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Mais je sens que pour toi ma pitié s'intéresse :
J'admire ton courage, et je plains ta jeunesse.
Ne cherche point à faire un coup d'essai fatal;
Dispense ma valeur d'un combat inégal ;
Trop peu d'honneur pour moi suivrait cette victoire.
À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
On te croirait toujours abattu sans effort;

Et j'aurais seulement le regret de ta mort.

D. Rodrigue. D'une indigne pitié ton audace est suivie. Qui m'ose ôter l'honneur craint de m'ôter la vie ! Le Comte. Retire-toi d'ici.

R. Rodrigue.

Le Comte. Es-tu si las de vivre ?

D. Rodrigue.

Marchons sans discourir.

As-tu peur de mourir?

Le Comte. Viens, tu fais ton devoir, et le fils dégénère, Qui survit un moment à l'honneur de son père.

D. Alonse. Sire, le comte est mort.

Don Diègue, par son fils, a vengé son offense.

Corneille.

La plupart des hommes, pour arriver à leurs fins, sont plus capables d'un grand effort que d'une longue persévérance; leur paresse ou leur inconstance leur fait perdre le fruit des meilleurs commencements; ils se laissent souvent devancer par d'autres qui sont partis après eux, et qui marchent lentement, mais constamment.

La Bruyère.

Rien ne sert de courir; il faut partir à point:
Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.

Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point
Sitôt que moi ce but.-Sitôt ! êtes-vous sage?
Repartit l'animal léger :

Ma commère, il faut vous purger
Avec quatre grains d'ellébore.—
Sage ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait; et de tous deux

On mit près du but les enjeux.
Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,
Ni de quel juge l'on convint.

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Notre lièvre n'avait que quatre pas à faire; J'entends de ceux qu'il fait lorsque, prêt d'être

atteint,

Il s'éloigne des chiens, les renvoie aux calendes, 15 Et leur fait arpenter les landes.

Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,

Pour dormir, et pour écouter

D'où vient le vent, il laisse la tortue

Aller son train de sénateur.

Elle part, elle s'évertue;

Elle se hâte avec lenteur.

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Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,

Croit qu'il y va de son honneur

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De partir tard. Il broute, il se repose;
Il s'amuse à tout autre chose

Qu'à la gageure. À la fin, quand il vit

Que l'autre touchait presque au bout de la carrière, Il partit comme un trait; mais les élans qu'il fit 30

Furent vains; la tortue arriva la première.
Eh bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison?
De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi l'emporter! Et que serait-ce,
Si vous portiez une maison ?

1. A point. A temps.

2. The hare and tortoise are my witnesses.

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3 et 8. Gager et parier sont synonymes. /Gager se rattache à gage, qui est une caution que l'on donne, une garantie./ Celui qui gage une chose s'oblige à la faire, et il s'y oblige en donnant une caution ou en déposant un objet qu'il perdra s'il ne réussit pas à faire la chose. Parier vient de PARIARE, lequel a pour racine PAR égal. PARIARE, c'est égaliser. Ceux qui parient mettent, l'un une somme pour soutenir qu'une chose se fera, l'autre une somme égale pour soutenir que la chose n'arrivera pas. Ces étymologies font voir que celui qui gage s'engage lui-même à faire une chose; il va être acteur dans l'affaire Mais ceux qui parient peuvent en être simplement spectateurs. Condillac fait une autre distinction; il dit: "La gageure porte plus sur la chose qu'on présume devoir être ou devoir arriver, et le pari sur la somme qu'on hasarde. Que gagez-vous? Quelle est votre gageure? signifie quelle est la proposition que vous avancez? Que pariez-vous ? Quel est votre pari? signifie quelle somme hasardez-vous pour soutenir votre proposition." | Ainsi dans gager il y a surtout une affirmation qu'on soutient, et dans parier il y a un gain ou une perte à faire.—La Fontaine a bien employé les deux mots, car la tortue gage d'abord, elle affirme qu'elle battra le lièvre à la course sans songer à risquer ni à gagner aucun argent, mais quand le lièvre la déclare folle, alors elle insiste et dit je parie, c'est-àdire, je suis prête à risquer un enjeu.

