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dans tous les temps, les méditations d'un grand nombre d'hommes qui se sont dits philosophes; mais très-peu se sont montrés dignes d'un si beau nom.

Les uns, dominés par une imagination déréglée, n'ont enfanté que des rêves extravagans; d'autres, attachés à des sectes, n'ont vu la vérité que dans ce qui pouvait les faire triompher; presque tous, abusés par un langage qui leur était devenu familier avant la connaissance des choses, ont cru s'être fait des idées, quand ils n'avaient assemblé que des mots ; et quelquesuns, il faut le dire à la honte de l'esprit humain, ont osé se proclamer sages, et ont été appelés philosophes, quand leur doctrine pervertissait la raison, sapait les fondemens des sociétés et enlevait aux malheureux leur dernière espé

rance.

Il est donc nécessaire de faire un choix dans l'étude des philosophes, ou de ceux qu'on appelle ainsi.

Vous mettre en état de bien faire ce choix, serait un des résultats que j'ambitionnerais d'obtenir. Il faudrait que ceux qui auront suivi ces leçons, pussent à l'instant, et d'une manière infaillible, distinguer le bon du mauvais, l'excellent du médiocre; il faudrait, par

exemple, qu'en jetant les yeux sur l'Ethique de Spinosa, on éprouvât une répugnance invincible à le suivre dans ses monstrueuses rêveries; comme il faudrait, qu'après avoir lu une page de Pascal, on s'écriât : Voilà l'esprit humain dans toute sa perfection!

C'est ainsi que celui dont le goût littéraire s'est formé par une longue étude des modèles lit et relit avec amour les vers de Racine, quand le premier hémistiche de Chapelain l'arrête tout à coup, et lui ôte le courage de continuer sa lecture.

Si j'avais le bonheur de développer ou d'entretenir un tel esprit de critique dans une assemblée qui réunit tous les âges et tous les talens, les élèves de l'école normale et des savans du premier ordre, peut-être jugeriez-vous, messieurs, que vous n'avez pas entièrement perdu votre temps en fréquentant ce cours. Et je pourrais aussi penser, que je ne l'ai pas employé d'une manière tout-à-fait inutile.

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Du Principe des facultés de l'âme (1), et de l'Influence du langage sur nos opinions.

LES observations que je vous ai présentées sur l'analyse et sur les systèmes, ont un double but : en même temps qu'elles vous faciliteront l'intelligence du système des facultés de l'âme dont nous commençons aujourd'hui l'étude, elles vous mettront à portée de juger si je me conforme toujours aux préceptes de la mé

(1) Les facultés de l'âme supposent l'existence de l'âme, comme les propriétés des corps supposent l'existence des corps. Il semble donc, qu'avant de parler des facultés de l'âme, il faudrait avoir établi, par une bonne démonstration, que l'âme existe; mais cette démonstration, tirant sa principale force de la nature des facultés auxquelles nous devons les développemens de l'intelligence, nous avons cru devoir commencer par faire l'étude de ces facultés.

Nous parlerons aussi des corps, comme réellement existans, avant d'avoir prouvé qu'il y a des corps; et je prie qu'on veuille bien renvoyer les objections, soit contre l'existence de l'âme, soit contre la réalité des corps, au moment où nous traiterons ces deux importantes questions.

Qu'on me permette donc de supposer que nous avons un

thode. Montrer la règle à ceux que l'on doit diriger, c'est se soumettre à la suivre.

Les facultés, qui d'un être sensible font un être intelligent, moral et raisonnable; les opérations, qui d'une condition purement animale l'élèvent à la dignité d'homme : tel est l'objet du cours de philosophie (pag. 68).

Et comme ces facultés peuvent être considérées dans leur nature, dans leurs effets et dans leurs moyens, le cours se divise naturellement en trois parties (1).

Nous allons d'abord étudier les facultés de l'âme en elles-mêmes, indépendamment de

corps qui nous appartient, qu'il y a hors de nous d'autres corps; des animaux, des arbres, une terre, un soleil, etc. : tous les hommes le croient ainsi; tous sont forcés de le croire, les savans comme les ignorans, ceux qui font des livres pour prouver qu'il n'existe pas des corps, comme ceux qui ne sa

vent ni lire, ni écrire.

On me permettra sans doute aussi de supposer, conformé❤ ment à la croyance des peuples, et à celle des plus grands philosophes que nous avons une âme distincte du corps.

Ces deux suppositions cesseront de l'être pour devenir des propositions démontrées, dans la seconde partie de ce cours.

(1) Cette division du cours de philosophie ne diffère pas, au fond, de celle que nous avons annoncée dans le Discours d'ouverture (p. 34); seulement elle est plus simple, et elle comprend l'autre.

tous les secours dont elles peuvent s'aider, et indépendamment des résultats de leur action. Ce travail et les différentes réflexions qu'il fera naître, formeront la première partie du

cours,

Il s'agit de rechercher toutes les manières dont s'exerce ou dont peut s'exercer notre activité, de bien saisir les caractères qui les distinguent, et les rapports qui les unissent. Il s'agit en un mot de les réduire en système.

Condillac est le premier qui ait tenté la solution de ce problème d'une manière régulière, et il l'a reproduite jusqu'à sept ou huit fois dans divers ouvrages.

Une explication sur laquelle on revient si souvent, annoncerait-elle qu'on se méfie de soi-même et de ses preuves, ou bien qu'on s'est pleinement satisfait. Condillac ne nous laisse pas dans l'incertitude. Il croit que ses raisonnemens ont la force et l'évidence des démonstrations mathématiques. Il prononce, sans balancer, qu'il est impossible de se former, de l'entendement, une idée plus exacte que celle qu'il en donne (Log. p. 66).

Le principe dont il fait la base de ce système qui lui paraît si évident, c'est la faculté de sentir, ou, comme il s'exprime souvent, la sensa

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