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lieu dans lequel il faut vous faire un passage, faire une ouverture, vous faire jour pour passer. Là, vous avez la liberté de passer, rien ne s'y oppose ici, vous trouvez de la résistance, il faut la forcer.

Il est constant que nous disons plutôt passer son épée au travers du corps, et passer à travers les champs. L'épée passe au travers du corps en le perçant d'outre en outre; et vous passez à travers les champs en les parcourant dans un sens d'un bout à l'autre.

Un espion passe habilement et adroitement à travers le camp ennemi, et se sauve. Le soldat se jette tout au travers d'un bataillon et l'enfonce.

Une liqueur passe à travers une chausse par les interstices que les fils laissent entre eux. La matière fulminante passe au travers des corps qui lui résistent et qu'elle renverse.

Ces deux locutions servent à distinguer deux acceptions différentes du verbe traverser, mais peut-être trouverait-on encore quelque différence entre traverser dans l'un ou dans l'autre sens, et passer à travers ou au travers. Ces deux manières de parler semblent ajouter au verbe une circonstance particulière, singulière, extraordinaire. Vous traversez la rivière en bac; c'est le chemin; vous passez à travers les champs; c'est une voie extraordinaire ou détournée que vous prenez. S'il faut de la force pour qu'un clou traverse une planche, ce n'en est pas moins une chose ordinaire; mais il y a quelque chose d'extraordinaire dans la violence qu'on fait en passant l'épée au travers du corps. (R.)

1331. Trébucher, Broncher.

Ces mots désignent l'accident de faire un faux pas. C'est en ce sens que trébucher est synonyme de broncher, qui ne se dit que des animaux, au lieu que trébucher se dit des choses, mais alors il signifie tomber.

On trébuche lorsqu'on perd l'équilibre et qu'on va tomber.

On bronche lorsqu'on fait un faux pas, qu'on cesse d'aller droit et ferme, pour avoir choppé, heurté contre un corps pointu ou éminent.

Celui qui n'a pas le pied ferme est sujet à trébucher; celui qui marche dans un mauvais chemin est sujet à broncher. Il ne faut qu'un petit caillou pour vous faire broncher: si vous perdez l'équilibre, vous trebuchez. On peut broncher et se redresser tout de suite: si l'on ne tombe pas en trébuchant, du moins on chancelle. (R.)

Au figuré, la même différence subsiste : qui bronche fait un faux pas; qui trébuche tombe tout à fait.

Jamais au bout du vers on ne te voit broncher. (BOILEAU.)

Leur venin qui sur moi brûle de s'épancher,

Tous les jours en marchant m'empêche de broncher. (IDEM.)
Et qui, voyant un fat s'applaudir d'un ouvrage

Où la droite raison trébuche à chaque page,

Ne s'écrie aussitôt : l'impertinent auteur! (IDEM.)

1332. Trépas, Mort, Décès.

Trépas est poétique, et emporte dans son idée le passage d'une vie à l'autre. Mort est du style ordinaire, et signitie précisément la cessation de vivre. Decès est d'un style plus recherché, tenant un peu de l'usage du palais, et marquant proprement le retranchement du nombre des mortels. Le second de ces mots se dit à l'égard de toutes sortes d'animaux, et les deux autres ne se disent qu'à l'égard de l'homme. Un trépas glorieux est préférable à une vie honteuse. La mort est le terme commun de tout ce qui est animé sur la terre. Toute succession n'est ouverte qu'au moment du décès.

Le trépas ne présente rien de laid à l'imagination; il peut même faire envisager quelque chose de gracieux dans l'éternité. Le décès ne fait naître que

l'idée d'une peine causée par la séparation des choses auxquelles on était attaché; mais la mort présente quelque chose de laid et d'affreux. (G.)

Le trépas est donc le passage de cette vie à une autre vie, le grand passage. La mort est l'extinction de la vie, la perte de tout sentiment. Le décès est la sortie hors de la vie, de la société de ce monde, la fin du cours ou de la carrière humaine.

II y a les trépassés et les morts : il y a aussi les défunts. C'est une excellente idée que celle de défunt. Ce mot signifie, à la lettre, qui s'est acquitté de la vie; de fungi, s'acquitter d'une charge, faire une fonction, fournir une carrière, remplir sa destination ou son devoir. Defungi désigne proprement l'action d'achever sa charge, de terminer sa carrière, de consommer sa destinée, mais surtout celle de se délivrer d'un onéreux fardeau. La charge de l'homme, sa charge par excellence, c'est la vie; le défunt s'en est acquitté.

