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Les rôles d'une pièce font l'intrigue, les personnages sont les caractères. Quand on juge les personnages d'une pièce, on emploie le mot role, soit pour exprimer la conduite qu'y tient tel personnage, soit, en parlant des caractères mêmes, pour en marquer le mérite au point de vue dramatique : Ce rôle me paraît d'autant plus admirable qu'il se trouve dans la seule tragédie où l'on pouvait l'introduire, et qu'il aurait été déplacé partout ailleurs. (VOLTAIRE.)

On dit ordinairement : il y a dans cette pièce un rôle de marquis, un rôle d'amoureux, un rôle de coquette, etc. Mais s'il s'agit de l'état même, de la qualité des personnages, c'est ce dernier mot qu'il vaudra mieux employer. Quoiqu'il y ait dans la pièce des personnages d'hommes, ces personnages n'ont pas laissé d'être représentés par des filles avec toute la bienséance de leur sexe. (RACINE.)

Quand il ne s'agit plus de comédie, je veux dire, du moins, quand le théâtre est le monde, ces différences subsistent.

Nous avons dit, en définissant personnage, que ce mot donnait toujours l'idée de la représentation. Le personnage, c'est l'extérieur, le rang, tout ce qui se voit, se remarque.

Sur le théâtre du monde, nous sommes tous acteurs; nous avons donc tous un rôle, et nous représentons un personnage qui est bas ou élevé, grand ou petit, noble ou ridicule. C'est votre fait de jouer le personnage qui vous est donné; mais le choisir, c'est le fait d'un autre. (PASCAL.)

Que vous jouez au monde un petit personnage. (Molière.)

Ces décorations si magnifiques, qui nous éblouissent et qui embellissent nos histoires, cachent souvent les personnages les plus vils et les plus vulgaires (MASSILLON). Agricola quittait le personnage et les airs du maître, dès qu'il avait achevé les fonctions de sa charge. (BOUHOURS.)

Notre role est non-seulement la place que nous tenons dans le monde, le bruit que nous y faisons, mais notre conduite même, nos rapports avec les autres. C'était autrefois le rôle des amants de souffrir et de faire les avances; les femmes à leur tour se sont chargées de ce role, dit La Bruyère, qui trouve qu'elles font un personnage ridicule. Combien de personnages différents joue un courtisan! (TRÉVOUX.) C'est son rôle.

L'esprit ne saurait jouer longtemps le personnage du cœur. (LA ROCHEFOUCAULD.) Il n'en joue jamais le role.

Role signifie même ce que l'on a à faire, le devoir ou encore l'influence qu'on exerce. Cet ambassadeur a bien joué son rôle dans les négociations dont on l'avait chargé. (ACADÉMIE.) Je ferai voir quel était le rôle du poëte lyrique. (MARMONTEL.) Le rôle des femmes; le rôle de la Providence.

Personnage montre tellement l'extérieur seul que l'on prend, que l'on feint un personnage. Cromwell faisait le docteur et le prophète, aussi bien que le soldat et le capitaine, mêlant ainsi mille personnages divers. (BossURT.)

Un dévot personnage (LA FONTAINE) n'est pas un vrai dévot. Qui joue le róle d'un traitre trahit. (V. F.)

1038. Pesanteur, Poids, Gravité.

La pesanteur est dans le corps une qualité qu'on sent et qu'on distingue par elle-même. Le poids est la mesure on le degré de cette qualité; on ne le connaît que par comparaison. La gravité est précisément la même chose que la pesanteur, avec un peu de mélange de l'idée du poids; c'est-à-dire qu'elle désigne une certaine mesure générale et indéfinie de pesanteur. Ce mot, pris dans le sens physique, est un terme dogmatique de science, qui n'est guère d'usage que dans l'occasion où l'on parle d'équilibre, et lorsqu'on le joint avec le mot de CENTRE: ainsi l'on dit que pour mettre un corps dans l'équilibre, il

faut trouver le centre de gravité; mais on s'en sert plus fréquemment au figuré, lorsqu'il s'agit de mœurs et de manières.

On dit absolument, et dans un sens indéfini, qu'une chose a de la pesanteur; mais on dit relativement et d'une manière déterminée, qu'elle est d'un tel poids; de deux livres, par exemple, de trois, de quatre, etc.

Mille raisons prouvent la pesanteur de l'air, et le mercure en marque le poids.

Au siècle d'Aristote, la pesanteur des corps était une qualité occulte qui les faisait tendre vers leur centre; et de notre temps, elle est une impulsion ou un mouvement inconnu qui les envoie dans les places que la nature leur a assignées. Le poids seul a d'abord réglé la valeur des monnaies; ensuite l'autorité les a fait valoir par l'empreinte du coin.

