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ne pouvaient lancer leurs javelots; et s'ils en lançaient quelques-uns, ils se rencontraient et s'entre-choquaient en l'air, de sorte que la plupart tombaient à terre sans effet. >>

« Lors donc que Jésus leur eut dit : c'est moi, ils furent renversés et tomberent par terre (1). » ANDRY DE BOISREGARD, Réflexions sur l'usage présent de la langue française, t. II.

1304. Tonnerre, Foudre.

L'usage vulgaire est d'attribuer au tonnerre les propriétés et les effets propres de la foudre; cependant il en est aussi essentiellement distingué que l'éclair. Le tonnerre fait le bruit, comme l'éclair la lumière: foudre exprime la matière, ses propriétés, ses effets. Le tonnerre est une explosion terrible qui se fait dans les airs; il tonne, quand la foudre éclate. La foudre est le feu du ciel, ce feu électrique qui éclate et s'éteint en jetant une vive lumière et avec un bruit étonnant.

La foudre (fulmen), dit Cicéron, est ce feu qui sort avec violence du sein des nuées, lorsqu'elles s'entre-choquent.

Un corps va vite comme la foudre un personnage redoutable est craint comme la foudre; un héros est un foudre de guerre.

Ainsi, au figuré, nous conservons à la foudre les caractères qu'au propre on attribue vulgairement au tonnerre. C'est le bruit qui frappe, effraye, consterne le peuple; et c'est le tonnerre qu'il redoute, qu'il fait tomber, qu'il voit frapper et détruire. Cette confusion n'a pas lieu au figuré. Nous disons que quelqu'un a une voix de tonnerre, pour désigner l'éclat de sa voix, et qu'un orateur lance les foudres de l'éloquence pour désigner la force, la véhémence et les effets de son discours. (R.)

1305. Tors, Tortu, Tordu, Tortué, Tortillé.

L'idée commune de ces mots est d'aller en tournant au lieu d'aller droit, ou de prendre, au lieu de la direction naturelle, une direction oblique ou détournée. Tordre signifie tourner en long et de biais.

On a dit autrefois, il m'a tors et mors le bras, pour tordu et mordu. Quoi qu'il en soit, tors est resté comme adjectif, et l'on dit fil tors, col tors, colonne torse, sucre tors, etc.

Cet adjectif indique simplement la direction d'un corps qui va en tournant en long et de biais, mais sans marquer un défaut dans la chose torse, quoique absolument cette direction puisse être défectueuse dans quelque objet. Ainsi ce mot, particulièrement affecté aux arts, sert à qualifier divers ouvrages tournés ou contournés en vis, en spirale. Cette direction est précisément celle qu'il convenait ou qu'il s'agissait de leur donner; aussi est-elle avantageuse dans le fil tors pour sa destination, et agréable dans la colonne torse. L'ancien usage s'est maintenu de dire col tors, jambes torses; mais dans ces cas-là même cette direction n'est qu'accidentellement un défaut que l'épithète n'exprime plus.

L'adjectif tortu emporte, au contraire, une idée de défaut ou de censure. corps est tortu, quand, au lieu d'être droit comme il devrait l'être, il est de travers, contrefait, mal tourné. Un homme contrefait ou fait de travers est

Un

tortu.

Un corps peut être ou naturellement ou accidentellement tortu. Mais il n'y a de tordu que ce qu'on a tordu de force, ou en changeant avec effort sa direction propre et naturelle. Le participe passif suppose l'action de tordre, et marque l'effet éprouvé par le sujet.

(4) Trad. du Nouv. Test., JOAN., XVIII, 6.

Comme le participe tordu exprime un rapport à l'action de tordre, ou à l'événement de se tordre, le participe tortué exprime de même un rapport à l'action de tortuer et à l'événement de se tortuer. Ce dernier verbe, bon à établir, signifie tourner en divers sens, fausser, courber, rebrousser des corps solides, qui par là se déforment, et qui conservent une direction contraire à leur destination. Vous tortuez une aiguille, la pointe d'un compas, une épingle, qui ne sont plus propres alors pour l'usage qu'on en fait.

Tortillé a également le rapport propre au participe. Tortiller signifie tordre à plusieurs tours plus ou moins serrés; et il se dit proprement des corps flexibles, faciles à plier. On tortille des fils, des cheveux, des brins d'osier, de la filasse, du papier, etc. Il y a donc un dessein et un objet particulier dans l'objet tortille, et ce mot, comme le mot tors, n'emporte pas un défaut.