Le défunt a vécu, il a rempli sa charge. Le trépassé vit encore, mais d'une vie nouvelle. Le mort n'est plus; il est cendre et poussière,

Malgré ces différences importantes, trépassé ne se dit presque plus, même dans le style religieux et ordinaire; il n'y a guère que le peuple qui dise encore défunt: il n'est plus question que de mort.

Le peuple dit plutôt défunt; le langage plus poli préfère feu. (R.)

1333. Très, Fort, Bien.

On se sert assez indifféremment de l'un ou de l'autre de ces trois mots pour marquer ce que les grammairiens nomment SUPERLATIF, c'est-à-dire le plus haut degré par exemple, on dit dans le même sens, très-sage, fort sage, bien sage. Il me parait cependant qu'il y a entre eux quelque petite différence en ce que le mot très marque précisément et clairement ce superlatif, sans mélange d'autre idée ni d'aucun sentiment; que le mot de fort le marque peut-être moins précisément, mais qu'il y ajoute une espèce d'affirmation, et que le mot de bien exprime de plus un sentiment d'admiration. Ainsi l'on dit: Dieu est très-juste, les hommes sont fort mauvais, la Providence est bien grande.

Outre cette différence, il y en a une autre plus sensible, ce me semble. c'est que très ne convient que dans le sens naturel et littéral; car, lorsqu'on dit d'un homme qu'il est très-sage, cela veut dire qu'il l'est véritablement, au lieu que fort et bien peuvent quelquefois être employés dans un sens ironique, avec cette différence que fort convient mieux lorsque l'ironie fait entendre qu'on pèche par défaut, et que bien est plus d'usage lorsque l'ironie fait entendre qu'on pèche par excès.

On dirait donc en raillant: C'est être fort sage que de quitter ce qu'on a pour courir après ce qu'on ne saurait avoir; et c'est être bien patient que de souffrir des coups de bâton sans en rendre. (G.)

Je crois que très n'est pas du tout incompatible avec l'ironie, et qu'il est même préférable à bien et à fort, en ce qu'il la marque moins. Lorsque fort et bien sont ironiques, il n'y a qu'une façon de les prononcer; et cette façon étant ironique elle-même, elle ne laisse rien à désirer à celui à qui on parle : très, au contraire, pouvant, quand il est ironique, se prononcer comme s'il ne l'était pas, enveloppe davantage la raillerie et laisse dans l'embarras celui qu'on raille. (Encyclopédie, II, 245.)

Très est le mot propre et consacré pour désigner le plus haut degré dans la comparaison. Fort n'indique qu'un haut degré indéfini, avec une sorte de surprise, sans marquer le plus haut ; mais il est en effet affirmatif. Bien est également un peu vague; il marque un assentiment d'approbation et d'improbation.

Vous dites qu'un homme est très-sage, pour fixer le degré de sa sagesse ; vous dites qu'il est fort sage, pour assurer qu'il l'est beaucoup; vous dites

qu'il est bien sage, pour exprimer votre approbation et votre satisfaction; vous diriez de même qu'il est bien sage, avec des sentiments contraires.

Très ne marque point d'autre intention que celle d'exprimer à quel point une chose est ou nous paraît être telle. Fort marque l'intention de communiquer aux autres l'impression forte que la chose a faite sur vous. Bien marque moins une intention l'effusion naturelle du sentiment qu'on éprouve. (R.) (Voir l'article Fort, Très.)

que

1334. Tromper, Décevoir, Abuser.

Tromper, c'est induire malicieusement dans l'erreur ou le faux ; décevoir, y engager par des moyens séduisants ou spécieux; abuser, y plonger par un abus odieux de ses forces et de la faiblesse d'autrui.

On vous trompe en vous donnant pour vrai ce qui est faux, pour bon ce qui est mauvais, et vous serez trompé tant que vous ne serez pas en garde contre les personnes et que vous ne voudrez pas connaître la valeur des choses. On vous déçoit en flattant vos goûts et en connivant à vos idées, et vous serez déçu tant que vous croirez facilement ce qui vous plaît et que légèrement vous vous attacherez à ce qui vous rit. On vous abuse en captivant votre esprit et en vous livrant à la séduction; vous serez abusé tant que vous n'apprendrez pas à douter et à craindre, et que vous vous abandonnerez vous-même sans savoir vous défendre.

On trompe tout le monde, et même beaucoup plus habile que soi; on déçoit les gens qui s'en rapportent aux apparences, qui voient facilement en beau, qui aiment à se flatter, qui abondent dans leur sens; on abuse les personnes faibles, crédules, vives, qui ne soupçonnent pas qu'on veuille les tromper, qui ne voudront pas croire qu'on les a trompées, qui se persuadent sans raison ce qu'on leur dit, qui se passionnent pour l'objet qu'on leur présente, les jeunes gens, le peuple, etc.

