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Agamemnon. Quelle main l'a frappé, et quel a été son

destin ?

Hécube. Quelle autre main que celle du Thrace, celle de son hôte ?

Agamemnon. O mère infortunée! c'était donc pour ravir son or?

Hécube. Oui vraiment; il le tua dès qu'il sut le désastre des Troyens.

Agamemnon. Où as-tu découvert ce corps? ou qui te l'a apporté ?

Hécube. Cette esclave, qui l'a trouvé sur le rivage de la

mer.

Agamemnon. L'y cherchait-elle ? ou était-elle occupée
de quelque autre soin ?

Hécube. Elle était allée puiser de l'eau pour laver le
corps de Polyxène.ll de trave, il étai
Agamemnon. Sans douté cet hôte perfide, après l'avoir
égorgé, l'avait jeté dans la mer.

Hécube. Il l'a abandonné aux vagues, après l'avoir
ainsi déchiré.

Agamemnon. Ô malheureuse! quelles douleurs sans

mesure !

Hécube. Je suis perdue, Agamemnon; rien ne manque à mon malheur.

Agamemnon. Hélas! quelle femme fut jamais si infortunée ?

Hécube. Il n'en est point, si ce n'est l'infortune ellemême.

Euripide.

Mère lionne avait perdu son faon:

Un chasseur l'avait pris. La pauvre infortunée

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Poussait un tel rugissement

Que toute la forêt était importunée.
La nuit ni son obscurité,

Son silence, et ses autres charmes,

De la reine des bois n'arrêtaient les vacarmes:
Nul animal n'était du sommeil visité.
L'ourse enfin lui dit: Ma commère,
Un mot sans plus: tous les enfants
Qui sont passés entre vos dents
N'avaient-ils ni père ni mère ?—
Ils en avaient.-S'il est ainsi,

5

10

Et qu'aucun de leur mort n'ait nos têtes rompues,
Si tant de mères se sont tues,

Que ne vous taisez-vous aussi ?-
Moi, me taire! moi, malheureuse!

Ah! j'ai perdu mon fils! il me faudra traîner
Une vieillesse douloureuse !—

15

Dites-moi, qui vous force à vous y condamner?-20
Hélas! c'est le Destin qui me hait.-Ces paroles
Ont été de tout temps en la bouche de tous.
Misérables humains, ceci s'adresse à vous!
Je n'entends résonner que des plaintes frivoles.
Quiconque, en pareil cas, se croit haï des cieux, 25
Qu'il considère Hécube, il rendra grâce aux dieux.

1. Faon. Ce mot employé absolument signifie toujours le petit de la biche. Mais on dit aussi le faon de la chêvre ou de la daine. Faon se dit même, quoique plus rarement, du petit de toute autre bête fauve, comme ici.

4. La forêt. C'est le contenant pour le contenu : les habitants de la forêt.

5, 6, 7. Cette phrase est fautive. Il faut dire ou bien: ni la nuit, ni son obscurité, ni son silence, ni ses autres charmes, n'arrêtaient les vacarmes de la reine; ou bien : la nuit et son obscurité, son silence et ses autres charmes, n'arrêtaient pas les vacarmes de la reine.

8. Nul et aucun (voir les Entretiens, p. 195).

9. Commère (voir xxiv, 6).

10. Rien qu'un mot.

13. S'il est ainsi. On dit d'ordinaire: s'il en est ainsi.

14. Nos têtes rompues. Mauvaise inversion pour n'aient rompu nos têtes. Rompre la tête de quelqu'un par des cris, c'est l'étourdir de ses cris

16. Que. Pourquoi ?

20. But say, why doom yourself to sorrow so?

26. Car Hécube fut cent fois plus malheureuse que vous.

LV.

LE PAYSAN DU DANUBE (XI, 7).

Qui peut relire le Loup et l'Agneau, le Chêne et le Roseau, le Paysan du Danube, sans être touché du côté grandiose qui domine chez La Fontaine, et n'est-on pas tenté d'appliquer à son œuvre même le portrait de l'arbre démesuré,

De qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

Le paysan du Danube cache sous sa ceinture de joncs marins un cœur où vit le souffle des dieux.

Th. de Banville.

Un discours destiné à la fois à émouvoir et à instruire ne pourrait être formé sur le modèle de celui-ci. Mais celui-ci, dans son genre, est parfait: et l'orateur de

profession peut l'étudier avec profit. La liaison, la continuité, l'entraînement certes n'y manquent pas ; une idée suscite l'autre ; c'est comme la propagation du feu dans un incendie. Sans doute le rustique orateur se met à la merci de ses transitions; elles le mènent où elles veulent; mais il importe peu dans ce sujet et dans cette situation. S'il s'agissait d'expliquer, d'exposer, en un mot, d'enseigner, ce serait autre chose.-Étudiez la marche de ce discours, il en vaut la peine.

A. Vinet. Quand les choses ont saisi l'esprit, les mots viennent en foule.

Sénèque.

Les gentillesses des orateurs ne servent que pour amuser le vulgaire, incapable de prendre la viande plus massive et plus ferme.

Montaigne.

Au fort de l'éloquence de Cicéron plusieurs en entraient en admiration; mais Caton n'en faisant que rire: "Nous avons, disait-il, un plaisant consul."

Fi de l'éloquence qui nous laisse envie de soi.

Idem.

Idem.

Il ne faut point juger des gens sur l'apparencé. Le conseil en est bon; mais il n'est pas nouveau. Jadis l'erreur du souriceau

Me servit à prouver le discours que j'avance:

J'ai, pour le fonder à présent,

Le bon Socrate, Ésope, et certain paysan

Des rives du Danube, homme dont Marc-Aurèle Nous fait un portrait fort fidèle.

5

On connaît les premiers: quant à l'autre, voici
Le personnage en raccourci :

Son menton nourrissait une barbe touffue;
Toute sa personne velue

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Représentait un ours, mais un ours mal léché:
Sous un sourcil épais il avait l'œil caché,
Le regard de travers, nez tortu, grosse lèvre, 15
Portait sayon de poil de chèvre,

Et ceinture de joncs marins.

Cet homme ainsi bâti fut député des villes
Que lave le Danube. Il n'était point d'asiles
Où l'avarice des Romains

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Ne pénétrât alors, et ne portât les mains.
Le député vint donc, et fit cette harangue :
Romains, et vous sénat assis pour m'écouter,
Je supplie avant tout les dieux de m'assister:
Veuillent les immortels, conducteurs de ma
langue, 25

Que je ne dise rien qui doive être repris!
Sans leur aide, il ne peut entrer dans les esprits

Que tout mal et toute injustice :

Faute d'y recourir, on viole leurs lois.

30

Témoin nous que punit la romaine avarice:
Rome est, par nos forfaits, plus que par ses exploits,
L'instrument de notre supplice.
Craignez, Romains, craignez que le ciel quelque
jour
Ne transporte chez vous les pleurs et la misère,
Et mettant en nos mains, par un juste retour, 35
Les armes dont se sert sa vengeance sévère,

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