Je pourrais ajouter à ces mots celui de tortueux dérivé de tortu, et celui d'entortillé, composé de tortillé.

Tortueux signifie ce qui fait beaucoup de tours et de retours, comme une rivière, un serpent, un chemin qui se détourne pour retourner sur lui-même. Entortille se dit des choses tournées autour d'une autre, entrelacées avec une autre, ou enveloppées dans une chose tortillée ou mêlée d'une manière confuse. (R.)

1306. Tort, Injure.

Le tort regarde particulièrement les biens et la réputation; il ravit ce qui est dû. L'injure regarde proprement les qualités personnelles; elle impute des défauts. Le premier nuit, la seconde offense.

Le zèle imprudent d'un ami fait quelquefois plus de tort que la colère d'un ennemi. La plus grande injure qu'on puisse faire à un honnête homme est de se défier de sa probité. (G.)

1307. Tort, Préjudice, Dommage, Détriment.

Le tort blesse le droit de celui à qui on le fait. Le préjudice nuit aux intérêts de celui à qui on le porte. Le dommage cause une perte à celui qui le souffre. Le détriment détériore la chose de celui qui le reçoit.

L'action injuste fait par elle-même le tort. L'action nuisible cause, par ses suites, le préjudice. L'action offensive porte avec elle le dommage. L'action maligne, en quelque sorte, opère, par contre-coup ou par des influences, le détriment.

Un privilége particulier qui prive une sorte de citoyens de l'exercice d'un droit, leur fait tort. Une nouvelle maison de commerce qui croise les autres et leur enlève des bénéfices par sa concurrence, leur porte préjudice, mais sans attenter au droit d'autrui. De quelque manière que vous opériez la perte, le dépérissement, la diminution d'une chose, vous faites ou vous causez du dommage. Une exemption particulière d'impôt tourne au détriment du peuple sur qui l'impôt est rejeté.

L'auteur du tort fait son bien ou se satisfait par le mal d'autrui. L'auteur du préjudice fait son affaire, dont il résulte quelque mal pour autrui. L'auteur du dommage fait une action qui fait le mal d'autrui. L'auteur du détriment fait une chose qui devient un mal pour autrui.

Nous disons proprement faire un tort, faire un dommage: or, cette locution suppose que c'est là son effet propre ou immédiat, direct, naturel. On dit plutôt faire une chose au préjudice, au détriment de quelqu'un or, cette expression n'indique qu'un effet ultérieur, plus ou moins éloigné, résultant seulement de l'action. Ainsi, l'on dit qu'une chose va, tend, tourne, aboutit au préjudice ou au détriment d'autrui, et non à son tort ou à son dommage. Ces deux premiers termes désignent donc une marche, une révolution, une succession d'effets qui aboutissent à un objet éloigné; tandis que le tort et le dommage annoncent l'objet ou l'effet propre de la chose.

Le tort se fait proprement aux personnes; et ce mot emporte une idée morale le dommage attaque directement les choses et rejaillit sur les personnes; l'idée de ce mot est physique. Ainsi, l'on fait tort à une personne dans ses biens, dans son honneur; et le dommage qu'on fait aux biens de quelqu'un lui fait un tort. L'idée de préjudice est plutôt morale, et celle de détriment est proprement physique; tout mauvais effet pour la personne est préjudice : le détriment est une altération et une dégradation; c'est un dommage opéré sur la chose et par relation sur la personne.

Par le dommage et le détriment on perd toujours la chose, ou partie de la chose ou de la valeur de la chose qu'on possédait; mais souvent par le tort ou le préjudice, on ne fait qu'empêcher quelqu'un d'acquérir ce qu'il aurait légitimement acquis sans cela.

Je sais que tort se dit souvent, par extension ou par abus, des dommages causés sans injustice ou même par des causes inanimées. On dit que la grêle a fait beaucoup de tort dans un canton on dit qu'un deuil de cour fait tort à certains marchands. Ces applications du mot indiquent seulement un effet semblable à celui d'un tort rigoureux. (R.)

1308. Total, Somme.

On appelle total ou somme le résultat de l'addition.

Il ne saurait y avoir de différence entre ces deux mots s'ils étaient également employés dans le langage technique de la science.

Ce qui fait leur différence c'est que total est employé dans l'usage commun, dans le style commercial, dans la tenue des livres, mais n'est que fort rarement usité dans le langage de la science.

Somme, au contraire appartient à la science.

Le négociant fait le total, le mathématicien la somme.