On trompe celui qui s'en laisse imposer, on déçoit celui qui se laisse capter, on abuse celui qui se laisse captiver. Il ne suffit pas d'être détrompé de ce qui nous tient au cœur, il faut en être désabusé. L'objet ne nous déçoit plus, mais nous sommes encore entrainés par notre penchant. (R.)

Tromper est le mot général. Il se dit des personnes et des choses. Les exemples mêmes de Roubaud montrent que ce sont les choses et non les personnes qui déçoivent; elles le font en présentant des apparences, belles et spécieuses, des promesses flatteuses.

Mais pour moi que l'éclat ne saurait décevoir. (BOILEAU.)

Déçu par la douceur apparente du repos qu'il crut trouver dans la solitude. (Bossuet.)

Mon Dieu! le plus souvent l'apparence déçoit,

Il ne faut pas juger toujours par ce qu'on voit. (MOLIÈRE.)

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Nos passions nous font prendre souvent

Pour chose véritable un objet décevant. (IDEM.)

Ai-je pu résister au charme décevant. (RACINE.).

Roubaud a très-bien défini abuser. Nous nous contenterons de donner quelques exemples qui confirment la distinction qu'il a établie entre ce mot et ses synonymes. Mais ici notre imagination nous abuse encore. (BOSSUET.) Nos sentiments et nos passions nous abusent (J.-J. ROUSSEAU.) Doux espoir qui nourrissait mon âme et m'abusait, te voilà donc éteint sans retour! (IDEM.). Je reconnus, mais trop tard, les chimères qui m'avaient abusé. (IDEM.) Une image trompeuse ne vient-elle pas abuser nos yeux? (FENELON.) Les vaines louanges dont on les avait abusés pendant leur vie. (MASSILLON.) Nos amis nous reprocheront leur bonne foi abusée. (IDEM.) La raison et les sens s'abusent réciproquement l'un l'autre. (PASCAL.) (V. F.)

1335. Troupe, Bande, Compagnie.

Plusieurs personnes jointes pour aller ensemble font la troupe. Plusieurs personnes séparées des autres pour se suivre et ne se point quitter, font la bande. Plusieurs personnes réunies par l'occupation, le plaisir ou l'intérêt, font la compagnie.

On dit une troupe de comédiens, une bande de voleurs, la compagnie des Indes.

Il n'est pas honnête de se separer de sa troupe pour faire bande à part; et il faut toujours prendre l'intérêt de la compagnie où l'on se trouve engagé. (G.)

M. Beauzée observe avec raison que ces termes s'appliquent aussi aux animaux on dit des troupes d'oies, d'insectes, des bandes d'étourneaux, des compagnies de perdrix. La troupe est nombreuse; la bande va par détachement et à la file; la compagnie vit ensemble et forme une sorte de famille. Les étourneaux ne paraissent guère qu'en troupes, et ils volent par bandes séparées.

Nous appelons troupes les gens de guerre en général. On dit les bandes prétoriennes, les vieilles bandes, espèces particulières de troupes qu'il s'agit de distinguer. Il y a dans les régiments des compagnies, divisions particulièrement destinées à agir ensemble sous un chef particulier. (R.)

Il faut réunir et compléter l'un par l'autre l'article de Girard et celui de Beauzée analysé par Roubaud.

La troupe est nombreuse. Ce mot a pour racine le latin turba, foule. Une troupe de nymphes, couronnées de fleurs, nageaient en foule derrière le char. (FÉNELON.) Les choucas volent en grandes troupes. (BUFFON.) Les martinets noirs. vont presque toujours par troupes. (IDEM.)

La bande est moins nombreuse que la troupe. Quand on est trop de personnes ensemble, on se sépare par bandes. (TRÉVOUx.) Au retour du printemps les hirondelles de mer, qui arrivent en grandes troupes sur nos côtes maritimes, se séparent en bandes. (BUFFON.)

Bande a signifié d'abord étendard, puis les soldats qui suivaient la même bande, le même drapeau. Il a gardé de son origine une idée d'ordre, d'arrangement. C'est ce que Beauzée exprime en disant que la bande va à la file. Ce mot a fait le verbe débander, mettre en désordre. Il n'a plus la noblesse que lui avaient conservée Bossuet et Corneille.

C'est toi que veut pour chef leur généreuse bande. (Corneille.)

L'armée ennemie est composée de ces vieilles bandes wallonnes, italiennes et espagnoles qu'on n'avait pu rompre jusqu'alors. (BoSSUET.) On dit une bande de voleurs, une bande de factieux; il est méprisant. Une troupe de voleurs, de factieux, serait respectable par le nombre. Le mépris dans lequel il est tombé a fait que, dans certaines expressions, bande a été remplacée par troupe.

