Page images
PDF
EPUB

formes de la poésie antique, et au premier rang l'ode et l'épopée. Malheureusement il porta dans ces œuvres le même principe d'imitation que dans les innovations linguistiques, et ce système se trouva encore plus faux ici. Il créa ses poëmes comme la Genèse crée l'homme il fit en premier lieu le corps, se réservant d'y souffler ensuite une âme vivante. Ce n'est pas ainsi que procède la vraie poésie: elle produit un germe vivant qui rayonne au dehors et projette lui-même sa forme. Les odes de Ronsard ressemblent à ces panoplies de nos musées qui présentent à nos yeux l'armure complète d'un héros antique casque, cuirasse, brassards, bouclier, rien n'y manque, que le guerrier qui doit s'en revêtir. Ce n'est pas qu'il y ait chez le poëte absence d'enthousiasme il y a seulement solution de continuité entre la forme et la pensée, l'une n'est pas l'effet direct et immédiat de l'autre si l'inspiration donne l'idée, la mémoire seule. produit l'expression. Le sentiment se glace par cette inquiète imitation des grands maîtres. Il faut à Ronsard, non pas un modèle, mais un calque dont il puisse suivre scrupuleusement les lignes. Sa pensée même la plus vraie, au lieu de suivre sa pente naturelle et de se creuser un lit sinueux, s'emprisonne dans le marbre antique où jaillissaient autrefois les eaux d'Horace et de Virgile.

:

Imiter ainsi les anciens c'est un moyen sûr de ne pas leur ressembler. « Je rirais, dit La Bruyère, d'un homme qui voudrait sérieusement parler mon ton de voix, ou me ressembler de visage. » Ronsard, épris de l'antiquité, voulut faire table rase des mœurs, des croyances, des sentiments modernes; il entreprit de faire passer de nouveau tout un siècle, toute une littérature, tout un ensemble de traditions à cet Olympe resplendissant et sensuel du paganisme. C'était jeter à une nation un défi trop audacieux. Un peuple peut à toute force apprendre une langue nouvelle, encore avec quelle lenteur! il ne saurait changer de mœurs, d'histoire et de climat.

Cependant il y avait quelque chose de si légitime dans la renaissance des idées antiques; il était si bien dans la destinée du XVIe siècle de renouer la chaîne de la tradition

gréco-latine, que le nom de Ronsard devint l'objet d'une idolâtrie dont rien aujourd'hui ne peut nous donner l'idée. La gloire seule de Voltaire, cette longue et merveilleuse royauté du génie, renouvela de pareils hommages. Les rois et les princes rivalisaient à le combler de leurs faveurs; les savants les plus célèbres, les esprits les plus judicieux, les Scaliger, les Lambin, les de Thou, les L'Hôpital voient dans Ronsard le miracle du siècle. Pasquier ne fait nul triage. dans ses œuvres car, dit-il, « tout est admirable en lui. » Montaigne déclare sans hésiter la poésie française arrivée à sa perfection, et Ronsard égal aux anciens. Enfin le Tasse, venu à Paris en 1571, s'estimait heureux de lui être présenté et d'obtenir son approbation pour les premiers chants de sa Jérusalem. Comment expliquer cette longue erreur de tout un siècle et des esprits les plus illustres? A dire vrai, l'erreur n'existait pas, ou elle n'était, comme bien des erreurs, qu'une vérité incomplète. L'admiration pour Ronsard, c'était la joie très-légitime de voir enfin le français devenir une langue littéraire, ne plus balbutier des pensées faibles quoique naïves, mais s'élever, comme les langues anciennes et comme l'italien moderne, à l'expression des idées générales qui forment l'héritage glorieux de l'humanité. L'idiome de Clément Marot était enfin mis hors de page: le poëte devenait un homme et presque un citoyen: il allait redire les nobles pensées qui avaient agité le forum et l'agora, les vers harmonieux dont avaient retenti les rivages de la Grèce. Quel patriotique orgueil pour les savants de cette époque, de lire enfin en français ce qui les avait si longtemps charmés dans Virgile et dans Tibulle! Ce que l'imitation imparfaite ne disait pas, la mémoire partiale des lecteurs y suppléait ils adoraient la vraie splendeur de la poésie antique à travers les haillons prétentieux de Ronsard.

D'ailleurs, aujourd'hui même, malgré le changement de la langue, ne retrouvons-nous pas encore de quoi justifier l'estime? dans le genre grave et héroïque, les Odes, la Franciade, les Discours ne présentent-ils pas de loin en loin des traits d'une beauté durable? N'est-ce pas Ronsard qui s'adressait ainsi à l'Éternité?

O grande Eternité,

Tu maintiens l'univers en tranquille unité.
De chaînons enlacés les siècles tu rattaches,
Et couvé dans ton sein tout le monde tu caches....
En parlant à tes dieux qui ton trône environnent,
Ta bouche ne dit pas : « Il fut ou il sera.... »

Le temps présent tout seul à tes pieds se repose.

N'est-ce pas lui qui écrivait à Charles IX encore enfant?

Sire, ce n'est pas tout que d'être roi de France;
Il faut que la vertu couronne votre enfance.
Un roi sans la vertu porte le sceptre en vain,
Qui ne lui sert sinon de fardeau dans la main'.

Mais c'est surtout dans la poésie légère que Ronsard possède un incontestable mérite. Ici, content d'être lui-même, il n'emprunte à l'antiquité que l'analogie de ses images. C'est comme un parfum lointain et d'autant plus doux, qui s'exhale au milieu des idées personnelles du poëte. Tantôt il écrit à sa dame :

Hier vous souvient-il qu'assis auprès de vous,

Je contemplais vos yeux si cruels et si doux!

