.:

A la lettre il paraît qu'il a beaucoup d'esprit.

(CORNEILLE, Suite du Ment., II, 1.)

C'est-à-dire, d'après la lettre qu'il a écrite. V. 1572. Certaine cassette. L'abbé de Châteauneuf raconte que, Molière ayant lu son Tartuffe à Ninon de Lenclos, «elle l'avait payé en même monnaie par le récit d'une aventure qui lui était arrivée avec un scélérat à peu près de cette espèce, dont elle lui fit le portrait avec des couleurs si vives et si naturelles, que si la pièce n'eût pas été faite, nous disait-il, il ne l'aurait jamais entreprise, tant il se serait cru incapable de rien mettre sur le théâtre d'aussi parfait que le Tartuffe de Léontium (Ninon).» Quelle a pu être cette aventure? « Tout le monde sait, dit Voltaire sans nous apprendre où lui-même a puisé ce renseignement, que Gourville ayant confié une partie de son bien à cette fille (toujours Ninon de Lenclos) si galante et si philosophe, et une autre à un homme qui passait pour très dévot, le dévot garda le dépôt pour lui, et celle qu'on regardait comme peu scrupuleuse le rendit fidèlement sans avoir touché. » Cette histoire serait donc l'équivalent de l'épisode de la Cassette. Mais d'autre part, Tallemant des Réaux raconte qu'un certain abbé, « grand hypocrite, qui faisait l'homme de qualité, » était devenu amoureux de Ninon de Lenclos et lui déclara un jour sa passion. Tallemant ajoute: « C'est l'original de Tartuffe.» L'aventure arrivée à Ninon de Lenclos serait-elle donc semblable à la scène de la déclaration de l'acte III? Il est difficile de conclure, car on ne sait trop s'il faut ajouter foi aux assertions de Châteauneuf, de Tallemant et de Voltaire. Mais il est bien certain que l'abbé de Pons n'était pas plus l'original de Tartuffe que l'abbé Roquette, à qui de semblables traits étaient aussi reprochés. Tartuffe n'est pas le portrait d'un homme, mais la peinture générale du caractère hypocrite. Molière l'a dit lui-même : « Son dessein était de peindre les mœurs, sans toucher aux personnes. »

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1575

Que l'on doit commencer par consulter ensemble
Les choses qu'on peut faire en cet événement.

ORGON.

Cette cassette-là me trouble entièrement. le reste encor, elle me désespère.

Plus

que

CLÉANTE.

Cette cassette est donc un important mystère?

ORGON.

C'est un dépôt qu'Argas, cet ami que je plains,

Lui-même, en grand secret, m'a mis entre les mains.
Pour cela, dans sa fuite, il me voulut élire;
Et ce sont des papiers, à ce qu'il m'a pu dire,
Où sa vie et ses biens se trouvent attachés.

CLEANTE.

Pourquoi donc les avoir en d'autres mains lâchés?

ORGON.

Ce fut pour un motif de cas de conscience.
J'allai droit à mon traitre en faire confidence,

V. 1574. Consulter, examiner, par une délibération. Cf.:
Le jour s'en va paraître, et je vais consulter
Comment dans ce malheur je me dois comporter.

[1580

(Ecole des femmes, V, 1.)

1585

« Je consulterai avec le coadjuteur quel livre on pourrait vous envoyer.»

(SÉVIGNÉ, à Mo de Grignan, 25 juin 1677.)

V. 1581. Il me voulut élire. Voir les notes des vers 54 et 573.
V. 1582. Des papiers où. Voir la note du vers 95,

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