— Monsieur, l'on vous demande;

C'est un comédien.-Parbleu, voici la bande.
-Dites troupe. L'on dit bande d'Égyptiens,

Et bande offenserait tous les comédiens. (Poisson.)

Troupe s'emploie dans le style le plus élevé. Toute la troupe sacrée des vertus qui brillaient autour de lui. (Bossuet.)

Beauzée dit très-bien que la compagnie vit ensemble et forme une sorte de famille. Dans nos climats septentrionaux, il était plus aisé de rencontrer une compagnie de loups qu'une société d'hommes. (VOLTAIRE.)

En parlant des comédiens, il a remplacé troupe, comme ce dernier a remplacé bande. Sachez qu'il ne faut pas dire la troupe, il faut dire la compagnie. On dit bien une troupe de bandits, une troupe de gueux, une troupe d'auteurs, mais apprenez qu'on doit dire une compagnie de comédiens. (LE SAGE.) Ce

pendant on dit fort bien une bonne, une mauvaise troupe, et dans ce sens on ne pourrait se servir du mot de compagnie. Dans cette acception, compagnie est plus poli; troupe est un mot plus général, plus simple et plus noble. (V.F.) 1336. Tumultueux, Tumultuaire.

Tumultu-eux, à la lettre, est plein de tumulte, tulmutu-aire, qui a rapport au tumulte. Tumultueux a deux sens : 1o qui excite beaucoup de tumulte; 20 qui se fait avec beaucoup de tumulte. Tumultuaire signifie seulement qui est fait dans le tumulte, comme en tumulte, avec précipitation, en grande hâte, sans ordre, contre les formes.

Les assemblées du peuple sont tumultucuses, et il prend des résolutions tumultuaires.

Nous appelons tumultueux, au propre et au figuré, de grands mouvements irréguliers, incertains, désordonnés. Les Romains appelaient tumultuaires des soldats, des armées, des chefs levés ou élus à la hâte, sur-le-champ, sans choix : ils disaient même dans le même esprit, un discours, une harangue tumul

tuaire.

Il y a des gens qui, à leurs mouvements tumultueux, paraissent toujours pressés de soins, et ils n'ont rien à faire. Il y en a qui sont si longtemps à délibérer de sang-froid sur ce qu'ils ont à faire qu'ils finissent par se déterminer tumultuairement. (R.)

.1337. Tuyau, Tube.

Ces mots sont synonymes, en ce qu'on désigne par l'un et par l'autre un cylindre creux en dedans, qui sert à donner passage à l'air où à tout autre fluide.

Ce qui les distingue, c'est que le premier se dit des cylindres préparés par la nature pour l'économie animale, ou par l'art pour le service de la société, et le second ne se dit guère que de ceux dont on se sert pour faire des observations et des expériences en physique, en astronomie, en anatomic.

Ainsi l'on appelle tuyaux les tiges cylindriques des plumes des oiseaux, celles du blé, du chanvre, et des autres plantes qui ont la tige creuse; les canaux cylindriques de fer, de plomb, de bois, de terre cuite, ou autre matière que l'on emploie à la conduite des eaux, des immondices, de la fumée, etc.; ceux d'étain ou de fer-blanc qui servent à la construction des orgues, des serinettes, etc.

Mais on appelle tubes, les tuyaux dont on construit les thermomètres, les baromètres, et autres qui servent aux expériences sur l'air et les autres fluides; ceux des lunettes à longue vue, des télescopes, etc. (B.)

Tube est un terme de science: tuyau est de l'usage ordinaire. Le physicien et l'astronome se servent de tubes : nous employons différentes sortes de tuyaux pour conduire les liquides. Le géomètre et le physicien considèrent les propriétés du tube; nous considérons l'utilité du tuyau. L'ingénieur en instruments de physique et de mathématiques fait des tubes : l'ouvrier en plomb, en fer, en maçonnerie, fait des tuyaux.

Le tube est en général un corps d'une telle figure. Le tuyau est plutôt un ouvrage propre pour tel usage. Ainsi nous dirons fort bien le tube, le cylindre d'un fusil, d'un canon et de tout autre corps dont il ne s'agira que de désigner la forme s'il est question d'un objet de telle forme, affecté à tel emploi, ce sera un tuyau dans le style ordinaire. (R.)

1338. Type, Modèle.

Type est un mot grec qui signifie proprement trace, vestige, empreinte, et, par une conséquence naturelle, figure, forme, image.

Du latin modus, mesure, règle, façon, manière, etc., est venu modèle, ce

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