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sentiment; elles viendraient, de même que le sentiment, de ce principe inconnu que l'on cherche; mais c'est en vain. Au delà du sentiment, il n'y a rien pour nous, pour notre intelligence; et, dans le vrai, ceux qui lui cherchent un principe antérieur ne cherchent rien; mais ils ne s'en doutent pas.

J'avais démontré (p. 169 et 187) qu'on ne peut pas définir l'attention ; et vous voyez qu'on ne peut pas définir le sentiment. La raison en est évidente: l'attention est le principe de toutes les facultés de l'âme : le sentiment est le principe de toutes ses connaissances. Or, les principes sont au delà de toute définition; ils expliquent tout, et rien ne les explique. Si l'on pouvait en rendre raison, ils cesseraient à l'instant d'être des principes pour devenir des conséquences.

Je veux me faire une objection que vous ne me feriez pas, parce qu'elle porte entièrement à faux.

Objection. Vous nous défendez la recherche des causes de la sensibilité et du sentiment; mais de quoi s'occupent les physiologistes et les métaphysiciens? et de quoi doivent-ils s'occuper? Si la sensibilité joue un si grand rôle dans tous les systèmes de philosophie; si même

tout se ramène à la sensibilité, dans la philosophie la plus généralement adoptée, ne fautil savoir ce que c'est que pas que cette admirable propriété, qui distingue les animaux entre toutes les créatures, et l'homme entre tous les animaux? Et comment le saura-t-on, si l'on ne considère pas le sentiment dans ses causes?

Je réponds que le mot cause n'a pas été prononcé dans cette leçon. Ainsi l'objection ne porte sur rien.

Objection. N'avez-vous pas parlé d'origine, de principe, de raison? et, origine, principe, raison ou cause, n'est-ce pas la même chose ? Ne peut-on pas dire indifféremment que Dieu est le principe, ou la cause de toutes les existences? que l'élévation des eaux de la mer a sa raison dans le passage de la lune au méridien, ou, que la présence de la lune au méridien est la cause qui élève les eaux de la mer ? et, pour exprimer que toutes les idées ont leur origine dans les sensations, ne dit-on pas que les sensations sont les causes productrices des idées? Vous n'avez pas prononcé le mot cause. Qu'importe, si vous avez raisonné sur son idée?

Réponse. Lorsqu'on entend de pareilles ob

jections, on éprouve une secrète impatience, et une sorte de dépit, contre la lenteur forcée de la parole. On voit et l'on sent en un instant indivisible, tout ce qu'il faut répondre on voudrait le produire au dehors en un instant indivisible; et l'on est obligé de se traîner sur une longue chaîne de mots, dont chacun, quoi qu'on fasse, ne peut exprimer qu'une trèsfaible partie de ce qu'on sent. Parlons donc, puisque nous sommes condamnés à parler: énonçons successivement nos idées, puisqu'il est impossible de les montrer simultanément; mais, dans l'impuissance de tout dire à la fois, tâchons de le dire successivement, de telle manière que la mémoire réunisse en un tout, ce que l'esprit aura recueilli aura recueilli par parties.

Et d'abord, pour répondre à la dernière chose que nous venons d'entendre, que signifie ce langage, les sensations sont les causes productrices des idées ? les sensations, causes des idées! les matériaux des idées, causes des idées! le marbre dont on fait une statue, cause de la Vénus ou de l'Apollon!

Origine, et cause, sont donc deux idées différentes.

Il est vrai que les mots principe et raison peuvent quelquefois se substituer au mot cause,

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comme dans les deux premiers exemples qu'on vient d'alléguer. Mais qu'est-ce que cela prouve? que ces deux mots ont chacun deux acceptions, celle qui leur est propre, et celle de cause. Or, c'est dans l'acception qui leur est propre que je les ai employés.

J'ai donc été fondé à dire que je n'avais point parlé de cause; et je n'en ai pas plus montré l'idée que le mot.

Principe et cause, sont deux idées relatives; principe, à conséquence; et cause, à effet. Dans une multitude de phénomènes ; dans une suite d'opérations de la nature, ou de l'esprit; dans un enchaînement quelconque d'idées; dans un système enfin, le phénomène qui se trouve placé à la tête du système, l'idée par laquelle tout commence et de laquelle tout dérive, voilà le principe. Le principe fait partie d'une chaîne dont il est le premier anneau : la cause, au contraire, se trouve en-dehors. Le principe de tous les mouvemens d'une montre, est dans le ressort qui fait partie de la montre; la cause, c'est l'horloger.

Qu'on cherche tant qu'on voudra les causes de la sensibilité qu'on croie les avoir aperçues dans l'ébranlement des nerfs, ou dans le

:

choc des esprits animaux, ou dans l'irritabilité de la fibre, ou dans le fluide électrique, ou dans le fluide galvanique, ou dans le fluide magnétique, etc. : ces opinions ne manqueront

pas

de partisans; elles seront célébrées, comme des interprétations de la nature, jusqu'à ce qu'elles aient fait place à de nouvelles opinions, qui seront aussi des interprétations de la nature, en attendant toujours de nouvelles interprétations.

Que malgré tant de recherches inutiles, on ne désespère pas de trouver la cause de la sensibilité et du sentiment, cela peut se concevoir; car enfin cette cause existe : mais qu'on n'en cherche pas le principe; car il n'existe pas. Il y a certainement hors de nous, quelque chose qui nous fait sentir; mais en nous, mais pour nous, il n'y a rien, il ne peut y avoir rien d'antérieur au sentiment.

Vous ne direz pas que je porte la distinction des idées jusqu'à la subtilité : vous ne me blâmerez pas quand je cherche à mettre quelque précision dans mon langage; vous m'approuverez, au contraire, j'en suis sûr, quand vous saurez que la philosophie s'est précipitée dans un abîme d'extravagances, pour avoir confondu le principe avec la cause, ou la cause

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