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Avant que de partir, l'esprit dit à ses hôtes:
On m'oblige de vous quitter;

Je ne sais pas pour quelles fautes:

Mais enfin il le faut. Je ne puis arrêter

Qu'un temps fort court, un mois, peut-être une semaine: 30

Employez-la; formez trois souhaits: car je puis Rendre trois souhaits accomplis;

Trois, sans plus. Souhaiter, ce n'est pas une peine Étrange et nouvelle aux humains.

Ceux-ci, pour premier væu, demandent l'abondance; 35

Et l'abondance à pleines mains

Verse en leurs coffres la finance,

En leurs greniers le blé, dans leurs caves les vins : Tout en crève. Comment ranger cette chevance? Quels registres, quels soins, quel temps il leur fallut ! 40

45

Tous deux sont empêchés si jamais on le fut.
Les voleurs contre eux complotèrent;
Les grands seigneurs leur empruntèrent;
Le prince les taxa. Voilà les pauvres gens
Malheureux par trop de fortune.
Ôtez-nous de ces biens l'affluence importune,
Dirent-ils l'un et l'autre heureux les indigents!
La pauvreté vaut mieux qu'une telle richesse.
Retirez-vous, trésors; fuyez: et toi, déesse,
Mère du bon esprit, compagne du repos,
Ô Médiocrité, reviens vite! À ces mots

50

La Médiocrité revient. On lui fait place:
Avec elle ils rentrent en grâce,

55

Au bout de deux souhaits, étant aussi chanceux
Qu'ils étaient, et que sont tous ceux
Qui souhaitent toujours et perdent en chimères
Le temps qu'ils feraient mieux de mettre à leurs
affaires :

Le follet en rit avec eux.

Pour profiter de sa largesse,

Quand il voulut partir et qu'il fut sur le point, 60 Ils demandèrent la sagesse:

C'est un trésor qui n'embarrasse point.

1. Follet. Un follet, dit M. Littré, est une sorte de lutin familier, plus malin que malfaisant."/ Vous remarquez que ce mot doit s'écrire avec deux l./ Son étymologie est fol ou fou. Et le lutin? M. Littré le définit ://Espèce de démon/qui vient la nuit tourmenter les hommes, et qui est d'une nature plus malicieuse que méchante. Mais ce lutin de notre fable, le follet, n'est pas un démon dé nuit, puisqu'il fait tout le jour office de valet.-Quelle est l'origine du mot lutin? Elle est incertaine. Les uns le tirent de nuit. En effet, le vieux français a LUITON et certains patois appellent le lutin NUITON, l'homme ou l'esprit de nuit. Mais pourquoi l'ʼn de nuit a-t-elle été changée en 7 dans le français? D'autres dérivent lutin du latin LUCTUS deuil; le lutin serait donc un esprit de deuil, ce qu'il n'est pas toujours. Le lutin de notre fable ne l'est nullement. Enfin certains savants tirent lutin du vieux saxon LUTTIL (en anglais LITTLE) petit, parce que les lutins sont petits.-Choisissez, ou plutôt restez indécis, comme les savants. S'il faillait choisir, je prendrais la première étymologie..

10. Dieu sait si. Cette tournure est un gallicisme qui signifie: les zéphyrs assistaient le follet assurément. Il n'y a aucun doute

dans le si d'une pareille phrase. Remplacez si par que, et marquez une exclamation à la fin de la phrase, vous aurez l'exacte signification. Dieu sait si je vous aime! c'est-à-dire, Dieu sait que je vous aime! Quelle affirmation ! La chose est très-sûre, puisque Dieu le sait.

22. Ordre. Sans article. La compréhension du mot est seule envisagée. Une fois pour toutes, cette question de l'article doit être expliquée. Pour cela il faut distinguer la compréhension et l'extension d'un substantif. Sa compréhension est l'ensemble des notes qui le constituent. Ainsi homme a pour compréhension animalité, rationalité, langage, etc.Et l'extension d'un substantif? C'est la totalité des individus auxquels le substantif s'applique. Ainsi homme a pour extension tous les hommes. Eh bien voici la règle de l'emploi de l'article./ Considérez-vous l'extension du substantif, vous devez employer l'article, n'importe que vous preniez le substantif dans toute son extension, les hommes, ou dans une partie de son extension, les hommes qui souffrent, ou que vous la réduisiez à un individu, l'homme que voilà. Mais si vous avez en vue seulement la compréhension du mot, les qualités qui le constituent, ne faites pas usage de l'article. La raison en est évidente: c'est que dans ce cas, vous n'avez pas à marquer quelle portion de l'extension vous voulez exprimer. L'extension ne vous occupe pas. Vous comprenez donc que La Fontaine dise la maison, l'équipage (vers 3), du jardinage (vers 4), le jardin d'un assez bon bourgeois (vers 7), le maître, la maîtresse, le jardin (vers 9 et 10), les zéphyrs (vers 10), etc. Dans tous ces cas, il veut déterminer quelle portion de l'extension il a en vue. Mais quand le poëte dit ordre lui vint, j'entends bien que l'extension du mot n'a rien à faire ici, c'est sa compréhension, sa signification qui est tout. Ordre, c'est-à-dire, cette chose qui commande, à laquelle il n'est pas permis de résister. C'est ordre, point conseil ou simple invitation, qui vint au follet et l'obligea de partir. Généralement on emploie l'article plus qu'il ne faut. La Fontaine est un grand maître pour son juste emploi. L'étude des autres fables a fourni très-souvent l'occasion de renvoyer à cette note, qui devient très-claire par

