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Nouvelle du XVIe siècle est un récit complétement local et individuel, qui repousse toute idée d'enseignement. Elle appartient à ce qu'on appelle aujourd'hui la littérature facile, et si, par sa couleur, sa liberté, ses contrastes de gaieté folâtre et de sanglantes intrigues elle reproduit à son insu l'image des mœurs contemporaines, elle est complétement étrangère à la pensée, aux travaux, à la vie intellectuelle de l'époque. Despériers était, avec moins de talent, le Clément Marot de la prose.

La littérature française ne pouvait se condamner à chanter éternellement la grâce d'un doux nenni, ou à raconter sans fin de frivoles fictions. Nous avons vu les hommes de pensée et les hommes d'action agiter de bien autres problèmes; il fallait que la forme littéraire, la parole considérée comme un art, s'élevât à la même hauteur.

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Du Belley, Ronsard et la Pléiade.

Vers le milieu du xvi siècle, un jeune gentilhomme vendômois, page du duc d'Orléans, Pierre de Ronsard', forcé par une surdité précoce de renoncer à la cour, s'enferma, avec le jeune Baïf, son ami, avec Remi Belleau et Antoine Muret, dans un collége dont le savant Daurat venait d'être nommé principal. Une nouvelle ambition s'était emparée du jeune Ronsard c'était de faire passer dans la langue vul

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4. Né le 14 septembre 1524, et non, comme on l'a dit, le jour de la bataille de Pavie (24 février 1525). De Thou s'est donc entièrement trompé en présentant la naissance de ce poëte comme un dédommagement que la fortune donnait ce jour même à la France.

gaire toute la majesté d'expression et de pensée qu'il admirait chez les anciens. Il communiqua à ses nouveaux condisciples son projet et son enthousiasme. Tous se mirent à l'œuvre avec un admirable courage. « Ronsard, dit son biographe, ayant été nourri jeune à la cour et dans l'habitude de veiller tard, demeuroit à l'étude sur les livres jusqu'à deux ou trois heures après minuit, et en se couchant il réveillait le jeune Baïf, qui, se levant et prenant la chandelle, ne laissoit pas refroidir la place. » Cette forte discipline, cette laborieuse préparation dura sept années entières. Déjà la renommée de ces savants travaux commençait à se répandre au dehors; déjà, signe certain des dispositions et de l'attente du public, on saluait complaisamment Ronsard du surnom d'Homère, de Virgile, quand parut le manifeste de la nouvelle école. Joachim du Bellay en était l'auteur1.

Il commençait par réhabiliter la langue française, jusquelà dédaignée par les savants, et par montrer que son avenir pouvait compenser la faiblesse de son passé. « Nos ancêtres, disait-il, nous ont laissé notre langue si pauvre et si nue qu'elle a besoin des ornements et, s'il faut parler ainsi, des plumes d'autrui. Mais qui voudroit dire que la grecque et romaine eussent toujours été en l'excellence qu'on les a vues an temps d'Horace et de Démosthène, de Virgile et de Cicéron?... Notre langue commence encore à fleurir, sans fructifier cela certainement non pour le défaut de sa nature.... mais par la faute de ceux qui l'ont eue en garde. Par quel moyen peut-on hâter son développement? par l'imitation des anciens. « Traduire n'est pas un moyen suffisant pour élever notre vulgaire à l'égal des plus fameuses langues. Que faut-il donc ? imiter! imiter les Romains comme ils ont fait les Grecs,comme Cicéron a imité Démosthène et Virgile Homère.... Il faut transformer en soi les meilleurs auteurs, et après les avoir digérés, les convertir en sang et en nourriture. »

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Au second livre de l'Illustration, ce n'est plus seulement

1. Défense et illustration de la langue françoise, par I. D. BA (Joachim du Bellay). Paris, 1549. Le privilége est daté de 1548.

de la langue et du style poétique qu'il s'agit, du Bellay aborde hardiment la question, et avoue l'intention de renverser la vieille littérature française pour y substituer les formes antiques. «< Marot me plaît, dit quelqu'un, parce qu'il est facile et ne s'éloigne pas de la commune manière de parler.... Quant à moi, j'ai toujours estimé notre poésie françoise être capable de quelque plus haut et merveilleux style que celui dont nous nous sommes si longuement contentés....

«Lis donc et relis premièrement, ô poëte futur, les exemplaires grecs et latins: puis me laisse toutes ces vieilles poésies françoises aux jeux floraux de Toulouse et au puy de Rouen; comme rondeaux, ballades, virelais, chants royaux, chansons et autres telles épiceries qui corrompent le goût de notre langue et ne servent sinon à porter témoignage de notre ignorance. Jette-toi à ces plaisantes épigrammes.... à l'imitation d'un Martial; si la lasciveté ne te plaît, mêle le profitable avec le doux; distille avec un style coulant et non scabreux de tendres élégies, à l'exemple d'un Ovide, d'un Tibulle et d'un Properce.... Chante-moi de ces odes inconnues encore de la langue françoise, d'un luth bien accordé au son de la lyre grecque et romaine, et qu'il n'y ait rien où n'apparoisse quelque vestige de rare et antique érudition.... »