Dans le sens figuré, la pesanteur se prend en mauvaise part; elle est alors une qualité opposée à celle qui provient de la pénétration, de la vivacité de l'esprit. Le poids s'y prend en bonne part; il s'applique à cette sorte de mérite qui naît de l'habileté jointe à un extérieur réservé, et qui procure à celui qui le possède du crédit et de l'autorité sur l'esprit des autres.

Rien n'est si propre à délivrer l'esprit de la pesanteur naturelle que le commerce des dames et de la cour. La réputation donne plus de poids, chez le commun du peuple, que le vrai mérite.

L'étude du cabinet rend savant, et la réflexion rend sage; mais l'une et l'autre émoussent quelquefois la vivacité de l'esprit, et le font paraître pesant dans la conversation, quoiqu'il pense finement. (G.)

1039. Pestilent, Pestilentiel, Pestilentieux, Pestiféré.

Pestilent, qui tient de la peste, du caractère de peste, qui est contagieux. Pestilentiel, qui est infecté de la peste, qui est propre à répandre la contagion. Pestilentieux, qui est tout infecté et tout infect de peste, qui est pour répandre de tous côtés la contagion. Pestiféré, qui produit, porte, communique, répand partout la peste, la contagion.

Une chose est pestilente, qui peut exciter ou communiquer un venin : on dit une fièvre pestilente, un souffle pestilent, un air pestilent, etc. Cicéron oppose les lieux pestilents aux lieux salubres : leur infection peut causer ou communiquer la contagion.

Pestilentiel tient à pestilence, et pestilence marque le règne de la peste, une contagion établie, une influence épidémique. Des maladies pestilentielles, comme les fièvres malignes et les petites-véroles pourprées, sont propres à engendrer de funestes épidémies : des exhalaisons ou des vapeurs pestilentielles sont les miasmes ou les émanations propres de la corruption, de la contagion, ce qui les distingue fortement des vapeurs pestilentes.

De tous ces mots, celui de pestilentiel nous est le plus familier.

Pestilentieux marque, par sa finale, la force, l'activité, l'opiniâtreté de la contagion mais ce mot, adopté dans le dernier Dictionnaire de l'Académie, n'est pas usité; et s'il est quelquefois employé, il paraît, par les citations de l'Académie, que c'est dans un sens religieux ou moral. Ainsi on dira des discours pestilentieux, des sentiments pestilentieux, une doctrine pestilentieuse.

Dans notre langue, pestifère est un terme dialectique, comme somnifère, mortifère, etc. Une odeur pestifère, une vapeur pestifere, communique, apporte en effet la peste, la contagion, l'épidémie. (R.)

1040. Pétulance, Turbulence, Vivacité.

La pétulance est une vivacité impétueuse; la turbulence une vivacité désordonnée.

La vivacité se porte promptement à ce qu'elle désire, la pétulance s'y porte

brusquement et impétueusement; la turbulence ne veut et ne désire que le mouvement, le bruit et l'agitation.

La vivacité dans les actions est le contraire de la lenteur; la pétulance indique le manque de réflexion; la turbulence le manque d'idées et le besoin de

mouvement.

Un homme, à tout âge, une femme peuvent avoir de la vivacité; la pétulance n'est permise qu'à un jeune homme; la turbulence n'est supportable que dans un enfant.

La vivacité est toujours agréable; la pétulance quelquefois effrayante; la turbulence toujours importune.

On a de la vivacité dans l'esprit, dans le caractère, comme dans les actions; la pétulance ne se montre que dans les mouvements; la turbulence est un mouvement perpétuel sans règle et sans but.

La vivacité peut être le caractère naturel d'une nation. Des peuples turbulents peuvent ne devoir leur inquiétnde qu'à un défaut de police, à une situation pénible ou à un mauvais gouvernement. La pétulance, qui se manifeste par un mouvement brusque et spontané, ne peut appartenir qu'aux individus. (F. G.)

1041. Peu, Guère.

Peu est l'opposé de beaucoup; et guère en devient une forte négation. S'il n'y a guère d'une chose, non-seulement il n'y en a pas beaucoup, mais il n'y en a pas assez, il n'y en a pas ce qu'il faut; il y en a trop peu, fort peu; il n'y en a presque point. L'usage est parfaitement conforme à cette observation.

Mais je dois remarquer d'abord que peu affirme positivement la petite quantité, et que guère ne fait que l'indiquer ou la supposer. Peu détermine une petite quantité; et dès lors il convient au ton positif, à l'assertion formelle, à l'opinion décidée. Guère ne détermine rien sur la petite quantité; et dès lors il laisse nécessairement un doute et quelque chose de vague dans l'idée de peu. A la vérité, dès qu'il exclut la quantité, il laisse bien peu de chose.

