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donne aux fidèles de haïr les réprouvés, « afin de se conformer à la volonté de Dieu qui les damne! » C'est la religion de la haine entée sur la loi d'amour, sur l'Évangile, comme une plante empoisonnée qui s'enlace aux rameaux de l'arbre de vie1. Quelque antipathique que fût cette doctrine au bon sens de notre nation, elle prospéra toutefois chez nous aux dépens du lutheranisme, et absorba tout le mouvement de la réforme. Prêchée en France, par un Français, dans un langage clair et logique, noble et populaire à la fois, elle dut faire de nombreux prosélytes parmi les chrétiens mécontents. D'ailleurs le génie essentiellement unitaire de la nation. répugnait au fractionnement des sectes protestantes, et les esprits qui se séparèrent de l'Église catholique préférèrent, parmi les Églises réformées, celle qui, par son organisation, leur offrait encore une espèce de catholicisme.

Ignace de Loyola et les jésuites.

En face des illogiques ou stériles négations de la réforme, il restait au catholicisme un noble rôle à remplir : défendre la continuité de la tradition religieuse, revendiquer le dogme de la liberté morale, sauvegarder les droits du sentiment et de l'imagination dans le culte, enfin lutter contre cette force dissolvante qui brisait le lien de la famille européenne : cette œuvre catholique ne pouvait pas être accomplie, comme celle du protestantisme, par des efforts individuels, isolés, contradictoires; une milice nouvelle, disciplinée, obéissante, devait marcher à ce seul but sous la direction d'un seul chef. Ce fut un jeune gentilhomme castillan, aussi ardent, aussi passionné, aussi chevaleresque que Calvin était froid et sec, don Iñigo Lopez de Recalde y Loyola. Nourri de la lecture des Amadis, Ignace avait reçu le dernier reflet de la mystique chevalerie de Saint-Graal. Blessé au siége de Pampelune (1521), il quitta les romans pour les légendes. Son imagination changea d'objet sans changer de caractère. Il devint chevalier de la sainte Vierge, fit pour elle la Veille des armes, et prit l'habit d'ermite au Mont-Serrat. Ce pre

1. H. Martin, Histoire de France, t. IX, p. 308.

mier élan de dévotion mystique devait bientôt, sans disparaître, s'allier à des idées plus positives. Les races néo-latines sont surtout destinées à l'action; le sens pratique ne les abandonne pas au milieu des accès mêmes de l'enthousiasme. A l'âge de trente-six ans, Ignace de Loyola vint à Paris, au retour d'un pèlerinage à Jérusalem 1; il s'assit pendant sept ans, magnanime écolier, sur les bancs de la vieille université scolastique. Enfin, l'étudiant devint fondateur d'ordre. Le chevaleresque officier créa une société à jamais célèbre, qu'on n'a point accusée d'imprudence et d'irréflexion. C'était spécialement contre la nouvelle hérésie que s'organisait la compagnie nouvelle. Ignace était luimême l'antithèse vivante de Calvin et de Luther. A la sécheresse de l'un il opposait son ardeur, son imagination d'artiste et de mystique; l'inquisition le soupçonna d'abord d'être affilié aux illuminés; aux tendances toutes personnelles de l'autre, à ses vagues aspirations de liberté, Ignace répondait par une soumission sans réserve à l'Église, par l'habitude de l'obéissance érigée en vertu, par l'abdication complète de toute volonté personnelle entre les mains d'un supérieur. La compagnie de Jésus porta dans sa littérature l'empreinte de ce double caractère. D'un côté ses œuvres se distinguèrent par une élégance recherchée et mondaine, mais un peu contrainte et maniérée. De l'autre elle produisit peu d'individualités marquantes, mais exerça une immense influence collective. Pareil au démon de l'Evangile, le jésuite n'a pas de nom propre : il s'appelle Légion.

C'est à Paris, dans l'église de l'abbaye de Montmartre, que, le jour de l'Assomption 1533, Ignace de Loyola et ses cinq compagnons fondèrent la société qui devait être la dernière et la plus puissante des milices du catholicisme. L'Allemagne avait lancé l'attaque: la France l'avait systématisée. L'Espagne produisit la défense la France encore la mûrit dans son sein. Du nord et du midi partaient les croyances rivales qui devaient lutter dans cette arène de toutes les idées.

1. H. Martin, Histoire de France, t. IX, p. 308.

Le premier accueil de la France dut encourager les novateurs. Les lettrés surtout leur étaient favorables; la Réforme ne semblait être que l'expression populaire de la Renaissance. La Sorbonne fulminait contre les nouvelles opinions; elles eurent pour elles tous les ennemis de la Sorbonne, tous ceux qui détestaient son intolérance ou méprisaient son pédantisme. Le palais de François Ier s'ouvrit aux idées de Luther, comme à toutes les idées nouvelles. Il fut de bon ton de paraître les accepter. Marguerite, sœur du roi, aimable et savante princesse, s'y attacha d'une manière durable. Louise de Savoie elle-même y fut quelque temps favorable. Le roi, peu fait pour entendre les discussions théologiques, et qui plus tard persécuta les calvinistes par instinct de despote et par calcul diplomatique, ne voyait d'abord dans la Réforme que l'occasion de se moquer des moines et des sorbonistes. Le petit monde littéraire, qui avait pour centre la cour, semblait coalisé contre les vieux défenseurs de l'Église. Les uns adoptaient plus ou moins les dogmes luthériens, comme Berquin, Roussel, les deux Cop, Robert Estienne, Lefèvre d'Étaples, Jules-César Scaliger; les autres, comme Rabelais, Étienne Dolet et Bonaventure Despériers, n'embrassaient point la Réforme, parce qu'ils allaient sans doute au delà; quelques-uns, comme Budé, du Châtel, du Bellay, restaient catholiques, mais tolérants. Les courtisans, prompts à recevoir le mot d'ordre du maître, et dont l'opinion ne décide pas le triomphe d'une idée, mais le manifeste, affichaient le calvinisme comme une mode. En se promenant le soir au Pré-aux-Clercs, ils chantaient les. psaumes français de Clément Marot. Enfin les protestants avaient gagné la nouvelle maîtresse du roi, Mlle d'Heilli, depuis duchesse d'Étampes, la plus belle des savantes, et la plus savante des belles.