Tantôt il l'engage à descendre dans un riant parterre :

Mignonne, allons voir si la rose

Qui ce matin avait déclose

Sa robe de pourpre au soleil,

4. Ajoutons en passant, puisque nous avons nommé ce coupable mais intéressant prince, que quelque temps après il répondit à Ronsard, avec une précision plus élégante encore:

« L'art de faire des vers, dût-on s'en indigner,
Doit être à plus haut prix que celui de régner.
Tous deux également nous portons la couronne :
Mais roi, je la reçus, poëte, tu la donne.
Ton esprit enflammé d'une céleste ardeur
Éclate par soi-même et moi par ma grandeur.
Si du côté des dieux je cherche l'avantage,
Ronsard est leur ami, si je suis leur image.
Ta lyre, qui ravit par de si doux accords,
Te soumet les esprits dont je n'ai que les corps,
Elle t'en rend le maître, et te sait introduire
Où le plus fier tyran n'a jamais eu d'empire.
Elle amollit les cœurs et soumet la beauté.
Je puis donner la mort; toi, l'immortalité ! »
Pourquoi Charles IX a-t-il fait autre chose que des vers?

A point perdu, cette vêprée,
Les plis de sa robe pourpree

Et son teint au vôtre pareil....

Ailleurs il s'écrie avec plus de charme qu'Horace1

Le temps s'en va, le temps s'en va, ma dame!
Las! le temps, non : mais nous nous en allons'.

Ou bien, par un retour d'une mélancolie touchante,

Avant le soir (dit-il) se clora ma journée!

C'est encore toute la grâce de Marot avec plus d'éclat et de gravité.

[ocr errors]

Ronsard avait été chef d'école au collége; devenu célèbre et admiré de tous, les disciples ne lui manquèrent point. Nul alors, nous dit Pasquier, ne mettait la main à la plume qui ne le célébrât par ses vers. Sitôt que les jeunes gens s'étaient frottés à sa robe, ils se faisoient accroire d'être devenus poëtes. » Parmi ses nombreux partisans, le poëte choisit une compagnie d'élite qu'on nomma d'abord la brigade, et bientôt après la Pléiade, par un souvenir érudit des poëtes alexandrins. Il y plaça auprès de lui six poëtes, Joachim du Bellay, Antoine de Baïf, Amadis Jamyn, Belleau, Jodelle et Ponthus de Thiard. Nous ne nous arrêterons point sur ces noms, malgré le talent de plusieurs des hommes. qui les ont portés. Tous reflètent à divers degrés et avec des modifications nombreuses les mérites et les défauts du maître. Nous devons un souvenir à Baïf pour la tentative hardie et infructueuse par laquelle il essaya d'assujettir notre versification aux règles métriques de la poésie ancienne. Le vers baïfin, scandé comme l'hexamètre latin, ne put s'acclimater même dans l'atmosphère de la Renaissance. Cette imitation matérielle de l'antiquité était l'exagération extrême du système de Ronsard; après le calque du style, c'était le calque du rhythme au delà il ne restait plus qu'à écrire en grec ou en latin.

4. Livre II, ode XIV:

Eheu! fugaces, Postume, Postume,
Labuntur anni!

Jodelle ; renaissance du théâtre.

Un autre membre de la Pléiade se distingua par un essai plus sérieux, et dont l'influence a été bien plus durable. Jodelle entreprit de ressusciter le théâtre des anciens. Ce jeune et intéressant poëte, qui mourut à vingt-deux ans d'une disgrâce royale, comme Racine, était doué d'une facilité extrême. « Quoiqu'il n'eût mis l'œil aux bons livres comme les autres, dit Pasquier, si est-ce qu'en lui y avoit un naturel émerveillable. Et de fait ceux qui de ce temps-là jugeoient des coups, disoient que Ronsard étoit le premier des poëtes, mais que Jodelle en étoit le démon. Rien ne sembloit lui être impossible où il employoit son esprit. » Lui-même en était persuadé : « Un jour il lui advint de me dire que si un Ronsard avoit le dessus d'un Jodelle le matin, l'aprèsdînée Jodelle l'emporteroit de Ronsard. » Il prodiguait son esprit en pièces fugitives, qu'il ne se donnoit point la peine de recueillir, et qui moururent avec lui. Ses œuvres dramatiques, quoique moins bonnes peut-être, sont une date dans l'histoire littéraire. Déjà plusieurs traductions avaient fait passer dans notre langue l'Andrienne de Térence, l'Hécube d'Euripide, l'Electre de Sophocle: Ronsard encore écolier avait traduit en 1549 le Plutus d'Aristophane. Enfin en 1552 Jodelle hasarda sur la scène une tragédie, non pas traduite mais imitée des anciens cette imitation était alors une gloire. La Cléopâtre, avec une comédie du même auteur, la Rencontre, fut représentée « devant le roi Henri II à Paris en l'hôtel de Reims, avec un grand applaudissement de toute la compagnie; et depuis encore au collège de Boncour, où toutes les fenêtres étoient tapissées d'une infinité de personnages d'honneur, et la cour si pleine d'écoliers que les portes du collége en regorgeoient. Je le dis comme celui qui y étoit présent, avec le grand Turnebus en une même chambre, et les entreparleurs étoient tous hommes de nom. Remi Belleau et Jean de La Péruse jouaient les principaux rollets 1.» Jodelle lui-même représentait Cléopâtre. Quelle

1 Pasquier, Recherches, 1. VII, ch. vI.

« PreviousContinue »