Qui ne voit guère, dit La Fontaine, n'a guère à dire ce n'est pas à dire que qui sait peu parle peu. Savoir peu et parler peu expriment l'opposition formelle à beaucoup; ne voir guère, n'avoir guère à dire, indique l'idée vague de pas grand chose; mais l'esprit invite, par cette manière de parler, à diminuer l'objet, le réduit presque à rien, comme on le verra par d'autres exemples.

Un homme qui a peu d'argent en a, et peut-être assez un homme qui n'en a guère, en manque ou en manquera. Vous demandez d'un plat, peu; mais si l'on ne vous en sert pas assez, vous trouvez qu'il n'y en a guère, qu'il y en a trop peu, bien peu. Vous rencontrerez mille exemples semblables, où guère indique une quantité insuffisante, tandis que peu ne marque que la petite quantité, sans accessoire.

Il y a différents degrés de peu bien peu, fort peu, trop peu, très-peu, tant soit peu, si peu que rien. Il n'en est pas ainsi de guère, il désigne le peu comme indivisible: il exclut donc naturellement, par son emploi négatif, tout ce qu'il peut exclure, et il ne laisse du peu que ce qu'il est obligé d'en laisser, le moins. Avec peu, on fait quelquefois beaucoup: avec trop peu, on ne fait guère, on ne fait pas grand'chose.

Peu, qui comporte des degrés de comparaison, ne se place pas devant des comparatifs ou des termes de comparaison: or c'est précisément le contraire de son synonyme. On dit qu'une personne n'est guère mieux, ou guère meilleure qu'une autre; et il faudrait dire qu'elle est, non pas peu, mais substantivement, un peu mieux, un peu meilleure qu'une autre. Or il est évident qu'un peu marque une différence sensible, un jugement positif, une quantité certaine; au lieu que guère n'indique alors qu'une quantité insensible, un jugement douteux, une différence insensible ou si légère, qu'on n'en fait pas cas.

S'il n'y a guère moins de probabilité pour une opinion que pour une autre, elles sont presque également probables; s'il y en a un peu plus pour celle-là que pour celle-ci, elles le sont inégaleinent. Ainsi guère dit ordinairement moins, ou marque moins de grandeur et de quantité que peu.

Aussi l'Académie observe-t-elle que guère se met souvent pour presque, presque point, comme quand ce mot est suivi d'un que. Par exemple, il n'y a guère que lui qui fût capable de faire cela; c'est-à-dire il est presque le seul, peutêtre le seul homme capable de le faire; s'il y en a d'autres, il y en a fort peu. Enfin, il est très-ordinaire d'employer le mot guère pour adoucir la force et modérer l'énergie de la négation absolue pas ou point, par un air d'exception ou de doute. Ainsi, pour ne pas dire sèchement qu'une femme est laide, vous dites qu'elle n'est guère jolie; et vous diriez qu'elle n'est pas fort jolie, pour dire qu'elle l'est peu ou qu'elle ne l'est que peu. (R.)

1042. Peur, Frayeur, Terreur.

Ces trois expressions marquent par gradation les divers états de l'âme, plus ou moins troublée par la vue de quelque danger. Si cette vue est vive et subite, elle cause la peur; si elle est plus frappante et réfléchie, elle produit la frayeur; si elle abat notre esprit, c'est la terreur.

La peur est souvent un faible de la machine pour le soin de sa conservation, dans l'idée qu'il y a du péril. La frayeur est un trouble plus grand, plus frappant, plus persévérant. La terreur est une passion accablante de l'âme, causée par la présence réelle, ou par l'idée très-forte d'un grand péril.

Pyrrhus eut moins de peur des forces de la république romaine que d'admiration pour ses procédés. Attila faisait un trafic continuel de la frayeur des Romains; mais Julien, par sa sagesse, sa constance, son économie, sa valeur, et une suite perpétuelle d'actions héroïques, rechasse les Barbares des frontières de son empire; et la terreur que son nom leur inspirait les contint tant qu'il vécut.

Dans la peur qu'Auguste eut toujours devant les yeux d'éprouver le sort de son prédécesseur, il ne songea qu'à s'éloigner de sa conduite: voilà la clef de toute la vie d'Octave.

On lit qu'après la bataille de Cannes la frayeur fut extrême dans Rome : mais il n'en est pas de la consternation d'un peuple libre et belliqueux, qui trouve toujours des ressources dans son courage, comme de celle d'un peuple esclave, qui ne sent que sa faiblesse.