tous ces rapprochements et établit puissamment la doctrine de l'article (voir aussi Entretiens, p. 76).

25. Vous (voir xxvii, 12).

Indou. L'empire du Grand-Mogol était dans l'Inde. C'est l'Angleterre qui l'occupe aujourd'hui.

29. Arrêter. Signifie ici demeurer.

33. Sans plus. Pas davantage.

Peine. Quelle charme dans ce mot! Assurément souhaiter n'est pas une peine, il s'en faut! Quoi de plus facile? On croit voir La Fontaine sourire très-finement de notre humanité, grande faiseuse de souhaits.

35. Væu. Il vient de dire souhait. Est-ce la même chose? Vau vient de votum, lequel est d'abord une promesse faite aux dieux, puis un désir qu'on exprime, un désir dont on leur demande la réalisation./ Ce désir est donc exprimé et c'est quelque chose de très-précis.Le souhait est différent. Ce mot est composé de sous, le latin SUB, et de HAIT vieux mot français qui signifiait plaisir, bonne volonté, inclination, gré. Ce serait donc Xun plaisir, une inclination que l'on a à part soi (sous), qu'on n'exprime pas./Celui qui souhaite se porte en secret vers une chose qu'il voudrait avoir Aussi M. Littré définit le souhait : Mouvement de la volonté vers un bien qu'on n'a pas."Il paraît donc que le mot vœu convient mieux que souhait dans notre fable. Remarquez cependant que dans l'usage les deux termes sont beaucoup employés l'un pour l'autre.

38. En, dans (voir ii, 2).

39. Crever (voir iii, 10).

Ranger. Mettre de l'ordre dans cette chevance.

Chevance. C'est ce que l'on possède. Comment ranger tous ces biens? Chevance vient de l'italien CIVANZA profit.

41. Si jamais on le fut. Une sorte de locution superlative, manière d'exprimer qu'une chose existe au suprême degré. Personne ne fut jamais plus empêché que ces deux-là le furent.

Empêchés. C'est-à-dire,/ embarrassés./ Empêcher vient de IMPEDICARE, formé de IN et PEDICA un piége, lequel est dérivé de PES pied. Donc un piége est ce qui enlace les pieds, et celui

La

qui est empêché, c'est-à-dire étymologiquement, qui est dans un piége, n'est guère libre de se mouvoir. Il est dans l'embarras, comme les gens de notre fable.

50. Bon esprit.

tient en bon état.

Cette déesse rend l'esprit bon et tranquille, le

Tranquillité 58. Ils rentrent en grâce. Ils avaient offensé la Médiocrité,

en la méprisant, puisqu'ils avaient appelé, par leur vou, les richesses. Mais elle leur fait grâce; ils rentrent en grâce auprès d'elle.

60. Sur le point de partir.

62. Point. La négation forte est parfaite ici (voir i, 15).

XXXI.

LES GRENOUILLES QUI DEMANDENT UN ROI (III, 4).

Quand l'on parcourt, sans la prévention de son pays, toutes les formes de gouvernement, l'on ne sait à laquelle se tenir. Ce qu'il y a de plus raisonnable et de plus sûr, c'est d'estimer celle où l'on est né la meilleure de toutes, et de s'y soumettre.

La Bruyère.

Platon remerciait le ciel de ce qu'il était né du temps de Socrate; et moi je lui rends grâce de ce qu'il m'a fait naître dans le gouvernement où je vis, et de ce qu'il a voulu que j'obéisse à ceux qu'il m'a fait aimer. Montesquieu.

Si je pouvais faire en sorte que tout le monde eût de nouvelles raisons pour aimer ses devoirs, son prince, sa patrie, ses lois; qu'on pût mieux sentir son bonheur dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans

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