Toutes les chances paraissaient donc en faveur de la religion réformée; mais elle avait contre elle quelque chose de plus puissant qu'une cour, de plus durable qu'une mode : le génie national de la France. La France, en admettant la réforme, eût constitué comme l'Angleterre une Église nationale, isolée au sein de l'Europe. Elle eût renoncé à cette

grande idée de république chrétienne qui a rempli le passé, et qui veille encore aux portes de l'avenir. Le peuple de l'unité, le peuple qui relie entre elles toutes les régions de l'Occident, ne pouvait se laisser entraîner par la réaction exclusive du nord, ni rompre avec les nations du midi, avec la race néo-latine à laquelle lui-même appartient. D'ailleurs c'était trop ou trop peu pour la France que cette religion négative importée de Germanie. Les révolutions de France. n'ont pas ce caractère elles affirment, elles créent et ne protestent pas. La France refusa donc d'accepter le protestantisme, comme religion, tout en gardant un principe analogue, mais antérieur au protestantisme et plus fécond que lui, le libre examen 1.

Le chancelier de L'Hôpital.

Ce juste milieu auquel, après bien des luttes sanglantes, devait s'arrêter le bon sens national, fut, dès l'abord, indiqué avec précision, quoique sans succès immédiat, par une des plus nobles voix qu'ait entendues la France, celle du chancelier de L'Hôpital. « Michel de L'Hôpital, dit le frivole et libertin Brantôme, a été le plus grand et le plus digne chancelier qu'il y ait eu en France. C'était un autre censeur Caton; il en avait du tout l'apparence, avec sa grande barbe blanche, son visage pâle, sa façon grave. » La pensée de toute sa vie, le but de tous ses efforts, ce fut d'introduire dans nos lois la tolérance civile, d'amener les deux religions à vivre en paix sur le même sol; idée neuve alors et aussi éloignée de l'esprit des calvinistes que de celui des catholiques. Par une rencontre plus singulière qu'inexplicable, l'homme le plus vertueux et la femme la plus perverse unirent leur politique : L'Hôpital et Catherine de Médicis poursuivirent longtemps le même but. Le juste et l'utile avaient senti leur identité. L'éloquence politique éclate pour la première fois en France dans cette bouche vénérable, élo

1. H. Martin, Histoire de France, t. IX, p. 466.

2. Né en 1503, mort en 1573. OEuvres seize harangues, les Mémoires d'Etat, le Traité de la réformation de la justice, six livres d'épîtres en vers latins (5 vol. in-8, 1825).

quence pleine d'un parfum de probité et qui justifie complétement l'ancienne définition de l'orateur: Vir bonus dicendi peritus. L'Hôpital marche à la tête de cet illustre cortége de magistrats français, tels que les Séguier, les Montholon, les Pithou, les Molé, les Harlay, les Pasquier, les de Thou, qui, par la gravité de leur vie, par leur science modeste et la trempe toute romaine de leur caractère, furent une des gloires les plus pures et les plus incontestées de la France. Formés par la tradition naïve des mœurs gauloises et l'étude profonde de l'antiquité, ces hommes unissaient à la loyauté de sujets fidèles une sorte de vertu rigide qui semblait une tradition des républiques anciennes. C'étaient, comme dit Montaigne, « de belles âmes frappées à l'antique marque. »

Une familiarité pleine de bon sens et de finesse, rencontrant çà et là des mots énergiques et décisifs, caractérise le langage du chancelier de L'Hôpital. C'est l'autorité d'un sage avec la bonté et l'abandon d'un père. Veut-il rappeler au culte des vertus chrétiennes ces hommes qui ne songent qu'à triompher de leurs adversaires dans de haineuses discussions: « Nous avons fait, dit-il, comme les mauvais capitaines qui vont assaillir le fort de leurs ennemis avec toutes leurs forces, laissant dépourvus et désarmés leurs logis; il nous faut maintenant, garnis de vertus et de bonnes mœurs, les assaillir avec les armes de charité, avec prières, persuasion, paroles de Dieu, qui sont propres à tels combats. Puis il ajoutait : « Otons ces mots diaboliques, noms de partis et de séditions, luthériens, huguenots, papistes : ne changeons le nom de chrétiens! »

Ne pouvant apaiser les haines des partis, L'Hôpital s'occupa d'améliorer au moins l'administration par de bonnes lois. Grâce à lui, plusieurs des ordonnances les plus sages de l'ancienne monarchie se trouvent datées d'un de ses règnes les plus funestes.

L'ordonnance d'Orléans (1561) promulguait, au nom du roi, la plupart des réformes réclamées pendant la session des états généraux, par les représentants du tiers état; celle de Moulins (1566), qui comprend quatre-vingt-six chapitres,

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