On ne saurait exprimer la terreur que répandit César lorsqu'il passa le Rubicon; Pompée lui-même, éperdu, ne sut que fuir, abandonner l'Italie, et gagner promptement la mer. (Encycl., XII, 480.)

La peur est une passion. La peur est de toutes les passions celle qui jette l'âme dans de plus grands troubles. (SAINT-ÉVREMOND.)

.... La plus forte passion

C'est la peur..... (LA FONTAINE.)

Il est des gens qui sont naturellement disposés à la peur; ce sont les peureux, les poltrons; et ils s'en corrigent difficilement.

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Peur est en ce sens synonyme de crainte et de lâcheté. Mais peur se dit aussi d'un mouvement subit et involontaire, d'une impression reçue. C'est en ce sens qu'il est synonyme de frayeur. L'article de l'Encyclopédie se contredit pour ne pas faire cette distinction. En effet, après avoir dit que la peur est causée par la vue vive et subite d'un danger, il donne comme exemple la peur qu'Auguste eut toujours devant les yeux.

Peur a toujours trait à ce qui se passe au-dedans de nous. C'est une sensation. Ce mot n'indique ni la cause, ni l'effet du trouble intérieur que l'on

éprouve, mais les mots qui l'accompagnent déterminent quelquefois cette cause et cet effet. La peur de la mort; une grande peur; mourir de peur.

La frayeur n'est pas seulement une peur plus grande. Ce mot peint le désordre causé par la peur : le saisissement, le refroidissement. Son courage épuisé succombe, son sang se glace de frayeur. (MARMONTEL.) On a la frayeur peinte sur le visage.

Calmez, reine, calmez la frayeur qui vous presse,

dit Assuérus à Esther, qui tombe évanouie en sa présence.

Que ne peut la frayeur sur l'esprit des mortels? (RACINE.)

La frayeur lui aura fait voir ces hommes plus grands et plus forts que luimême et il leur aura donné le nom de géants. (J.-J. ROUSSEAU.)

La terreur montre surtout la cause qui la produit. Souvent il s'emploie activement. On dit, en parlant d'un conquérant, la terreur de ses armes, de son nom. La terreur de cette situation et le grand nom de Corneille couvrent ici tous les défauts. (VOLTAIRE.) Il s'emploie aussi mieux que les deux autres en parlant d'une manière générale ou d'un grand nombre de gens. Il se répand autour des trônes certaines terreurs qui empêchent de parler aux rois avec liberté. (FLÉCHIER.)

Et ces profonds respects que la terreur inspire. (Racine.)
Un mal qui répand la terreur. (LA FONTAINE.)

La terreur et la désertion se répandent dans les rangs ennemis. (Bossuet.)
Et ses sons et leurs cris dont son camp étonné

Ont répandu le trouble et la terreur subite
Dont Gédéon frappa le fier Madianite. (RAÇINE.)

On oppose la peur à la réalité du mal. On a souvent plus de peur que de mal. On en est quitte pour la peur.

On dit une terreur salutaire. Il y a des gens qu'il est bon de faire trembler. Dans le camp du grand Condé on ne connaît point les vaines terreurs qui fatiguent et rebutent plus que les véritables. (Bossuet.)

Repoussez une injuste terreur. (Racine.)

Terreur panique.

La peur saisit, glace (RACINE); la frayeur fait frissonner, trembler; la terreur accable. (V. F.)

1043. Piquant, Poignant.

Piquer signifie percer dans, entamer légèrement avec une pointe, faire par ce moyen un petit trou: la piqúre est plus ou moins légère; elle ne fait qu'une petite ouverture; elle ne pénètre pas très-avant dans un corps épais et gros. Nous disons poindre, plutôt dans le sens de percer, paraître, commencer à luire comme le jour, ou à pousser comme les herbes, quand on n'en voit qu'une petite pointe, que dans le sens littéral de piquer. Cependant on dit en proverbe poignez vilain, il vous oindra; oignez vilain, il vous poindra; mais, dans cet exemple, le mot ne désigne que vaguement l'action de faire du mal ou de la peine. Il faut donc consulter ses dérivés; or, ces dérivés désignent quelque chose de très-piquant, très-perçant, très-aigu, plus ou moins profond et douloureux. Ainsi la ponction n'est pas une simple piqure; la componction est une vive douleur; un poignard est une arme cruelle, et qui cause une grande douleur, etc.

Poignant dit donc plus que piquant. Un point de côté vous poind et ne vous pique pas; il vous cause une vive douleur avec des élancements, comme si l'on donnait des coups de lancette, et non de petits coups d'épingle. Une injure poignante pique jusqu'au vif, perce jusqu'au cœur. L'envie la plus brûlante et

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