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La mouche à la fourmi; faisant de cet ouvrage
Une ample comédie à cent actes divers,

Et dont la scène est l'univers.

Saint-Marc Girardin.

Les gens sans bruit sont dangereux;

Il n'en est pas ainsi des autres.

La Fontaine.

Il ne faut pas juger des hommes comme d'un tableau ou d'une figure, sur une seule et première vue; il y a un intérieur et un cœur qu'il faut approfondir.

La Bruyère.

Un souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.

Voici comme il conta l'aventure à sa mère:
J'avais franchi les monts qui bornent cet État,
Et trottais comme un jeune rat
Qui cherche à se donner carrière,

Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux:
L'un doux, bénin, et gracieux,

Et l'autre turbulent, et plein d'inquiétude ;
Il a la voix perçante et rude,

Sur la tête un morceau de chair,

Une sorte de bras dont il s'élève en l'air
Comme pour prendre sa volée,

La queue en panache étalée.

5

10

Or, c'était un cochet dont notre souriceau
Fit à sa mère le tableau

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Comme d'un animal venu de l'Amérique.

Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras,

Faisant tel bruit et tel fracas, Que moi, qui, grâce aux dieux, de

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pique, 20

En ai pris la fuite de peur,

Le maudissant de très-bon cœur.
Sans lui j'aurais fait connaissance

Avec cet animal qui m'a semblé si doux :
Il est velouté comme nous,

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Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.
Je le crois fort sympathisant

Avec messieurs les rats; car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

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Je l'allais aborder, quand d'un son plein d'éclat L'autre m'a fait prendre la fuite.

Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat,

Qui, sous son minois hypocrite,

Contre toute ta parenté

D'un malin vouloir est porté.
L'autre animal, tout au contraire,

Bien éloigné de nous mal faire,

Servira quelque jour peut-être à nos repas.

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Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cui

Garde-toi, tant que tu vivras,

De juger des gens sur la mine.

2. Dépourvu (voir i, 3).

sine. 40

3. Conter. Il est curieux que ce verbe ait la même origine que compter, le latin COMPUTARE calculer, compter. En anglais, vous

avez COUNT avec les deux significations aussi; il en était de même du vieux allemand qui avait ZELJAN; l'allemand moderne a ZÄHLEN compter, et ERZÄHLEN conter. Notre verbe raconter est formé de re et du vieux verbe ACCONTER. Comment distinguer la signification de conter de celle de raconter? Ils signifient tous deux faire un récit. Mais on conte surtout des fables, des histoires, pour amuser plutôt que pour instruire, On raconte pour instruire celui qui écoute, pour le renseigner. Il faut conter agréablement pour bien conter; il faut être exact, précis, quand on raconte. Une aventure se conte plutôt qu'elle ne se raconte. On peut bien conter l'histoire, mais alors on en rend le récit amusant, on ne se contente pas de l'exactitude; c'est ainsi qu'il faut conter aux enfants l'histoire de la patrie pour les y intéresser, et leur donner à la fois instruction et amusement. Il faut qu'on puisse dire de ces récits: PROSUNT ET DELECTANT.

6. Se donner carrière. C'est s'ouvrir un champ libre, se donner de l'espace, prendre du terrain pour y courir. La carrière est proprement un lieu fermé de barrières et disposé pour les courses de chevaux.

8. Bénin. Celui qui a de la bénignité, c'est-à-dire, dont le cœur est disposé à faire du bien aux autres.

9. Inquiétude. C'est le manque de repos. Ce mot est composé de IN et QUIES, repos. Un coq n'a pas de repos, il n'est jamais tranquille.

11. Un morceau de chair. La crête.

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14. And bore his plumy tail on high. Étalée (voir viii, 15).

19. Fracas. Gradation sur bruit. C'est un grand bruit qui ressemble au bruit d'une chose qu'on casse.

vient de fracasser: briser une chose en éclats.

En effet, fracas

21. En. De cela, c'est-à-dire, à cause de ce bruit et de ce fracas. 26. Longue queue. Il n'est pas longue queue, il a une longue queue. La rapidité de la description a empêché La Fontaine de changer de verbe. Sa phrase y gagne en charme.

31. Je l'allais aborder. J'allais l'aborder (voir ix, 2).

33. Doucet. Diminutif de doux. Ce mot se prend facilement en mauvaise part pour signifier plutôt celui qui fait le doux, que celui qui est doux réellement. Un tel doucet n'est doux qu'à la surface: un vrai chat que cet homine!

34. Minois. Un synonyme de mine, mais qui comme doucet se prend surtout en mauvaise part. L'adjectif hypocrite s'attache merveilleusement à ces deux mots.

36. Vouloir est un substantif verbal employé dans le sens de volonté.

Malin. Qui a de la malignité, comme bénin, qui a de la bénignité. Les mots latin MALE et BENE marquent le sens contraire des deux termes. La malignité est une disposition à nuire, à penser, à faire, à dire du mal. L'esprit malin par excellence, c'est Satan.

38. Mal faire. Il serait plus correct de dire: nous faire du mal.

Voir cette fable étudiée dans les Causeries avec mes élèves.

XXIV.

LE LIÈVRE ET LA TORTUE (VI, 10).

D. Rodrigue. À moi, comte, deux mots.

Le Comte.

D. Rodrigue.

Le Comte.

Parle.

Ôte-moi d'un doute.

Connais-tu bien don Diègue ?

D. Rodrigue.

Oui.

Parlons bas; écoute.

Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu,

La vaillance et l'honneur de son temps? le sais-tu ?

Le Comte. Peut-être.

D. Rodrigue. Cette ardeur que dans les yeux je porte, Sais-tu que c'est son sang? le sais-tu ?

Le Comte.

Que m'importe ?

D. Rodrigue. A quatre pas d'ici je te le fais savoir.
Le Comte. Jeune présomptueux.

D. Rodrigue.

Parle sans t'émouvoir. Je suis jeune, il est vrai; mais aux âmes bien nées/ La valeur n'attend pas le nombre des années. Le Comte. Te mesurer à moi ! qui t'a rendu si vain,

Toi qu'on n'a jamais vu les armes à la main ? D. Rodrigue. Mes pareils à deux fois ne se font pas

connaître,

Et pour leurs coups d'essai veulent des/coups de

Le Comte. Sais-tu bien qui je suis?
D. Rodrigue.

maître./

Oui; tout autre que moi Au seul bruit de ton nom pourrait trembler d'effroi. Les palmes dont je vois ta tête si couverte Semblent porter écrit le destin de ma perte. J'attaque en téméraire un bras toujours vainqueur ; Mais j'aurai trop de force ayant assez de cœur. À qui venge son père il n'est rien d'impossible. Ton bras est invaincu, mais non pas invincible. Le Comte. Ce grand cœur qui paraît au discours que tu

tiens,

Par tes yeux chaque jour se découvrait aux miens;
Et croyant voir en toi l'honneur de la Castille,
Mon âme avec plaisir te destinait ma fille.
Je sais ta passion, et suis ravi de voir
Que tous ses mouvements cèdent à ton devoir;
Qu'ils n'ont pas affaibli cette ardeur magnanime;
Que ta haute vertu répond à mon estime;
Et que, voulant pour gendre un cavalier parfait,
Je ne me trompais pas au choix que j'avais fait.

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