L'Italie moderne était admise avec l'antiquité aux honneurs de l'imitation. « Sonne-moi, ajoutait plus bas le théoricien de la nouvelle école, ces beaux sonnets, non moins docte que plaisante invention italienne, pour lesquels tu as Pétrarque et quelques modernes Italiens. >>

Du Bellay concluait son programme par un appel où le mélange d'un enthousiasme vrai avec une série bizarre d'allusions érudites, caractérise assez l'esprit des jeunes réformateurs.« Or nous voici, grâce à Dieu, après beaucoup de périls et de flots étrangers, rentrés au port à sûreté. Nous avons échappé du milieu des Grecs; et, au travers des escadrons romains, pénétré jusqu'au sein de la France, tant désirée France. Là donc, François, marchez courageusement vers cette superbe cité romaine, et de ses serves dépouilles ornez vos temples et autels. Ne craignez plus ces oies

criardes, ce fier Manlie et ce traître Camille, qui sous ombre de bonne foi vous surprennent tout nus comptant la rançon du Capitole. Donnez en cette Grèce menteresse, et y semez encore un coup la fameuse nation des Gallo-Grecs. Pillezmoi sans conscience les sacrés trésors de ce temple delphique, ainsi que vous avez fait autrefois, et ne craignez plus ce muet Apollon et ses faux oracles. Vous souvienne de votre ancienne Marseille, seconde Athènes, et de votre Hercule gallique, tirant les peuples après lui par leurs oreilles, avec une chaîne attachée à sa langue.

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Toute la réforme littéraire du XVIe siècle était dans la Défense et Illustration. Elle se résume en deux points essentiels ennoblir la langue, par l'infusion des mots et des images empruntés aux langues antiques; ennoblir la poésie, par l'introduction des genres usités par les anciens.

Du Bellay avait rédigé le programme, Ronsard fut le premier et le plus hardi à le remplir. D'abord il essaya de créer d'un seul jet une langue poétique. Pour cela il puisa sans ménagement aux sources grecques et latines. Souvent Ronsard prend un mot purement latin qu'il déguise sous une terminaison française: ailleurs ce sont deux mots déjà connus qu'il unit en composition, à la manière des Grecs : quelquefois, par une tentative plus ingénieuse, il pratique ce qu'il appelle le provignement des vieux mots, comme le faisaient les Grecs, comme les Allemands l'ont fait si heureusement depuis. De verve il crée verver, vervement; de pays, payser; de feu, fouer, fouement. Il veut aussi qu'on emprunte aux divers patois de la France, où dans sa préoccupation classique il voit autant de dialectes, tous les mots nécessaires à l'expression de la pensée. C'était ériger en loi la licence de Montaigne. Toutefois l'instinct si français de l'unité perce encore au milieu de ce dangereux conseil. « Aujourd'hui, dit-il, pour ce que notre France n'obéit qu'à un seul roi, nous sommes contraints, si nous voulons parvenir à quelque honneur, de parler son langage. »

Ce qu'il y a de plus remarquable dans ces travaux de création, c'est le moyen que donne Ronsard pour former une classe de termes nobles, une langue illustre, aulique,

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comme disait Dante. C'est de la noblesse des idées qu'il fait dériver celle du langage: il veut qu'on emprunte des mots à la profession des armes, à la guerre, à la chasse. Mais s'il subordonne les termes fournis par les habitudes populaires, loin de les proscrire, il conseille au poëte de les étudier. « Tu pratiqueras avec soin, lui dit-il, les artisans de tous métiers, comme de marine.... orfévres, fondeurs, maréchaux; et de là tireras maintes belles comparaisons. » Lui-même, dit son biographe, « ne dédaignait d'aller aux boutiques des artisans et pratiquer toutes sortes de métiers pour apprendre leurs termes. »>

Il est aisé de sourire aujourd'hui du contraste que présente avec la langue noble que nous écrivons, cette langue improvisée par un homme. Mais il n'est guère moins facile de comprendre que ce contraste ne pouvait exister pour les contemporains de Ronsard. Cet idiome n'avait donc rien de ridicule pour eux; ils n'en durent apercevoir que la richesse : la différence qui le séparait du langage parlé était toute à son avantage. La connaissance du latin, si répandue alors, servait de lexique pour l'entendre; les lettrés surent même bon gré au poëte des innovations qui exigeaient leur perspicacité pour être parfaitement comprises. La haute poésie devenait ainsi un langage d'initiés, cher à quiconque n'était point du profane vulgaire. Mais, avec toute son audace, Ronsard luttait contre l'impossible. Les langues ne se font pas en un jour. Ce sont des terrains d'alluvion créés par le temps, de hautes pyramides auxquelles chaque jour apporte sa pierre en passant. Le peuple français en grandissant se fit à lui-même sa langue, en ennoblissant ses idées, comme le prescrivait Ronsard, il ennoblit progressivement leur expression; et cinquante ans plus tard, la tige populaire de Marot s'épanouissait naturellement sous la main de Malherbe, à côté des fleurs artificielles de Ronsard, déjà ternies et poudreuses.

Une seule chose aurait pu consolider sa révolution grammaticale: une œuvre immortelle, qui, comme celle de Dante, eût fait vivre sa langue avec ses idées. Ronsard le comprit et essaya de l'accomplir. Il introduisit en France toutes les

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