De là une différence nouvelle qui n'est que la conséquence de la première. Total ne se dit que des nombres, tandis que somme se dira de toutes sortes de quantités. La somme des angles d'un triangle est égale à deux droits. La somme des côtés, la somme des carrés, etc.

On ne fait pas le total, mais la somme d'une addition algébrique.

En mathématiques cependant on se sert quelquefois du mot total pour désigner le résultat définitif d'un certain nombre de sommes partielles, mais la différence indiquée n'en subsiste pas moins.

Total, n'appartenant pas à la langue des spéculations mathématiques, se rencontre plus souvent dans les écrivains qui traitent de sujets différents. L'accroissement des femmes, qui, dans le total, est moindre que celui des hommes, se fait aussi en même temps. (BUFFON.)

1309. Touchant, Pathétique.

V. F.

Le touchant est ce qui émeut l'âme d'une manière tendre en la frappant dans un endroit sensible: le pathétique est ce qui l'émeut par une suite de sentiments attendrissants.

Une chose peut être touchante pour une personne chez qui elle réveille d'anciennes émotions, et ne pas l'être pour une autre; le pathétique produit son effet sur toutes les personnes susceptibles d'attendrissement.

Le touchant s'insinue dans l'âme et la remplit de sentiments conformes à ses plus douces habitudes, et qu'elle aime à entretenir; le pathétique l'arrache à elle-même, à ses propres sentiments, la remue, la déchire et peut lui faire éprouver des sensations douloureuses on peut sourire d'un mouvement touchant; le pathétique fait pleurer un discours touchant attendrit en faveur d'un malheureux; un discours pathétique peut vaincre la colère d'un ennemi. Un mot peut être touchant; le pathétique se compose d'une abondance de sentiments qui demandent une expression un peu plus prolongée.

On peut être touchant par la seule simplicité ; le pathétique veut toute l'exubérance et, comme on l'a dit, le luxe de la douleur,

Ce qui est touchant peut élever l'âme et s'allier avec l'héroïsme; le pathétique l'amollit et ne la dispose qu'à la pitié: on est touché d'un courage qu'on admire; des plaintes douloureuses sont pathétiques.

Les anciens avaient plus que nous le pathétique qui résulte de l'expression des sentiments de la nature dans toute leur naïveté nous connaissons mieux ces effets touchants qui résultent de la force d'âme réunie à la sensibilité.

Le touchant peut résulter du simple exposé d'un sentiment attendrissant, noble ou généreux; le spectacle de la douleur est nécessaire pour produire le pathétique une narration pourra être touchante; mais pour que le pathétique s'y mêle, il faudra rendre présent à notre imagination le malheureux dont on nous entretient. (F. G.)

L'adjectif touchant désigne, comme toucher, ce qui excite la sensibilité; et l'adjectif pathétique désigne, comme émouvoir, ce qui excite la passion. Le pathétique produit des sentiments ou violents ou tendres: le touchant ne produit que des sentiments tendres et doux. Un discours pathétique vous inspire l'indignation comme la miséricorde. Un objet touchant ne vous inspire que de l'affection.

Pathétique ne se dit que du discours, des mouvements, des sons, des accents, du chant, des signes expressifs et capables d'émouvoir le cœur ou les passions: touchant se dit également des choses, des objets, des événements qui affectent le cœur de manière à l'intéresser. (R.)

1310. Toucher, Émouvoir.

Ces verbes ne se confondent, par une synonymie apparente, que quand ils expriment figurément l'action de causer une altération dans l'âme. Emouvoir signifie faire mouvoir, mettre en mouvement; on émeut les humeurs, les sens, les esprits. L'émotion est un mouvement d'agitation et de trouble: c'est ainsi que l'âme est émue. Toucher se prend dans l'acception d'atteindre et de frapper; et c'est à peu près dans ce sens qu'on touche l'âme.

L'action de toucher fait une impression dans l'âme : l'action d'émouvoir lui cause une agitation. L'impression produit l'agitation: ce qui vous touche, vous émeut; si vous êtes ému, vous avez été touché. L'orateur a pour objet d'émouvoir; et il emploie les moyens de toucher. Pour émouvoir l'âme, il faut la toucher, comme il faut toucher le corps pour le mouvoir.

Ce qui touche excite la sensibilité : ce qui émeut excite une passion. On est touché de pitié, de compassion, de repentir, etc.; on est ému de pitié, de peur, de colère, etc. On cherche à vous toucher pour vous attendrir, vous gagner, vous ramener : on vous émeut, même sans le chercher, et quelquefois en vous offensant, en vous irritant, en vous causant des mouvements fàcheux, défavorables. L'action d'émouvoir s'étend donc plus loin que celle de toucher. On est ému, et non pas touché de colère.

