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Pendant le siége de Paris et la famine qui l'accompagna, ce furent encore les prédicateurs qui soutinrent le courage du peuple. Leur éloquence mérita le bel éloge que Pline décernait à l'orateur romain: Te dicente, alimenta sua abdicaverunt tribus! « Ces orateurs, dit un contemporain, charmoient en quelque façon la langue pour se plaindre, et l'estomac pour aboyer après le pain 1. »

Toutefois ces résultats merveilleux ne doivent pas nous donner une idée trop haute des moyens oratoires destinés à les obtenir; chez un peuple grossier, la vulgarité du langage, l'impudeur des invectives est souvent un moyen de succès. L'éloquence peut être alors un pouvoir, mais elle n'est point encore une littérature. Pour entrer dans le domaine de l'art, elle doit non-seulement émouvoir les cœurs, mais encore élever les âmes jusqu'à la vue calme et sereine de la vérité.

Quelquefois la verve triviale des orateurs de la Ligue trouvait quelque trait d'esprit au milieu de ses grossièretés trop fréquentes. Boucher faisait ainsi le portrait de Henri III:

« Ce teigneux est toujours coiffé à la turque d'un turban, lequel on ne lui a jamais vu ôter, même en communiant; et quand ce malheureux hypocrite faisoit semblant d'aller contre les reistres, il avait un habit d'Allemand fourré et des crochets d'argent, qui signifioient la bonne intelligence et accord qui étoient entre lui et ces diables noirs empistolés. Bref, c'est un Turc par la tête, un Allemand par le corps, une harpie par les mains, un Anglois par la jarretière, un Polonais par les pieds, et un vrai diable en l'âme. »

Ce ton vif, pénétrant, familier, revient souvent chez ce prédicateur. Veut-il mettre en doute la sincérité de la conversion du Béarnais : « On l'a vu, dit-il, en une même heure huguenot, et en la même catholique! et puis le voilà à la messe! et sonne le tambourin! Vive le roi ! » Ailleurs, dirigeant au même but un trait plus sérieusement lancé, il

1. Mathieu, Histoire de France, t. II, p. 44.

2. Allusion à la fuite du roi de Pologne, quittant précipitamment ses États. 3. Sermons de la simulée conversion et nullité de l'absolution de Henri de Bourbon. Paris, Chaudière 4594. Réimprimés à Douai, 1594.

oppose éloquemment la pompe militaire de l'abjuration à l'humilité qui convient à un pénitent. « Quelle cendre? s'écriet-il, quelle haire? quels jeûnes? quelles larmes? quels soupirs? quelle nudité de pieds? quels frappements de poitrine ? quel visage baissé ? quelle humilité de prières ? quelle prostration par terre en signe de pénitence? Les gens de guerre embâtonnés, les fifres, les tambours sonnant, l'artillerie et escopetterie, les trompettes et clairons, la grande suite de gentilshommes, les demoiselles parées, la délicatesse du pénitent, appuyé sur le col d'un mignon, pour le grand chemin qu'il y avait à faire, environ cinquante pas, depuis la porte de l'abbaye jusqu'à la porte de l'église; la risée qu'il fit, regardant en haut, avec un bouffon qui étoit à la fenêtre : « En veux-tu pas être?» Le dais, l'appui, les oreillers, les tapis semés de fleurs de lis, l'adoration faite par les prélats à celui qui se doit soumettre et humilier devant eux, sont les traits de cette pénitence.

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Voici le jugement que porte sur le style de ce chef des ligueurs parisiens, type des orateurs sacrés de cette époque, un jeune et spirituel écrivain, qui en a fait l'objet d'une étude approfondie':

- Son style est un style de transition. Sa phrase est longue, savante, périodique, chargée d'incises et de retours, n'évitant pas l'expression franche, attrapant souvent l'expression pittoresque à la manière du xvIe siècle; mais aussi elle est déjà pleine d'images prétentieuses, elle vise au bel esprit, comme dans les homélies de Godeau, comme au temps de l'hôtel de Rambouillet. Boucher procède volontiers par énumération et par apostrophes. Il y a chez lui un certain souffle abondant, une certaine verve amère, une certaine plénitude verbeuse, qui devaient séduire les imaginations faciles de ce temps. Ces citations entremêlées de l'histoire profane et de la Bible, cette succession incohérente d'anecdotes, de plaisanteries, de périodes solennelles, et enfin, si l'on peut dire, ce cliquetis perpétuel de l'érudition du rhé

4. Ch. Labitte, dans son curieux et intéressant ouvrage de la Démocratie chez les prédicateurs de la Ligue, où nous avons puisé la plus grande partie des détails qui précèdent.

teur, n'étaient pas sans charme à une époque confuse qui n'avait pas même le pressentiment de ce goût sobre et sévère dont les écrivains de Louis XIV allaient trouver le secret. »

CHAPITRE XXV.

PAMPHLETS ET MÉMOIRES AU XVIa SIÈCLE.

PAMPHLETS CALVINISTES. — PAMPHLETS POLITIQUES; SATIRE MÉNIPPÉE. L'HISTORIEN DE THOU.

MÉMOIRES.

Pamphlets calvinistes.