6. Commère. Celle et celui qui tiennent un enfant sur les fonts baptismaux s'appellent marraine et parrain, ou commère et compère. Il y a cette différence : l'enfant doit dire ma marraine et mon parrain; mais les parents de l'enfant et le compère disent

ma commère en parlant de cette femme ; celle-ci et les parents de l'enfant disent mon compère en parlant de cet homme./ Compère et commère sont devenus ensuite des termes d'amitié :/ bonjour, ma bonne commère. Cela n'a pas empêché de dire une méchante commère, car/commère signifie aussi une femme bavarde et médisante. De là le mot commérage (gossip)./Enfin les deux mots ont été appliqués par plaisanterie aux animaux, comme ici.

Il vous faut purger. Il faut vous purger (voir ix, 2).
Pray take your senses to restore

A grain or two of hellebore.

7. Ellebore. Plante beaucoup employée dans la médecine des anciens. On pensait qu'elle guérissait la folie. De là, nous

disons qu'un homme a besoin d'ellébore pour signifier que sa tête est troublée.

9 à 12.

"Twas done, the stakes were paid,

And near the goal-tree laid.

Of what, is not a question for this place,
Nor who it was that judged the race.

14. J'entends. Je veux dire quatre de ces pas qu'il fait, etc. Prêt. On écrirait aujourd'hui près d'être atteint. Au XVII' siècle, on disait pour signifier sur le point de, comme ici, prêt de aussi bien que près de.

15. "Aux calendes grecques. C'est-à-dire, il les renvoie à un temps qui ne peut arriver, puisque les Grecs ne comptaient pas par calendes. Les Romains appelaient ainsi le premier de chaque mois."-Walckenaër.

16. Arpenter. Proprement, mesurer la terre par arpents (un arpent était à peu près un tiers de hectare). Puis mesurer en général. / Mais en outre arpenter signifie au figuré aller à grands pas./Ainsi le lièvre fait courir à grands pas les chiens à travers les landes. Celles-ci sont des terrains incultes qui ne portent que des plantes de très-peu de valeur ou d'aucune valeur.

17. De reste. Il avait plus de temps qu'il ne lui en fallait. Il lui en restait pour brouter, etc.

20. Train de sénateur. Les sénateurs vont lentement, étant

personnages auxquels leur dignité et leur âge, avancé d'ordinaire, interdisent d'aller vite.

21. S'évertuer. C'est faire effort, s'efforcer, Il y a vertu dans ce mot, et vertu signifie, avant tout, lutte, combat, effort.

22. "C'est l'expression de l'empereur Auguste : FESTINA LENTE, hâtez-vous lentement."-Walckenaër.

32. Avais-je pas. Manière familière de parler, pour n'avais je pas?

34, 35. You're beat, and yet you must allow,

I bore my house upon my back.

Voir cette fable étudiée dans les Causeries avec mes élèves.

XXV.

L'ANE ET SES MAÎTRES (VI, 11).

D'où vient que personne en la vie
N'est satisfait de son état ?
Tel voudrait bien être soldat

À qui le soldat porte envie.

Certain renard voulut, dit-on,

Se faire loup. Eh! qui peut dire
Que pour le métier de mouton

Jamais aucun loup ne soupire ?

La Fontaine.

D'où vient, Mécène, que pas un homme ici-bas n'est content de la condition qu'il a choisie ou que le sort lui impose, et que chacun porte envie à la profession de son voisin ?" Les gens heureux, ces marchands!" se dit à lui-même le soldat courbé sous les années et brisé par la guerre."Ah! le beau métier, ce métier

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