1311. Toucher, Manier.

On touche plus légèrement; on manie à pleine main.

On touche une colonne, pour savoir si elle est de marbre ou de bois. On manie une étoffe pour connaitre si elle a du corps et de la force.

Il y a du danger à toucher ce qui est fragile: il n'y a point de plaisir à manier ce qui est rude. (G.)

Toucher, c'est se mettre ou se trouver en contact avec un objet de quelque manière que ce soit. On ne touche pas seulement avec la main. On touche du pied, du bras, d'une baguette. (ACADÉMIE.)

Manier, c'est tenir à pleine main, garder, serrer dans ses mains, tourner dans tous les sens.

On peut toucher par mégarde, sans but déterminé. On manie, soit pour s'assurer de la qualité d'une chose : Manier un drap pour voir s'il est fin.

(ACADÉMIE.) On manie encore pour donner une forme à la matière. De là un sens que ne saurait prendre toucher: c'est employer habilement la matière. Ce serrurier manie le fer comme si c'était du plomb. (ACADÉMIE.) Ce sculpteur manie bien la terre, le marbre. (IDEM.) Et au figuré on manie les esprits, les caractères en les tournant, les conduisant, les pliant à son gré.

On touche d'un seul coup; il faut plus de temps pour manier. On touche en passant, on s'arrête pour manier. De là encore on dira manier pour les choses qu'on a l'habitude d'avoir dans les mains. Le paresseux qui n'ouvre jamais un livre, ne touche point aux livres;

Sacrés sont-ils car personne n'y touche.

L'homme laborieux qui lit beaucoup les manie. J'ai manié beaucoup de livres dans ma vie. (ACADÉMIE.)

Toucher veut dire plus particulièrement quelquefois ne faire qu'effleurer, passer rapidement sur une chose; manier veut dire précisément le contraire. Un auteur retouche un ouvrage en y faisant des corrections légères; s'il entreprend de le remanier, il change tout. (V. F.)

1312. Toujours, Continuellement.

Ce qu'on fait toujours se fait en tout temps et en toute occasion. Ce qu'on fait continuellement se fait sans interruption et sans relâche.

Il faut toujours préférer son devoir à son plaisir. Il est difficile d'être continuellement appliqué au travail.

Pour plaire en compagnie, il faut y parler toujours bien, mais non pas continuellement. (G.)

1313. Tour, Tournure.

Le tour donne la tournure; la chose reçoit la tournure donnée par le tour. La tournure est la forme qui reste à la chose tournée ou changée par un certain tour. Les mœurs prennent un certain tour, et il en résulte une habitude, une tournure particulière. Avec un tour d'imagination, on voit les choses comme on veut les voir avec une certaine tournure d'imagination, ou telle manière habituelle de voir, on est heureux ou malheureux dans toutes sortes de positions, quoi qu'il arrive.

Toute forme est un certain tour, mais la tournure annonce la forme caractéristique ou habituelle, la manière d'être ou l'état des choses.

Vous direz plutôt un tour de phrase, et la tournure du style.

Les formes ordinaires de la langue ne sont que des tours; mais j'appellerais plutôt tournures ces tours singuliers qui, contraires aux formes communes, et même contraires aux règles ou de l'analogie ou de la grammaire, mais reçus, servent, par leur singularité même et leur désordre grammatical, à donner plus de force à la couleur, plus de mouvement à la passion, plus de philosophie à l'arrangement des idées, plus de grâce à l'expression. (R.)

1314. Tour, Circonférence, Circuit.

Dans l'acception présente, le tour est la ligne qu'on décrit, ou l'espace qu'on parcourt en suivant la direction courbe des parties extérieures d'un corps ou d'une étendue, de manière à revenir au point d'où l'on était parti. La circonférence est la ligne courbe décrite ou formée par les parties d'un corps ou de l'espace, les plus éloignées du centre. Le circuit est la ligne ou le terme auquel aboutissent et dans lequel se renferment les parties d'un corps ou d'une étendue, en s'éloignant de la ligne droite ou en formant des tours, des détours, des retours.

Vous faites le tour de votre jardin; des remparts font le tour de la ville. Vous ne faites pas la circonférence d'un corps, mais le corps a sa circonférence; elle est marquée par l'extrémité de ses parties, de ses rayons. Vous ne faites pas le circuit de la chose; mais la chose fait un circuit dans lequel elle se

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