La chaire des ligueurs n'avait fait qu'appliquer d'une manière plus ou moins heureuse les anciens procédés de l'éloquence; le xvIe siècle éleva aux passions oratoires une tribune inconnue à l'antiquité et mille fois plus retentissante il créa le pamphlet. Mélange admirable du discours et du livre, le pamphlet est la voix du moment, l'idée de chaque jour il naît et étincelle au choc de l'événement: c'est l'improvisation de la presse. Répandu à flots dans un peuple, il franchit les distances inabordables à la voix et se fait un seul forum d'une vaste contrée : c'est la vraie harangue des nations modernes. Le pamphlet est déjà le journal, moins la puissance créée par la répétition quotidienne des doctrines, mais aussi moins la régularité monotone des publications. Plus rare, il est mieux écouté il arrive par accident et à l'improviste : c'est un journal qui ne paraît que quand il a quelque chose à dire. On comprend que de pareilles compositions doivent en général être peu littéraires par la forme. Ce sont des actions plutôt que des écrits. Mais aussi c'est là qu'il faut aller chercher les passions des partis, la racine des faits, la pensée intime des hommes. Ces légères feuilles recèlent la vie d'une époque, surprise tout à coup par l'immobilité qui en perpétue l'image; pareilles à ces merveilleuses peintures tracées par la lumière même, où

l'action fugitive, arrêtée pour ainsi dire au passage, demeure à jamais fixée sur une lame fragile. Les pamphlets du xvIe siècle nous révèlent la véritable physionomie des factions rivales qui s'y choquaient. On y voit le protestantisme, grave et supérieur par la pensée et par le style, surtout au début de la lutte, donner à ses publications légères quelque chose de l'austérité pesante d'une dissertation. Henri Étienne ouvre la marche avec son Apologie d'Hérodote, où le pamphlet ne s'avoue pas encore, mais se dissimule malignement sous le masque de l'érudition. Viennent ensuite la Gaule Française (Franco-Gallia) de François Hottman, espèce de Contrat social du xvI° siècle, livre habile et érudit, où pour la première fois les doctrines démocratiques sont appliquées à notre histoire nationale, et où l'écrivain avec une grande verve de paradoxe, justifie le droit populaire par la tradition, comme remontant au berceau même de la monarchie française; les Réclamations contre les tyrans (Vindiciæ contra tyrannos) d'Hubert Languet, agression violente, mais théorique, contre la royauté. Dans ces ouvrages la langue et le style sont ceux de l'érudition: nous touchons encore à Bodin et à La Boétie. Mais peu à peu le pamphlet s'accélère dans sa marche, comme une pierre dans sa chute. Nous lisons l'Épitre au tigre de la France, espèce de catilinaire contre le cardinal de Lorraine; la France - Turquie; le Discours merveilleux de la vie, actions et déportements de la reine Catherine de Médicis; les Apophthegmes, ou discours notables recueillis de divers auteurs contre la tyrannie et les tyrans; le Réveil-matin des Français et de leurs voisins; le Discours des jugements de Dieu contre les tyrans; le Politique, dialogue traitant de la puissance, autorité et devoir des princes, des divers gouvernements, jusques où l'on doit supporter la tyrannie; si, en une oppression extréme, il est loisible aux sujets de prendre les armes pour défendre leur vie et leur liberté; quand, comment, par qui et par quel moyen cela se peut faire. Ces inspirations de la Némésis calviniste s'élèvent souvent à une âpre et éloquente énergie; chaque ligne semble écrite à la pointe du glaive, avec le sang des martyrs. Toutefois il ne faut pas se laisser prendre à l'apparence et ne voir

dans les pamphlets protestants qu'un essor de la démocratie. Ils recèlent un singulier alliage des idées aristocratiques et des sentiments populaires. Le calvinisme tentait, dans un intérêt passager, d'unir l'esprit féodal aux passions démagogiques, comme la Ligue essaya ensuite d'y associer l'esprit sacerdotal. L'aristocratie était le but, la démocratie le prétexte 1.

Le parti catholique saisit entre les mains de ses ennemis le drapeau populaire et le défendit avec plus de fureur. Le principe de la Ligue c'est la démocratie sous la tutelle de l'Église les membres les plus acharnés, les plus sincères de l'Union, voulaient, selon l'expression de Palma Cayet, réduire l'Etat de France en une république soumise au pape. Mais cette pensée se complique de vingt éléments étrangers. Les pamphlets ligueurs ondoient sans cesse au souffle des intérêts espagnols, lorrains et autres toutes ces tendances diverses se mêlent, s'agitent, s'entravent, se réduisent à l'impuissance leurs écrits renferment peu d'idées et beaucoup de passions. On y voit d'abord sous mille formes l'apologie infâme de la Saint-Barthélemy. On ne saurait lire sans horreur même les titres de tous ces pamphlets qui semblent écrits avec de la boue et du sang par des massacreurs ivres, mélange de fureurs stupides et de bouffonneries de charnier'. Plus tard nous retrouvons chez les pamphlétaires catholiques des noms déjà connus parmi les prédicateurs, Launay, Rose, Guenebrard. Le fameux Boucher se faisait tour à tour pédant et bateleur il publiait en latin un long traité Sur la juste abdication de Henri III, et en français un écrit populaire sur La vie et faits notables de Henri de Valois tout au long, sans en rien requérir, où sont contenues les trahisons, perfidies, sacriléges, exactions, cruautés et hontes de cet hypocrite et apostat. Mais traité et pamphlet se confondent quelquefois par le ton c'est dans le traité qu'il épuise les

:

1. La plupart de ces pamphlets se trouvent dans les tomes II et III des Memoires de l'Etat de France sous Charles IX. On peut en voir l'analyse dans Ch. Labitte, de la Démocratie chez les prédicateurs de la Ligue.

2. La plupart sont réunis dans les recueils de L'Étoile, vol. no 2, manuscrits de la Bibliothèque nationale. Un des plus répandus, le Deluge des Huguenots, a été imprimé dans le tome VII des Archives curieuses (H. Martin, Histoire de France, i. X, p. 389).

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